«Le marché du déménagement présente des signes de récession », observe Jean-Noël Canioni, secrétaire général de la Chambre syndicale du déménagement (CSD). « Nos adhérents ont accusé, en septembre 2001, une baisse des commandes par rapport à la rentrée scolaire 2000 ». Selon le responsable, la hausse des prix de l'immobilier a entraîné une baisse des ventes et des locations d'appartements, qui se répercute directement sur le déménagement. De plus, la conjoncture économique internationale, aggravée par les attentats aux Etats-Unis, placerait en position d'attente les ménages susceptibles de changer de domicile. Une tendance confirmée par les chefs d'entreprises. « Pour faire face au manque de commandes et à la concurrence, nous avons dû baisser nos prix », reconnaît Michel Heiss, P-dg de la société Heiss de Metz (57). Spécialisée dans les acheminements en longue distance, cette dernière a été particulièrement fragilisée par l'instauration du décompte à 100 % des temps de l'accompagnateur en double équipage. « Suite aux années fastes de 1998 à 2000, et à une saison fructueuse cet été, nous entrons peut-être dans le creux de la vague » s'inquiète le dirigeant lorrain.
Pourtant, le secteur pèse aujourd'hui 7 à 8 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel, contre 6 MdF il y a deux ans, selon la CSD. Il se répartit entre 1 200 à 1 400 sociétés (15 000 salariés), des pme employant moins de 20 personnes pour les trois-quarts d'entre elles. Cette atomisation a favorisé la création de groupements d'entreprises. La profession compte six réseaux commerciaux majeurs : Demeco, Les Gentlemen du déménagement, Demepool, les Déménageurs bretons, Dem et France Armor. Ils totalisent un chiffre d'affaires de plus de 3 MdF.
L'activité du secteur se partage pour une petite moitié entre les services dédiés aux particuliers et les transferts d'entreprises, le garde-meuble représentant 5 à 10 %. Cette prestation annexe, qu'exercent la plupart des sociétés, est facturée au m3 pour une période d'un mois. « C'est notre bas de laine, commente Jean-Noël Canioni. Le garde-meuble présente l'avantage de ne pas subir les fluctuations du marché de l'immobilier ». Autre intérêt : il ne s'agit pas d'une activité saisonnière, contrairement au transport de mobilier pour le compte d'un individuel où les déménageurs réalisent jusqu'à 50 % de leur CA en été. Le rétrécissement des vacances scolaires de juillet à septembre leur aurait d'ailleurs fait perdre trois semaines cruciales, estime la CSD, qui ne peut toutefois chiffrer ce manque à gagner.
Travail clandestin. Par ailleurs, les particuliers ont tendance à utiliser les services des professionnels pour déménager loin de chez eux. Dans les autres cas, ils recourent à des amis ou à des travailleurs clandestins. « Moins de 20 % des opérations de déménagement sont réalisées par des professionnels, observe Fabien Limoges CSD. Soit environ 400 000 sur un total de 2 millions de mouvements. Le reste est effectué par les particuliers eux-mêmes ou par des travailleurs au noir ». Le travail clandestin est donc devenu le cheval de bataille de la CSD. Afin de l'enrayer, l'organisation estime qu'il faudrait faciliter l'accès aux services des entreprises légales, c'est à dire en abaisser les tarifs. A Paris par exemple, un déménagement coûte, selon les entreprises, environ 8 000 francs, une prestation de 40 heures nécessitant quatre personnes. « Le secteur a enregistré une baisse importante de son activité urbaine, souligne Fabien Limoges. Elle ne représente plus que 25 % à 30 % du CA, contre 50 % il y a quelques années ». La Chambre a entrepris une campagne d'information destinée au grand public, intitulée « travail clandestin égal danger ». Un numéro vert est mis à la disposition des usagers, de façon à les informer des risques que comportent un déménagement « au noir » : complicité de fraude, futur cambriolage, délais non respectés, dégâts non remboursés. Parallèlement, la CSD et les pouvoirs publics ont conclu, en 1995, une convention de lutte contre le travail illégal. « En cinq ans, constate Fabien Limoges, président de la Chambre, nous avons obtenu une dizaine de condamnations seulement, à des peines allant de 3 000 à 30 000 francs ».
