Regroupements d'employeurs et intérim : solutions de remplacement...

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L'an dernier, le personnel intérimaire dans le transport a représenté 26 300 équivalents d'emplois-pleins, soit 23 % d'augmentation par rapport à l'année précédente, et 2,5 % des effectifs totaux. Solution classique et ponctuelle pour effectuer des remplacements dans l'entreprise, l'intérim est aussi sollicité pour répondre à la pénurie de conducteurs. Et, pour faire face à ce problème qui, selon la FNTR, affecte une entreprise sur trois, les transporteurs commencent à imaginer des réponses collectives au travers des regroupements d'employeurs. La réduction du temps de travail qui a provoqué un nouvel appel du vide donnerait lieu à des dérives contre lesquelles les organisations professionnelles mettent en garde les entreprises.

Selon la Fédération Nationale des Transporteurs Routiers, face à la recrudescence des trafics, une entreprise sur trois est confrontée à des « goulots d'étranglements » provoqués par « le manque de main d'oeuvre qualifiée et le fort taux d'utilisation des équipements (85 %). Les difficultés de recrutement affectent ipso facto le développement du parc », note-t-elle. C'est donc les problèmes d'embauche qu'elles ont à résoudre en priorité. Une raison supplémentaire qui les a fait résister contre le passage aux 35 heures.

L'intérim à la rescousse

« Comment pourrait-on appliquer la loi sur la réduction du temps de travail dans nos entreprises quand, pour faire face au surcroît d'activité, on ne trouve plus de conducteurs à embaucher... », lançait, comme une évidence, Gérard Cardon, P-dg des Transports Cardon (62) et membre du bureau de Promotrans, lors de la manifestation des patrons routiers, en janvier dernier.

Tout naturellement, les entreprises de transport se sont retournées vers les sociétés d'intérim. Une solution à laquelle la profession avait traditionnellement recours pour répondre aux pointes de trafic ou pourvoir au remplacement de conducteurs malades ou en congés. Quelques agences spécialisées s'étaient créées, il y a une quinzaine d'années, à l'image d'Energie Intérim ou de la Solution Intérimaire, « mais nos effectifs qui tournent autour de quelques centaines de personnes - certes qualifiées - ne suffisent pas pour faire face à une situation de crise », reconnaît Gilles De Souza, président d'Energie Intérim.

« Depuis deux ans, nous sommes pris de cours par l'inflation de la demande », admet le responsable de l'une de ces agences en région Rhône-Alpes qui paraît parmi les plus touchées. « Elle a été jusqu'à 50 % supérieure aux effectifs que nous pouvions fournir. D'autre part, les entreprises n'ont pas joué le jeu. Certaines ont vu dans l'intérim une sorte de "vivier" et ont débauché nos conducteurs, en commençant par les meil- leurs... ».

Explosion de la demande

Et, de fait, à partir de 1998, l'intérim a connu une véritable explosion et a progressé de 23 % par rapport à l'année précédente. Le nombre d'équivalents-emplois à plein temps est passé de 21 400 à 26 300, soit 2,5 % des effectifs totaux alors que la moyenne nationale tous secteurs confondus est de 2 %. Par ailleurs, les emplois à temps partiels sont tombés de 10,6 % à 8,7 %.

Pour tenter de répondre à la demande croissante des transporteurs, les grandes sociétés d'intérim généralistes, se fondant sur la capillarité de leurs agences sur le territoire, se sont à leur tour intéressées aux transports et ont ouvert des bureaux spécialisées. En cinq ans, Manpower a créé un réseau de 75 agences dédiées aux métiers du transport et de la logistique. Adecco, pour sa part, a ouvert 7 agences spécialisées dans la seule région parisienne. Ces deux sociétés, en Ile-de-France, mettent à la disposition des entreprises près de 10 000 conducteurs...

La formation en question

Conséquence de cet afflux massif, les entreprises de transport ont reproché aux sociétés d'intérim de proposer des conducteurs « trop chers, peu compétents et mal formés ». Des allégations contre lesquelles s'élèvent Patrice Baudouin, coordinateur transport chez Adecco et son homologue de la société Manpower qui considèrent qu'il s'agit davantage d'un a priori.

