Sept ans. C'est le temps qu'il aura fallu à Renault et à Volvo pour unir à nouveau leurs destinées. Mais, cette fois, le projet de regroupement que viennent de forger les groupes suédois et français ne concerne que les véhicules industriels. Sur le papier, cette alliance, annoncée le 25 avril dernier, doit donner naissance au deuxième constructeur mondial de camions. Concrètement, le schéma retenu prévoit l'apport à Volvo des filiales poids lourds de Renault représentées par Renault VI et la société américaine Mack. Ces deux entités génèrent, aujourd'hui, 42,7 MdF de chiffre d'affaires pour une production qui a atteint, en 1999, 87 436 unités. En échange de la cession de sa branche « camions », Renault récupérerait 15 % du capital du groupe suédois.
Les marques seront conservées. L'entreprise française prévoit également d'acheter, sur le marché boursier, l'équivalent de 5 % du capital de Volvo pour un montant estimé à 500 millions d'euros. Avec une participation de 20 %, Renault deviendrait ainsi l'actionnaire industriel de référence de la firme de Göteborg. Laquelle cherchait, depuis l'annonce de l'échec de la fusion avec son concurrent et compatriote Scania, à stabiliser un actionnariat très dispersé. Par la suite, Louis Schweitzer, le P-dg de Renault et une autre personnalité présentée par le groupe français entreraient au conseil d'administration de Volvo.
Volvo et Renault VI/Mack conserveraient leurs identités, leurs marques, leur organisation commerciale et leurs sites de montage respectifs. Selon Louis Schweitzer, le projet de regroupement n'entraînerait pas de plan social. Renault VI, qui emploie 23 000 salariés dont près de 18 000 en Europe, resterait donc une société de droit français avec son siège social à Lyon. Les partenaires des deux constructeurs sont pour le moment tenus à l'écart de l'alliance. C'est notamment le cas d'Irisbus, filiale commune de Renault VI et de l'Italien Iveco dans le secteur des autobus et autocars. L'accord ne concerne pas non plus Nissan Diesel, dont Renault et le Japonais Nissan Motors détiennent chacun 22,5 % du capital. Volvo a, par ailleurs, annoncé qu'il ne remettra pas en cause le partenariat noué avec Mitsubishi. Les participations de Renault VI dans les sociétés CAT (Compagnie d'affrètement et de transport) et Sovab (usine de Batilly, en Meurthe-et-Moselle, dont sortent les Trafic, Master et Mascott) seront, quant à elles, réintégrées dans le périmètre du groupe Renault.
Sur le plan financier, Renault affirme que, dès la première année complète d'activité, l'opération aura un impact favorable sur les bénéfices de l'entreprise. La transaction se traduira par une plus-value comptable d'un milliard d'euros. A la Bourse de Paris, l'action Renault gagnait 6,01 % dès l'annonce du projet de regroupement avec Volvo.
Économies d'échelle. Avec une production annuelle de 165 000 véhicules et un chiffre d'affaires de 95MdF, l'alliance se placerait au second rang mondial des fabricants de poids lourds, derrière l'Allemand DaimlerChrysler. Elle capterait 28 % du marché des véhicules industriels en Europe de l'Ouest et 24 % aux États-Unis. Les deux entreprises prévoient de dégager des économies d'échelle estimées, par Volvo, à près de 425 millions d'euros par an, dès la troisième année. A plus long terme, environ 365 millions d'euros pourront encore être gagnés chaque année « grâce à l'intégration progressive des deux sociétés et de leurs gammes de produits ». Les deux groupes mettent également en avant leur complémentarité géographique. « La présence commerciale de Renault VI en Europe est mal équilibrée, le groupe ne détenant que 2 % de part de marché en Allemagne », souligne Louis Schweitzer. Renault VI est en revanche fortement implanté en France et en Espagne, tandis que Volvo est très présent en Europe du Nord. Les deux groupes se compléteront également bien aux États-Unis où Mack capte 13,1 % du marché des camions de plus de 16 tonnes.
