Pas question de revenir en arrière. La politique qui vise à séparer physiquement les couloirs de bus du reste de la circulation automobile se poursuivra à Paris. Aux sept kilomètres déjà aménagés s'ajouteront les vingt-sept adoptés par le conseil municipal et sept qui seront soumis prochainement au vote. Les 41 km comporteront 16 km de « banquettes » et 23 km de séparateurs sous forme de boudins, le tout pour un coût de 210 millions de francs. C'est ce qu'a indiqué le maire de Paris, le 10 septembre, lors de la première réunion de la commission de concertation et d'évaluation du dispositif instauré cet été dans la capitale. Une réunion à laquelle étaient conviées les organisations professionnelles du transport aux côtés des représentants des motards en colère, des piétons, des taxis ou de la RATP... Quinze jours après la mise en place de murets sur plusieurs axes, une semaine après l'entrée en vigueur d'une réglementation provisoire (voir encadré), mairie et préfecture de police se sont décidées à engager la discussion avec les usagers de la voirie parisienne. Une démarche que les fédérations de transports appelaient de leur voeux dès le projet connu. Et que le revirement des pouvoirs publics à l'égard des véhicules de livraison a rendue indispensable.
Dans un premier temps, les banquettes devaient en effet accueillir les marchandises pendant que le conducteur tentait de garer son véhicule. A peine annoncé, ce dispositif très controversé fut abandonné pour des raisons de sécurité. Ainsi, un arrêté préfectoral du 23 août n'autorise plus les livreurs à stationner à proximité des murets. Les opérations de ramasse et de dépose devant exclusivement s'effectuer sur des emplacements ad hoc. Soit sur des aires « classiques » implantées dans les rues adjacentes, soit sur des enclaves dites « Lincoln » nouvellement créés. Situées à droite des couloirs de bus, ces dernières empiètent sur les trottoirs. Elles se matérialisent généralement par de simples marquages au sol et un panneau de signalisation, mais la préfecture envisage de les délimiter par des plots. Dans la foulée, elle annonce une augmentation du nombre d'espaces réservés - sans fournir de chiffre - et affirme sa volonté de les faire respecter. En contrepartie, les pouvoirs publics veilleront à un meilleur respect des horaires de livraison édictés en 1999... Au plan répressif, l'arrêté rappelle que tout stationnement dans les couloirs de bus ou sur les chaussées réservées aux automobilistes est passible d'une contravention de deuxième ou de quatrième classe, mais aussi d'un enlèvement sans délai du véhicule en infraction et sa conduite en fourrière.
« Nous ne remettons pas en cause le principe de ses aménagements » indique Jean-Louis Hyvernat, secrétaire général de TLF (Fédération des entreprises de transport et logistique de France) Ile-de-France et délégué général du Gatmarif (Groupement des activités de transport et de manutention d'Ile-de-France). « D'ailleurs, celui-ci ne semble plus à discuter. Pour le maire de Paris, rééquilibrer le partage de la voirie parisienne relève d'une volonté politique. En outre, ces mesures s'inscrivent dans le cadre du Plan de déplacement urbain. En revanche, nous demandons une large concertation pour tirer expérience des premiers kilomètres et apporter les améliorations nécessaires avant une future extension ». Ce débat devrait se dérouler au sein de commissions représentant chacune des catégories d'usagers. Aucun calendrier n'a été fixé. Selon la FNTR (Fédération nationale des transports routiers), les premières réunions avec les maires d'arrondissement devraient intervenir d'ici 15 jours à trois semaines. Pour sa part, TLF ne semble pas trop se faire d'illusion quant à l'issue de ces discussions : « parallèlement, nous poursuivrons nos contacts avec la préfecture, la direction de la circulation .... Nous avons rencontré le chef du cabinet de Denis Baupin, le conseiller transport de Bertrand Delanoë, et nous continuerons ». Le système mis en place sera-t-il viable à l'épreuve des faits ? s'interroge quant à elle la FNTR. « Si le temps d'écoulement du trafic a augmenté de 15 % sur les axes réaménagés, la vitesse de circulation a, elle, baissé dans la même proportion ». Jean-Luc Bourdil, président du SNTL (Syndicat des transports légers), se montre plus amer: « j'ai ressenti du mépris pour le transport de marchandises, une activité que le maire de Paris semble complètement ignorer. Ainsi ce sont quelques espaces de livraison qui seront bricolés à notre attention. Nous aurions souhaité la même considération que les taxis qui, eux, peuvent utiliser les couloirs de bus. Pour des raisons de sécurité, nous demandons que les coursiers à deux roues soient également autorisés les emprunter ».