« En général, nos conducteurs sont des gens qui ont choisi l'intérim afin de pouvoir varier leurs missions et qui sont des professionnels confirmés par 5 ou 6 années de pratique. Nous collons de près à l'évolution des réglementations et nous avons fait suivre les formations requises par la profession aux 4 700 conducteurs que nous avons recrutés. Plus que d'autres sociétés peut-être, nous disposons d'une masse salariale qui nous permet d'engager des formations lourdes. » En ce qui concerne Manpower, 15 000 collaborateurs ont suivi, l'an dernier, 730 000 heures de formation. La société dégage un budget réservé qui est accordé aux branches professionnelles qui nécessitent les formations les plus importantes dont le transport. Le vrai problème - pour autant que l'on puisse considérer qu'il en est un - viendrait du fait que ces agences auraient tendance à privilégier leurs principaux clients. Pour la plupart, en effet, elles ont conclu des accords nationaux avec les plus grands groupes de transport et de logistique qui ont des besoins permanents et qui, généralement, ont passé des contrats à l'année pour l'ensemble de leurs sites. La clientèle de pme, venue à l'intérim à une période plus récente et pour des besoins plus ponctuels, n'a pas pu bénéficier des mêmes « attentions commerciales » à une époque où le recrutement est en pénurie et que les sociétés d'intérim sont elles-mêmes confrontées à ce problème.

Pour un certain nombre d'entreprises, l'intérim ne constitue pas la solution adaptée à la profession et elles avancent plusieurs raisons : le coût - les coefficients multiplicateurs seraient de 1,6 à 2, selon les régions -, la difficulté à trouver des intérimaires dont la qualification répond exactement aux besoins, leur méconnaissance du fonctionnement de l'entreprise pour laquelle ils vont travailler et de ses relations avec la clientèle.

Les groupements d'employeurs

Enfin et surtout, la récurrence et la régularité avec laquelle les besoins de remplacements interviennent ont complètement changé les données. Aux congés normaux ou pour maladie, se sont ajoutés les remplacements dans le cadre de formations et, maintenant, les congés de récupération en application de la loi sur la réduction du temps de travail.

C'est ainsi qu'ont été imaginés des « regroupements d'employeurs ». Leur but est d'apporter une réponse, à la fois, aux inconvénients que comporte l'intérim traditionnel, à la pénurie de conducteurs et à l'absence de qualification. Ces regroupements ont pris plusieurs formes. Tantôt, il s'agit d'associations, tantôt ils ont pris la forme de Groupements d'Intérêts Economiques, souvent en fonction de la taille des entreprises adhérentes. La ligne de partage se situant autour des 300 salariés, une limite que se sont fixés les membres de Getrans, un modèle qui commence à essaimer dans plusieurs régions (Auvergne, Franche-Comté, Normandie), et qui pourrait donner naissance à un réseau national. Les GIE semblent davantage concerner les entreprises d'une taille supérieure, exclues des structures précédentes. C'est à ce type d'organisation qu'adhèrent les Transports Mousset, élus Transporteur de l'année 2000. « Au sein de notre société, nous avions monté une structure de formation par alternance qui nous a permis d'embaucher 63 jeunes en contrat de qualification depuis 1995 et 26 d'entre eux ont intégré l'entreprise en contrat à durée indéterminée », explique Jean-Michel Mousset. « C'est une formule qui a paru intéressante à d'autres transporteurs de la région qui avaient des problèmes d'emploi similaires. Avec eux, nous avons décidé de transposer cette expérience dans le cadre d'un GIE auquel adhèrent actuellement 7 transporteurs de Vendée, du Maine-et-Loire et de Loire-Atlantique à la tête duquel nous avons nommé un coordonnateur, indique Henri-Pierre Mousset, DRH de l'entreprise.

Les Transports Mousset, quant à eux, cultivent une approche plus « féminine » du recrutement et tentent d'ouvrir la profession à de jeunes conductrices « qui manifestent à la fois motivation et compétences dans un métier qui leur est devenu physiquement plus accessible ». A la différence de Getrans, le premier groupement d'employeurs pour l'emploi qui a été créé en Auvergne, en 1998, les stagiaires qu'accueille le GIE vendéen n'ont pas vocation à y rester. Après leur formation, ils intégreront les entreprises adhérentes ou celles qui rejoindront la structure car la porte est restée ouverte...