Le rachat de Renault VI par Volvo pourrait être effectif « avant la fin de l'année », selon Leif Johansson, président de Volvo. En attendant, il doit encore être approuvé par les partenaires sociaux, les administrateurs des deux groupes et les autorités de la concurrence.
Quid de la réponse de Bruxelles ? La Commission européenne a déjà promis qu'elle allait étudier « de très près » le projet d'alliance. Il y a dix ans, Bruxelles avait donné son feu vert sans condition à la première tentative de regroupement entre les deux constructeurs. Mais, depuis, les règles du jeu semblent s'être durcies. En mars dernier, la fusion entre Volvo et Scania a reçu une fin de non recevoir. La Commission avait alors estimé que les problèmes de concurrence seraient « insurmontables » sur plusieurs marchés européens du poids lourds.
En 1990, Renault et Volvo annonçaient la conclusion d'une alliance à grande échelle, qu'ils scellaient un an plus tard par la prise de participations croisées. Volvo achetait alors 20 % du capital de Renault et 45 % de sa filiale poids lourds Renault VI, tandis que Renault prenait 8 % de Volvo, 25 % de sa filiale automobile et 45 % de son activité poids lourds. En septembre 1993, les deux entreprises annonçaient officiellement leur intention de fusionner. Mais le 2 décembre, le projet était abandonné par Volvo devant l'opposition des petits actionnaires suédois. Lesquels redoutaient que leur groupe, fleuron de l'industrie nationale, soit phagocyté par l'Etat français. Louis Schweitzer avait alors regretté un débat « émotionnel et irrationnel ». L'annonce du divorce entre les deux groupes provoquait la démission du P-dg de Volvo et le lent désengagement de l'État français dans le capital de Renault (dont il détient encore 44,2 % des parts).
L'alliance s'était ensuite dénouée progressivement jusqu'à la fin de l'été 1997.
L'idée d'un second mariage a été relancée par le veto opposé en mars par la Commission européenne à la fusion entre Volvo Trucks et son compatriote Scania.
En France, l'impact de l'accord Volvo/Renault VI sur le marché des véhicules industriels de plus de 5 t de PTC (53 651 immatriculations en 1999) serait considérable puisque le nouvel ensemble cumulerait une part de marché de 49 % (37,2 % pour Renault VI et 11,8 % pour Volvo). Il devancerait ainsi très largement Mercedes (17,9 % de pénétration), Iveco (11 %), Scania (8,7 %), DAF (7,2 %) et Man (5,8 %). A noter que l'an dernier, alors que le marché hexagonal des VI explosait (+ 13,2 % par rapport à 1998), Renault VI voyait sa part fondre de deux points tandis que Volvo en perdait 1.
En Europe, Renault VI (10,7 %) et Volvo (11,8 %) cumuleraient 22,5 % du marché des plus de 5 t, derrière Mercedes (25 %), mais devant Iveco (14,9 %), Man (13,9 %), Scania (10,4 %) et Daf (8,7 %, filiale de l'Américain Paccar). Sur le segment des plus de 16 t, l'ensemble Renault VI/Volvo affiche une part de marché de 27,3 %, devant Mercedes (20,8 %), Scania, (14,8 %), Man (13,5 %), Iveco (11 %) et Daf (9,9 %).
Aux États-Unis, l'addition de Mack (13,1 %) et de Volvo (10,7 %) parvient en seconde position pour les ventes de classe 8 (plus de 16 t de PTC) derrière l'ensemble Freightliner/Sterling (37,3 %).
En Asie, le groupe Renault conserve 22,5 % de Nissan Diesel, filiale poids lourds du Japonais Nissan Motor avec lequel il s'est allié l'an dernier. Quant à Volvo, il prépare son mariage avec Mitsubishi dans le domaine des poids lourds et des autobus.