. Moins menacé par la concurrence du travail clandestin, le déménagement de sociétés est apparu il y a une quinzaine d'année. Si le phénomène saisonnier du métier est ici peu marqué, les entreprises préfèrent être transférées en fin de mois et pendant les week-end. Les opérations se font sur de petites distances, et pour deux tiers d'entre elles, dans l'enceinte des grandes zones urbaines. Un impératif : perturber le moins possible le fonctionnement de l'entreprise cliente. Celle-ci est très attentive au soin qui sera apporté à ses documents (archives, comptabilité, livres commerciaux, compte rendus...), qui constituent la mémoire de l'entreprise, et à ses outils de travail (matériels informatique, laboratoires, etc.). « Une longue préparation est nécessaire en amont du déménagement pour informer le personnel, explique Jean-Noël Canioni. Il faut accompagner et rassurer l'entreprise ». L'essentiel est dans le repérage, de manière à ce que le transfert proprement dit se fasse dans un temps record. Certes, le déménagement d'une petite étude de notaire ou d'un cabinet médical ne se réalisera pas de la même façon que celui d'une usine ou du siège social d'une grande entreprise. Cependant, des traits essentiels communs demeurent quel que soit le type de clientèle. Les sites commerciaux, industriels ou administratifs obéissent à la même unité de mesure : celle du « poste de travail », correspondant au transfert d'un bureau, et qui est facturé, en moyenne, 1 500 à 2 000 F. Ce tarif peut s'élever à 2 500 francs dans le cas d'une prestation « globale », comme en propose la société Bedel GTSA (94), spécialisée dans cette activité (140 MF de CA en 2000). « Il nous a fallu six mois de préparation pour organiser le déménagement de Hertz & Young, mais seulement cinq week-end pour l'effectuer, au rythme de 600 postes par semaine, indique le directeur développement de Bedel, Pascal Piotelab. Nous élaborons le cahier des charges comprenant les différents prestataires intervenant dans le nouvel espace (peintres, décorateurs). Chaque bureau a une implantation précise, selon un plan affiché sur les portes, et le mobilier est étiqueté ». Au final, Bedel vérifie le fonctionnement du réseau informatique et de la messagerie de son client. Le transfert aura été transparent pour les employés, qui retrouvent leur poste de travail inchangé le lundi. Par ailleurs, Bedel a créé une filiale informatique spécialisée dans la délocalisation des salles serveurs. « Nos déménageurs sont des ingénieurs réseau », observe Pascal Piotelab.
Pour leur part, les Déménageurs bretons (92) n'ont pas dissocié les branches déménagement de particuliers et d'entreprises. « Nous proposons cinq types de prestations. Les personnes morales choisissent en général les services les plus complets », indique Emmanuel Le Guen, directeur général de la société Elif (l'Européenne de location industrielle et de franchise), le siège franchiseur du réseau Déménagement breton. L'important est de bien délimiter les tâches qui seront effectuées par le client et celles dont se chargeront les manutentionnaires, afin d'éviter tout malentendu. Le service « classique » représente 40 % des contrats signés par les Déménageurs bretons. Il comprend les opérations les plus courantes, tout le transport et la manutention, ainsi que l'emballage et le déballage de la vaisselle et des autres objets fragiles. La formule haut de gamme « privilège », quant à elle, prend en charge la totalité du travail, y compris le remontage du mobilier, des lampes, des tableaux, etc. En outre, elle comprend le nettoyage de l'ancien domicile. « Le particulier est de plus en plus exigeant et précis dans l'expression de ses besoins, remarque Emmanuel Le Guen. Il se décide rapidement, parfois le lundi pour déménager le week-end suivant. Le délai séparant le devis de l'exécution d'un contrat devenant plus court, nos carnets de commandes sont vides en début de mois ». Les déménageurs bretons - filiale d'AGS (Agence générale de services), la première entreprise de déménagement en France - regroupe 110 sociétés ayant généré un chiffre d'affaires de 360 MF en 2000. « Notre CA a progressé de 25 % par an depuis 1998 et devrait atteindre 450 MF cette année. Il se nourrit d'une part, de l'activité de nos nouveaux adhérents, et d'autre part, de l'augmentation du chiffre des membres présents. Nous avons observé que les entreprises du groupe dont l'ancienneté est d'au moins trois ans réalisent un CA en hausse de 15 à 20 % chaque année ». Si l'appartenance a un tel réseau comporte des obligations, comme le port d'une tenue standardisée aux couleurs du groupe, Emmanuel Le Guen en voit surtout les avantages. « Ceux d'une marque reconnue, dont le taux de notoriété est de 70 %. De plus, nos franchisés ont la possibilité de suivre des formations commerciales, techniques, informatiques. 2 500 heures de stages ont été dispensées en 2000 ».
Les membres des Déménageurs bretons ont connu d'importants changements dans leurs méthodes de travail. Disposant de 400 véhicules, principalement des fourgons d'un volume utile de 20 m3 et 45 m3, le groupement compte aussi 200 caisses mobiles. Il n'en possédait que 25 en 1999. « Nous nous sommes tournés vers le rail-route pour répondre à la suppression du double équipage au début de l'année 2000. Pour les trajets dépassant 500 km, il est plus avantageux de transporter des caisses mobiles sur un train que de passer par la route. Pas forcément en terme de coût, mais surtout de temps, celui de l'accompagnateur étant désormais décompté à 100 % ». Les liaisons Paris-Marseille, Paris-Toulouse, Paris-Bordeaux, Toulouse-Lyon et Rennes-Lyon sont les plus courantes en transport combiné. Mais les terminaux SNCF permettant le ferroutage sont encore peu nombreux. Pour acheminer un mobilier à Nice, par exemple, il faut passer par Marseille. Par ailleurs, un tel système suppose qu'une première entreprise, ayant déposé la marchandise sur les rails, soit relayée à l'arrivée par une seconde qui livrera les meubles à destination. C'est tout l'avantage d'une structure en réseau.