Getrans : vers la création d'un réseau ?

Présidé par Michel Artaud, gérant des Transports Montagnards et membre d'Auvergne Transbenne à Cournon (63), Getrans a démarré avec quelques adhérents et un seul conducteur à plein temps chargé de remplacer les conducteurs titulaires dans les entreprises contractantes à l'occasion de congés ou de maladie. Puis, avec l'entrée en vigueur de la réglementation sur la formation (Fimo et FCOS) les besoins de remplacements ont été à la fois plus nombreux et plus fréquents. Le nombre d'adhérents a augmenté, ils sont aujourd'hui 32, et les conducteurs « intérimaires » embauchés par Getrans Auvergne sont aujourd'hui une douzaine.

L'an dernier, après une année d'exercice, le groupement a fait le point et c'est un constat très positif qui a été dressé. « Nous fonctionnons sensiblement comme une société d'intérim, explique Michel Artaud. Nous avons recruté une personne qui assure le secrétariat et qui a le rôle de "tour de contrôle". Elle enregistre les demandes des adhérents, prépare les plannings et confie les missions aux conducteurs que nous avons embauchés. Ce sont, en général, des conducteurs confirmés qui ont 5 à 6 années de métier, formés à plusieurs disciplines (messagerie, bennes, etc.) et qui sont susceptibles d'effectuer des missions régionales, nationales, voire internationales.

« Un de nos adhérents qui a des trafics périodiques sur l'Espagne et qui aurait été obligé d'embaucher pour effectuer un travail qui ne nécessite pas du personnel permanent, trouve ainsi à Getrans le conducteur dont il a besoin pour cette opération ponctuelle mais régulière. Sa seule contrainte est de le faire inscrire au planning suffisamment tôt... « C'est cette discipline qui nous permet de fonctionner harmonieusement. L'adhérent qui réserve le premier est le premier servi. Surtout l'été où il nous faudrait 40 chauffeurs pour pouvoir répondre à la demande...

« Nous avons également une autre règle : Getrans doit être un réservoir de conducteurs pas un service de recrutement. Sous réserve que l'un des conducteurs ait décidé de se "sédentariser" pour des raisons personnelles, il est convenu que nous ne les débauchions pas pour utilisation privée. D'ailleurs, eux-mêmes ne le souhaitent pas car ce sont des gens qui, généralement, aiment changer d'activité tout en bénéficiant de la sécurité d'emploi.

« Nos adhérents doivent également répondre à d'autres conditions : tout d'abord, nous ne retenons que la candidature de pme et les contrats durent au minimum une semaine ». La moyenne des remplacements est actuellement de 3 mois. Quand il va dans une entreprise, le conducteur intérimaire remplacera plusieurs titulaires successivement. Comme un salarié, intégré à l'établissement, il remettra son disque à partir duquel sa rémunération sera facturée à l'employeur. En général, le recours à Getrans revient un petit peu moins cher à l'entreprise qu'un intérimaire classique, même si celui-ci est légèrement mieux payé qu'un salarié intégré. « La différence essentielle réside dans le fait que nous avons recruté nous-mêmes ces conducteurs, que nous connaissons leur sérieux et surtout parce qu'ils finissent par bien connaître le fonctionnement de nos entreprises. Le seul problème que nous rencontrons aujourd'hui : aux congés de tous ordres, légaux, maladie, formation, vient s'ajouter maintenant la gestion de la réduction du temps de travail. Comme nos structures sont en général trop petites pour pouvoir embaucher, nous allons sans doute être obligés de recruter de nouveaux chauffeurs pour Getrans. »

Se méfier des contrefaçons...

Enfin, même si elles démontrent leur efficacité, il faut signaler cependant que les deux solutions au recrutement temporaire que constituent l'intérim et les regroupements d'employeurs ne sont pas totalement dénuées de risques. Un récent procès qui s'est déroulé en Ile-de-France vient, en effet, de mettre en lumière certaines dérives du travail temporaire dans le transport. Détaché par une société de personnel intérimaire auprès de plusieurs employeurs, un conducteur avait effectué 26 heures de conduite consécutives. Il a été tenu pour responsable de la mort de 5 personnes à la suite d'un accident dans lequel il était impliqué.