Cette réglementation me paraît « complètement irréaliste », fulmine Jean-Christophe Quentric, responsable transport de Distrirest France (94), qui livre 85 restaurants Quick à Paris et en banlieue parisienne. « Rue de Rivoli, l'enseigne est située à un carrefour ce qui permet au livreur de stationner en bout d'angle et d'emprunter le passage clouté. Mais, en milieu de boulevard, ce sont des palettes de 450 kg et des rolls de 250 kg à traîner sur plusieurs dizaines de mètres », observe-t-il. Plus difficile pour les livreurs, le travail devient également plus dangereux. « Auparavant, ils déchargeaient dans les axes rouges peu fréquentés à 6 heures du matin, laissant deux voies de circulation libre et se plaçant du bon côté des trottoirs. Faute d'aires disponibles, ils sont désormais contraints de s'arrêter côté circulation automobile - nous avons équipé les véhicules de plots de chantier - et de traverser la voie de bus où les flux sont devenus denses et rapides ». Pour Jean-Christophe Quentric, cette réorganisation illustre le clivage entre des textes de plus en plus restrictifs et la réalité des faits. « La réglementation de 1999 est peu respectée et peu verbalisée. Nous avons mis en place des tournées de nuit, mais ce mode d'organisation a ses limites car il risque de créer des problèmes de voisinage avec les groupes frigorifiques qui tournent. Parallèlement, nous avons diminué la surface au sol de nos véhicules - 28,40 m2 en moyenne - mais ne pourrons accepter des charges utiles moindres. Un 15 tonnes fait gagner 1,20 m2 de surface mais ce sont trois palettes de perdues et une tonne de charge utile par rapport à un 19 tonnes », calcule le responsable. Il me paraît impossible, pour nous qui livrons de gros volumes en une seule fois, de systématiser une telle politique ».
« En respectant l'arrêté, nous ne pouvons commencer à travailler qu'à partir de 9 h 30 », se plaint pour sa part Marc Rousselot, P-dg de l'entreprise de déménagement France Inter. Installée dans le 10e arrondissement, la société réalise le tiers de son chiffre d'affaires (6 millions de francs en 2001) en région parisienne. « Avant la construction de banquettes, nous nous garions dans le corridor RATP et les bus nous contournaient facilement. Aujourd'hui, nous bloquons vraiment la circulation ». Que font les manutentionnaires avant 9 h 30 ? Ils essaient de travailler coûte que coûte, en prenant le risque d'être verbalisés. « Le commissariat du 10e nous connaît bien, les gendarmes sont compréhensifs. Mais dans d'autres quartiers, la police se montre plus stricte ». L'arrêté du 23 août reste muet quant à la situation particulière des déménageurs. Ces derniers continueraient à bénéficier des dérogations de stationnement telles que prévues par l'arrêté de septembre 1999. C'est du moins ce qu'a affirmé le ministre des Transports, le 10 septembre. Une entreprise souhaitant effectuer un chargement ou une livraison a la possibilité de réserver un espace de chaussée une demi-journée, et jusqu'à deux jours. Elle doit en faire la demande au commissariat du quartier concerné. « L'autorisation nous est accordée, sous réserve de ne pas gêner la circulation, dans 95 % des cas », témoigne Marc Rousselot. Cela sous un délai d'une semaine. Un dispositif qui fonctionne bien en banlieue, mais « dans Paris, les aires réservées sont généralement occupées par des voitures. Nous avons bien la possibilité de les faire enlever par la police, mais cette opération peut prendre plusieurs heures. Une perte de temps que nos clients n'acceptent pas ».
Les couloirs de bus élargis sont uniquement réservés aux bus, cyclistes, taxis et véhicules de transports de fonds. Des banquettes, murets de 70 cm, les séparent des voies accueillant les véhicules particuliers et utilitaires. Sur ces dernières, tout arrêt pour livraisons est interdit.
Les opérations de ramasse et dépose des marchandises sont proscrites de 7 h 30 à 9 h 30 et de 16 h 30 à 19 h 30 sur l'ensemble des axes concernés. En dehors de ces plages horaires correspondant aux heures de pointe, elles doivent s'effectuer uniquement sur des aires prévues à cet effet: emplacements « classiques » et enclaves « Lincoln ». Pour accéder à ces dernières, les camionnettes sont autorisées à emprunter le couloir de bus, sur la distance nécessaire pour gagner ces emplacements, puis pour s'en dégager.
Les axes concernés
- La rue de Rivoli : de la rue de Sévigné au bd de Sébastopol (4e arrondissement) et du bd de Sébastopol à la rue de l'Echelle (1er)
- Le boulevard de Strasbourg : du boulevard Saint-Denis au boulevard de Magenta (10e)
- Le boulevard de Sébastopol : de la rue de Rivoli à la rue Rambuteau (4e) et de la rue Rambuteau au bd Saint Denis (3e)
- Les quais rive gauche de la Seine : quai des Grands Augustins (du pont Saint Michel au Pont neuf), de Conti (du Pont Neuf au Pont desArts), Malaquais (du Pont des Arts à la rue Bonaparte), Voltaire (du Pont du Carroussel à la rue de Beaune), Anatole France (de la rue de Bellechasse au bd Saint Germain).