Les entreprises en panne sèche

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Recours accru à l'intérim, forcing auprès des ANPE, offres alléchantes aux personnels déjà en poste, les transporteurs ne négligent aucune piste pour affronter la période estivale avec des effectifs en nombre suffisant. Dans un contexte de pénurie de main d'oeuvre, de réduction du temps de travail et de forte activité, le remplacement des conducteurs en congés prend cette année des allures de combat.

Garder son personnel de conduite coûte que coûte et recruter, si possible, pour pallier les départs en congés. Un exercice de haute voltige auquel les transporteurs se soumettent pour affronter les mois d'été. Sur un marché de l'emploi déjà tendu sont, en effet, venues se greffer réduction du temps de travail et obligations de formation minimale et continue. Résultat : la plupart des entreprises ont anticipé les difficultés à venir et les sources traditionnelles de recrutement se sont taries. Confirmation à l'unité transport-logistique de l'ANPE Ile-de-France : « Depuis quelques années, les entreprises commencent à préparer leurs remplacements fin mars-début avril. Cette année, le mouvement s'est avéré encore plus perceptible qu'à l'accoutumée. Et tous les conducteurs compétents dont nous disposions sont en poste. Nous accueillons ces demandeurs d'emploi une fois ou deux et ils trouvent un emploi. Restent les autres... » Les entreprises d'intérim se disent également submergées de sollicitations. « Nos clients, une centaine sur Lyon, font pression pour avoir des conducteurs en juillet et août. Et les gros groupes se font encore plus pressants que les autres », observe Alain Charet, responsable transports de l'agence lyonnaise de La Solution intérimaire. D'ores et déjà, seraient refusées quinze à vingt demandes par jour malgré les 50 à 60 chauffeurs routiers en portefeuille. « Nous sommes logés à la même enseigne que nos clients. Dans un premier temps, nous avons tenté de recruter. Nous avons même encouragé, prime à l'appui, nos intérimaires à nous présenter des candidats. Aujourd'hui, ça ne suffit plus. »

Ecourter ou reporter les congés ? Les groupements d'employeurs ne sont pas mieux lotis. « L'an dernier, sept à huit conducteurs ont suffi au Getrans Normandie pour satisfaire les demandes de ses quatorze adhérents pendant les mois d'été. Cette année, je pense qu'il m'en faudra le double », prévoit Sandrine Louiset, responsable développement du groupement d'employeurs normand. Alors que toutes les réservations n'ont pas encore été formulées, le Getrans aura besoin de quatre conducteurs supplémentaires au minimum. La responsable se veut confiante pour recruter ces personnels : « Je n'ai pas vraiment le choix. Il faut assurer. Si les transporteurs ont adhéré au groupement, c'est pour obtenir des renforts au moment voulu. » Pour Paul Grella, secrétaire de l'Union régionale FNTR de Provence-Alpes-Côte d'Azur, les groupements d'employeurs ne constituent pas une réponse adaptée à la situation. « D'ailleurs, reconnaît-il, je n'en vois aucune. Sauf à faire travailler davantage les salariés en poste, à écourter ou reporter leurs congés. Peut-être, dans certaines petites entreprises, le patron ou le mécano reprendra-t-il le volant. Peut-être faudra-t-il arrêter des véhicules ».