Sans s'appesantir sur un sujet devenu sensible, les responsables des sociétés d'intérim signalent, cependant, qu'il ne s'agit pas de cas isolés. « Il faut être extrêmement vigilants, déclarent-ils. La réduction du temps de travail dans un certain nombre d'entreprises de transport a entraîné parfois d'importantes baisses de salaires pour les conducteurs. Pour compenser cette perte, ils sont aujourd'hui relativement nombreux à venir s'inscrire dans nos agences pour pouvoir trouver une activité complémentaire après avoir effectué leurs 35 heures dans la société qui les emploie ».

Par ailleurs, à la suite d'une enquête menée par l'inspection du Travail en région Rhône-Alpes, en février dernier, il est apparu qu'un GIE de transporteurs « effectuait du prêt de main d'oeuvre à but lucratif en dehors des dispositions législatives régissant le travail temporaire ». A l'issue de cette enquête, un procès-verbal a été dressé à l'encontre d'un GIE dont le siège se trouve dans le Val-de-Marne.

« L'administration a attiré notre attention sur ce phénomène, souligne Alexis Bordet, délégué général adjoint chargé des activités routières à TLF. Il faut rappeler que le prêt de main d'oeuvre répond à des obligations très strictes. Le salaire du conducteur "prêté" doit être, notamment, égal au franc près à celui du chauffeur qu'il remplace. Dans le cas contraire, il s'agit d'une opération de marchandage et la responsabilité des entreprises utilisatrices peut être recherchée dans la commission de ces infractions pour lesquelles la loi a prévu des pénalités particulièrement lourdes ».

DES CHIFFRES ÉLOQUENTS...

La profession dans son ensemble aurait créé 21 000 emplois en un an soit une progression de +5,5 %. Une tendance qui devrait maintenir son rythme de croissance en l'an 2000.

Si l'on s'en tient à stricte objectivité de ces chiffres, le transport routier pourrait se gratifier du titre de bon élève de la classe si, de leur côté, les employeurs n'évoquaient, régulièrement, leurs difficultés à recruter. Car, ces statistiques ne traduisent pas la tension qui existe actuellement sur le marché de l'emploi. Elle transparaît, en revanche, dans l'analyse des offres et demandes d'emplois qui sont publiées par les organismes spécialisés (presse, ANPE, sociétés d'intérim).

Sur plus de 100 000 offres d'embauches qui n'ont pas trouvé preneurs, en 1999, le transport vient en troisième position après le secteur associatif et le bâtiment. Le déficit d'emploi est estimé à plus de 10 000 personnes et concerne, principalement, les conducteurs routiers. « Les possibilités d'embauche hypothéquées par la pénurie de postulants » sont évoquées dans une récente enquête d'opinion effectuée par la Fédération Nationale des Transporteurs Routiers auprès de ses adhérents. Elle impute cette situation à deux causes principales : « le manque de main d'oeuvre qualifiée » consécutif au niveau de formation désormais requis (effet FIMO et FFCOS) qui conduit à une inadéquation de l'offre et de la demande, et « l'image d'une profession insuffisament valorisée » doublée d'une évolution « socio-culturelle des candidats à l'emploi ».

Une étude réalisée, l'an dernier, par Manpower corrobore cette enquête et fait ressortir que, dans 55 % des cas, le poste proposé n'est pas pris faute de qualification suffisante, dans 14 % des cas le refus incombe à l'employeur pour défaut de présentation et dans 10 % des cas aux salariés qui estiment les rémunérations insuffisantes.

L'exemple fourni par l'ANPE Ile-de-France illustre également cette inadéquation de l'offre par rapport à la demande en raison de la sous-qualification des candidats. Les ANPE de la Région ont enregistré, l'an dernier, 23 000 offres émanant d'employeurs, soit une progression de 5,2 % par rapport à l'année précédente. Parallèlement, le nombre de demandeurs sur le secteur était de 58 000, soit un recul de 5 %. 34 % des offres faisaient appel à du personnel non qualifié mais 84 % des candidats avaient une formation nettement inférieure au CAP.

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