OTM : L'obtention du trophée Truck of the year 2000 par le FH 12 est, néanmoins, pour la marque, un motif de satisfaction. Cette distinction a-t-elle dynamisé vos ventes ?
JNT : Nous avons ressenti cette récompense comme un honneur et l'avons reçue avec fierté. D'autant que la valeur commerciale qu'implique cette reconnaissance s'est doublée du plaisir d'avoir remporté l'Eurotest. Nous avons été très satisfaits de voir que le moteur D 12 C, dans sa version nouvelle, avait pris la tête du peloton sur ce marché. Cela redonne un élan à un camion qui a maintenant 7 ans. Il est en outre très satisfaisant pour un constructeur de constater que ces distinctions sont basées sur la technologie et non pas sur la nouveauté ou l'esthétique. Cela donne une valeur ajoutée au produit quand, comme c'est notre cas, nous cherchons à vendre à nos clients un coût kilométrique, avant tout. Ces distinctions se sont traduites dans nos performances sur le marché puisque 1999 a été pour nous l'année de tous les records. Nous avons immatriculé en Europe, l'an dernier, 38 622 véhicules ce qui correspond à une pénétration de 14,2 % sur le marché des plus de 10 tonnes. En France, nous avons vendu 6 357 véhicules et les FH ont représenté 76 % des immatriculations. Si notre pénétration a légèrement reculé de 0,8 % c'est parce que nous avons rencontré quelques difficultés à faire accepter des augmentations de tarifs. Mais, cette année, nous sommes en passe de battre nos propres records. Ce sera un gage de satisfaction car nous sommes « obligés » de mettre le plus possible de véhicules en circulation. Le camion, en effet, est un consommateur de services. Si un constructeur ne vend pas de camions c'est un manque à gagner sur toute la chaîne des services.
OTM : Tout autant que la fiabilité des véhicules, la qualité du service qu'apporte le réseau d'une marque apparaît aujourd'hui, en effet, comme un critère d'achat déterminant. Le service est-il devenu le nerf de la guerre pour les constructeurs ?
JNT : oui et définitivement. Il n'est sans doute pas opportun de parler d'une guerre des services, mais il est clair que tous les constructeurs cherchent aujourd'hui à offrir les meilleures prestations à leurs clients et nous sommes condamnés à sans cesse en améliorer la palette.
C'est, d'ailleurs, ce qui a conditionné notre démarche, l'an dernier, en réorganisant structurellement notre réseau. Sans modifier la cartographie de nos points de services, nous avons incité des regroupements de concessionnaires pour ramener notre réseau de 36 à 15 afin que les clients aient pour interlocuteurs des entreprises « de taille critique » issues de ces mariages. Cette restructuration qui va s'opérer dans toute l'Europe pour ramener de 300 à 100 le nombre des concessions découle du principe du « one stop shopping ». Tous nos clients doivent trouver dans ces nouvelles structures tous les services dont ils auront besoin et nous devons faire en sorte qu'ils ne soient pas obligés d'aller ailleurs pour acheter un véhicule, faire réparer leurs remorques, pour acheter des pneumatiques ou d'autres équipements, assurer la formation des conducteurs ou des mécaniciens, trouver des conseils de management, etc. Notre démarche est strictement la même - elle est simplement décalée dans le temps - que celle qu'ont effectuée les transporteurs quand ils ont proposé à leurs clients de s'occuper de leur logistique. Nos concessionnaires pourront dire au transporteur : faites votre métier, nous nous chargerons du reste. Quitte à s'associer à des partenaires pour compléter l'éventail des prestations. Il n'y a pas de limites à l'offre de service. D'autre part, la qualité première d'une prestation étant sa proximité, il n'y a pas de service plus proche que celui qui est installé chez vous. A terme, les concessionnaires seront amenés à gérer des ateliers intégrés dont certains pourraient être rachetés. Il fallait sortir de notre tradition de garagiste pour s'orienter vers l'industrialisation et l'ingénierie de service afin que les transporteurs trouvent en face d'eux une seule entreprise qui puisse prendre en charge la totalité de leurs besoins, voire s'associer à leurs projets.