Les Gentlemen du déménagement, groupement de 157 entreprises (200 points de vente) cumulant un chiffre d'affaires de 754 MF, a créé en juillet 1999 une association d'utilisateurs de transport combiné baptisée Combinem. Celle-ci dispose de 150 caisses mobiles. « Environ la moitié de nos membres ont adhéré à Combinem, précise Chantalle Marty, directrice générale adjointe du groupement basé à Montélimar. Nous leur louons des caisses à l'année ». Le rail-route représente aujourd'hui 20 % des acheminements longue distance effectués par les Gentlemen. Pour sa part, Michel Heiss est plus circonspect. « A terme, le rail-route représentera 10 % de nos activités, estime-t-il. Nous n'avons encore que quatre caisses mobiles. Toutefois, j'ai adopté ce système sans trop y croire, car il demande un changement total des mentalités. L'équipe qui livre le déménagement découvre souvent une faille dans le travail effectué par la précédente et n'hésite pas à en faire part au client, probablement dans le but de mettre en valeur sa propre prestation. Un colis mal protégé, une caisse mal chargée. Ce type d'attitude discrédite l'ensemble du service ».
Pour le reste, un système de traction routière permet, là encore, de limiter l'emploi du double équipage. Une équipe charge au départ, une autre décharge et livre à l'arrivée. Un dispositif qui s'est développé en février 2000, lorsque France Armor, une SARL regroupant 52 entreprises, et les Gentlemen du déménagement ont signé un accord de rapprochement fonctionnel. Ainsi, les adhérents de chaque association sont devenus « membres correspondants » du groupe partenaire. Ils ont mis au point un système d'échanges de lots qui, géré sur internet, permet de bénéficier de trafics retour limitant les kilomètres à vide. Selon le directeur général des Gentlemen, Christian Rousseau, les prix des prestations ont ainsi diminué de 20 %. Chaque entité conserve son nom, son conseil d'administration, ses règles d'admission et sa politique commerciale « grands comptes ». Toutefois, les deux organisations ont mis en commun leur gestion administrative et comptable. Laquelle est réalisée par la société commune European services. Les Gentlemen du déménagement ont étendu leur réseau à l'Europe en créant, en juin 2000, le seul groupement d'intérêt économique européen du secteur : EMG (European movers group). Celui-ci rassemble 90 entreprises en Allemagne, 52 en Angleterre, 16 en Italie, et 14 en Hollande.
Les 800 entreprises inscrites à la Chambre syndicale du déménagement (CSD) généreraient 95 % du chiffre d'affaires global du secteur (environ 8 MdF), selon Fabien Limoges, président de l'organisation. « Les 500 structures qui n'y appartiennent pas sont principalement des artisans en marge de la profession, déclare-t-il. Bien souvent, ils n'y ont pas été admis ». Parmi les adhérents de la CSD figurent les six groupements majeurs d'entreprises de déménagement. Le plus petit d'entre eux, France Armor - 52 sociétés pour un chiffre d'affaires cumulé de 150 MF - exige de ses membres qu'ils adhèrent à l'organisation syndicale. Une obligation qui vise à garantir le respect de la charte qualité de la Chambre. Les Déménageurs Bretons, pour leur part, n'imposent à leurs membres aucune obligation d'adhésion. En revanche, tous doivent attester de la norme Afnor « NF service déménagement de particuliers », crée en 1994. « Celle-ci atteste de la fiabilité du service proposé par l'entreprise certifiée et garantit la pleine réalisation du contrat pour le consommateur », explique Emmanuel Le Guen, directeur général de Elif (l'Européenne de location industrielle et de franchise), franchiseur du réseau.
La CSD exige de ses nouveaux affiliés qu'ils justifient d'au moins deux ans d'exercice de l'activité. L'entreprise candidate doit se soumettre à une enquête préalable permettant de vérifier qu'elle dispose bien des moyens techniques nécessaires. En outre, sa gestion administrative et commerciale doit être en accord avec la réglementation et les usages de la profession. Si elle passe avec succès ce premier examen, la société est admise en qualité de membre stagiaire pendant une période d'un an, avant d'être adoptée au sein de la chambre. Elle reste alors sous le contrôle d'une commission d'arbitrage et de discipline, susceptible de la radier en cas de manquement professionnel grave et répété.