«Nous allons ressortir les câbles, les chaînes et les diables », annonce Jean Odoul, P-dg de l'entreprise Odoul & Fils, installée dans le 14e arrondissement de Paris. Une société qui, avec dix salariés, a enregistré un chiffre d'affaires de 10 MF l'an dernier, dont plus de la moitié en déménagements de particuliers dans la capitale. « Si nous ne pouvons plus nous garer devant l'adresse à déménager, il sera impossible d'utiliser les monte-meubles. Nous devrons stationner dans une rue adjacente, rouler les colis jusqu'à la porte, puis les monter à dos d'hommes. Et si l'escalier est trop étroit, il faudra les passer par la fenêtre ». Difficile, mais pas impossible pour une entreprise qui effectue quotidiennement cinq à six chargements et autant de livraisons à Paris. « Les opérations prendront plus de temps, mais au final, c'est le client qui paiera la différence » observe son dirigeant.
Amorcé cet été, l'aménagement de banquettes de sécurité séparant les voies de circulation des couloirs de bus devrait se poursuivre jusqu'à concerner à terme 40 km de rues parisiennes. Le dispositif actuel interdit le stationnement des fourgons dans le corridor RATP. Là où les bus avaient la possibilité de contourner les camions de déménagements, les banquettes les enferment dans leur espace. « Nous avons l'habitude de nous adapter rapidement, relativise Jean Odoul. « Nous connaissons déjà ce problème avec les couloirs de bus à double sens. Par ailleurs, lorsqu'une rue goudronnée est interdite, ou que le plan « vigipirate » nous empêche de nous garer, il faut savoir improviser ». Optimiste, le chef d'entreprise a déjà envisagé des solutions pour s'adapter à ces aménagements. Elles passent notamment par l'utilisation de véhicules plus petits qui empiètent moins sur la voirie. Ce qui obligera les déménageurs à effectuer des navettes entre les deux adresses plutôt que de procéder à un seul chargement.
La construction des banquettes complique un peu plus l'activité des déménageurs. Fabien Limoges, président de la Chambre syndicale du déménagement (CSD) regrette d'ailleurs que la concertation arrive « si tard, après que tout ait déjà été décidé ». Ces bandes surélevées étaient initialement destinées à isoler les couloirs devant accueillir bus, taxis, véhicules de police, de secours... Et de livraison. Les déménageurs étaient alors censés déposer provisoirement pianos, matériel hi-fi et armoires sur le promontoire, aller se garer, et revenir les chercher pour livrer. Un procédé dangereux pour les livreurs et perturbateur pour la circulation, a estimé le préfet de police de Paris. Position partagée par la Chambre syndicale du déménagement (CSD). En conséquence, la préfecture a décidé que les opérations de ramasse et de dépose devraient s'effectuer exclusivement sur des emplacements prévus à cet effet. Soit sur des aires implantées dans les rues adjacentes, soit sur des enclaves dites « Lincoln » qui empiètent sur les trottoirs. Les véhicules de livraison peuvent emprunter les couloirs de bus exceptionnellement, sur la distance nécessaire pour gagner ces emplacements, mais uniquement en dehors des heures de pointe (7 h 30-9 h 30 et 16 h 30-19 h 30). « Selon l'arrêté du 23 août, nous ne pouvons donc commencer à travailler qu'à partir de 9 h 30 », se plaint Marc Rousselot, P-dg de l'entreprise de déménagement France Inter, installée dans le dixième arrondissement de Paris. Il réalise plus du tiers de son chiffre d'affaire (6 MF en 2001) en région parisienne. Tout stationnement dans les couloirs de bus ou sur les chaussées réservées aux automobilistes est passible d'une contravention de deuxième ou de quatrième classe, mais aussi à un enlèvement sans délai du véhicule en infraction et à sa conduite en fourrière. « Le commissariat du 10e arrondissement nous connaît bien, les gendarmes sont compréhensifs. Mais dans d'autres quartiers, la police est plus stricte », observe Marc Rousselot.
Le ministre des Transports Jean-Claude Gayssot a néanmoins tenté de rassurer les professionnels du secteur en leur affirmant que, pour eux, « rien n'a changé ». Les déménageurs devraient donc continuer à bénéficier de dérogations de stationnement, telles que prévues par l'arrêté de septembre 1999 sur les livraisons à Paris. Une entreprise souhaitant effectuer un chargement ou une livraison a la possibilité de réserver un espace de chaussée correspondant à une adresse précise, y compris sur les couloirs de bus et les axes rouges. La durée de l'affectation peut s'étendre d'une demi-journée à deux jours, sans limitation d'horaires. L'entreprise doit en faire la demande, en deux exemplaires, au commissariat du quartier concerné. Ce dernier lui retournera l'autorisation de stationnement environ une semaine plus tard. « Celle-ci nous est accordée dans 95 % des cas », témoigne Marc Rousselot. Le pare-brise du véhicule doit impérativement porter l'imprimé de dérogation. « L'ennui, c'est que dans Paris, les aires réservées sont généralement occupées par des voitures. Nous avons bien la possibilité de faire enlever les véhicules gênant par la police, mais cela peut prendre plusieurs heures. Une perte de temps que nos clients ne peuvent accepter ». En outre, l'autorisation est accordée sous réserve de « ne pas gêner la circulation », comme l'imprimé l'indique à l'encre rouge. Une restriction dont les agents de police peuvent se servir pour exiger le départ des véhicules. Dans la banlieue parisienne, notamment à Vincennes, Saint Mandé et Charenton, les places sont payantes, de 200 à 300 francs, mais mieux gardées. « Nous réservons douze jours à l'avance un espace qui sera délimité par des panneaux mentionnant la date du déménagement. Personne ne s'y gare. A Neuilly sur Seine (92) par exemple, la réservation est gratuite ». Un système qui demande une surveillance incessante de la gendarmerie. « Il y a dix ou quinze ans, nous pouvions louer de tels espace à Paris. Mais aujourd'hui, les effectifs de police sont insuffisants », estime Marc Rousselot.