OTM : En vous référant aux contacts que vous avez avec vos clients transporteurs, comment voyez-vous l'avenir du transport routier de marchandises ?
JNT : l'avenir du transport de marchandises me paraît extrêmement encourageant. Toutefois, on n'est pas arrivé au terme des restructurations et il risque encore de se produire beaucoup d'événements dans le secteur. La redistribution des cartes va se poursuivre entraînant une modification de la hiérarchie et l'émergence de nouveaux leaders. Mais en ce qui concerne les trafics la situation me paraît claire puisqu'on assiste à une progression régulière des tonnes kilométriques transportées au rythme de 2,5 % à 3 % par an. Je pense, en outre, que la montée en puissance du commerce électronique va faire exploser la production de transport, notamment l'acheminement des petits colis de moins de 30 kg, car, par ce biais, les gens pourront acheter jour et nuit et il faudra assurer les livraisons dans des délais très courts. Il reste à se poser la question de savoir quel sera le mode de distribution. Elle est en suspens mais le processus de réflexion est engagé. C'est notre métier de se poser ces questions pour y apporter la réponse et en tant que constructeur nous voyons d'un bon oeil l'évolution des choses. Elle paraît favorable à la route. Elle assure déjà 80 % des acheminements terrestres, elle a pris une certaine avance, elle est soutenue par le comportement d'achat et le coût de transport se relativise. Certes, certaines décisions sociales, comme la réduction du temps de travail, peuvent faciliter le développement du combiné rail/route, mais le rail ne sait pas répondre aux exigences de la distribution. Il n'a pas la même flexibilité que la route, il ne bénéficie pas des mêmes harmonisations et sa pertinence se limite aux longues distances et aux transports massifs. Dans l'avenir, le camion sera peut-être le mal nécessaire...
OTM : certains pays comme la Grande Bretagne, par exemple, étudient la possibilité de porter le PTAC des véhicules à 44 t. Pensez-vous que cette mesure, en France, serait judicieuse et poserait-elle des problèmes particuliers aux constructeurs ?
JNT : La Suède fait partie des pays où le PTAC des véhicules est fixé à 60 tonnes. Nous disposons donc du savoir-faire et, techniquement, cela ne pose aucun problème. Ce sont les mêmes véhicules mais il est vrai que, le marché local nous ayant éduqué, nous disposons peut-être d'une avance technologique.
Ce qui est clair, si l'on augmentait le PTAC de 4 tonnes, on améliorerait la productivité des véhicules. Cela permettrait de supporter l'augmentation des trafics tout en réduisant le nombre de véhicules en circulation. Cela ne va pas forcément dans le sens souhaité par les constructeurs mais, comme l'on parle de plus en plus de respect de l'environnement, il faut reconnaître maintenant que les véhicules de forts tonnages polluent moins que les petits.
C'est peut-être un calcul un peu simpliste mais il n'est pas totalement stupide : si vous avez 25 tonnes à transporter, vous pouvez choisir entre 13 utilitaires de 100 ch qui transporteront chacun 1 800 kilos ou un véhicule de 400 ch qui prendra la totalité du chargement. Dans le premier cas, il vous faut 3 fois plus de chevaux pour transporter la même charge. D'autre part, je ne suis pas persuadé que les gros camions soient les plus nuisibles sur les routes. Les 13 utilitaires alignés l'un derrière l'autre constituent un convoi de 80 m alors que le camion de 40 t mesure moins de 19 mètres.
En revanche, il me semble important, à un certain moment, de savoir repenser les missions. La profession dispose maintenant d'outils informatiques embarqués qui permettent de mieux gérer les trafics. En la matière, les constructeurs ont également un rôle à jouer et, depuis 6 ans, Volvo commercialise son propre ordinateur de bord. Mais pour résoudre la problématique qui se posera d'ici 10 ans, tous les acteurs du transport doivent être associés pour réfléchir ensemble à des solutions. Compte tenu de ses origines suédoises, Volvo est culturellement sensible aux problèmes d'environnement.