Des véhicules sur parc. C'est à cette solution de dernière extrémité qu'en a été réduit Pierre Mazet, dirigeant de Mazet Aubenas (07). Sur le site (50 conducteurs, 80 moteurs), quatre véhicules restent sur le parc faute de conducteurs « qui quittent le transport pour faire de la benne ». Dans l'ensemble du groupe ardéchois, dont la flotte compte quelque 800 unités, vingt à trente véhicules subissent le même sort. « En mai, un mois exceptionnel au plan de l'activité, nous avons dû refuser des clients. Ces derniers commencent à s'inquiéter car, en messagerie comme en lot, juillet génère traditionnellement un surcroît de travail ». Néanmoins, Pierre Mazet refuse à recourir à d'éventuels intérimaires. Comme à l'embauche de jeunes en contrat d'alternance « qui partent souvent avant la fin de leur formation ». C'est pourtant cette dernière formule qu'a adoptée l'agence Testud basée à Le Cellier (44). Dès le début de l'été, deux jeunes en contrat de qualification intégreront le site nantais du messager dans le cadre de leur stage en entreprise. « C'est la deuxième fois que nous recourons à cette solution », indique le directeur Thierry Chaigneau. Lequel recherche trois conducteurs et un agent de quai en complément. L'intérim constituera un dernier recours. « Mais, je crains qu'il ne faille en passer par là cette année. Sauf si les nombreux stages de formation initiale en cours généraient rapidement un afflux de candidats. »

La saison en intérim. Avec un effectif total de 1 300 conducteurs, Exel Logistics a préparé bien en amont ses remplacements, assure Jean-Yves Duval, directeur des ressources humaines du groupe de transport et logistique frigorifique. Outre des formations délivrées en interne, 50 jeunes en contrats de qualification sont prêts à prendre la relève. Des accords ont été passés au plan national avec deux agences d'intérim, Adecco et Vedior Bis. Pour autant, le responsable des ressources humaines se reconnaît « complètement à la merci d'absences ou d'arrêts maladie ». Aussi, des agences à forte activité estivale - telles que Nice ou Montpellier - devront recourir à des déplacements de congés, prévus par accord d'entreprise. « Une contrainte du métier que les conducteurs acceptent assez facilement ». En revanche, Jean-Yves Duval se dit démuni face au nouveau phénomène du débauchage saisonnier. « Depuis juin, nous enregistrons des démissions - jusqu'à cinq d'un coup - de chauffeurs qui font leur saison en intérim. Ils totaliseront un volume d'heures irréalisables dans la société pour cause de réduction du temps de travail et encaisseront la prime de précarité. A la rentrée, ils se présenteront pour une embauche. »

A retenir

Réduction du temps de travail, obligations de formation imposées aux conducteurs routiers, disparition du vivier que constituaient les permis poids lourds dispensés par l'armée, autant de facteurs qui, cumulés, posent de réels problèmes pour assurer les remplacements de l'été.

Les transporteurs ayant anticipé ces difficultés, les sources traditionnelles de recrutement - interim et ANPE notamment - sont aujourd'hui taries.

Un nouveau phénomène apparaît : démissionner pour « faire la saison » en interim. Quitte à postuler dans son entreprise d'origine à la rentrée ?

Surenchère salariale ?

Face aux pratiques de débauchage, les entreprises sont-elles prêtes à tout pour garder leurs conducteurs ? L'ANPE Ile-de-France dit observer une surenchère sur les salaires, mais surtout « une prise de conscience, par les employeurs, d'aspects humains souvent ignorés jusqu'ici. Ils font preuve d'une meilleure compréhension de leur personnel, évitant de s'emporter pour des peccadilles ». « Sachant qu'une augmentation importante du salaire mensuel professionnel garanti est déjà programmée au 1er juillet », le siège de l'entreprise à Chasse-sur Rhône (38) décidera de la politique à mener, indique Thierry Chaigneau, directeur de l'agence nantaise de Testud. Pour Jean-Yves Duval, directeur des ressources humaines d'Exel Logistics, les démissions pour cause d'intérim estival ne justifient pas une remise en cause de la gestion sociale de l'entreprise car « une politique ne se construit pas sur un phénomène saisonnier ». A l'agence lyonnaise de la Solution intérimaire, Alain Charet annonce, lui, clairement la couleur : « Pour cette période, nous réévaluons nos tarifs de 10 % à 15 %. Cette augmentation, que nos clients ne refusent pas, permet d'offrir aux conducteurs un taux horaire de 4 F à 5 F supérieur à la normale. »

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