S'adapter ou disparaître

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Un an après la fermeture du tunnel du Mont Blanc, 90 % du trafic routier s'est reporté sur le Fréjus. Du jour au lendemain, les transporteurs de Haute-Savoie, prisonniers d'une vallée sans issue, ont dû réagir pour réorganiser leurs trafics. L'obligation de modifier les itinéraires et les conditions d'exploitation ont engendré une cascade de frais supplémentaires que la majorité des entreprises a réussi à compenser en développant de nouveaux marchés.

« Nous avons perdu quatre millions de francs de chiffre d'affaires dans les trois mois qui ont suivi la fermeture du tunnel sous le Mont-Blanc », constate René Delerce, dont l'entreprise, implantée à la Roche-sur-Foron réalisait 80 % de son activité en transport de matériaux ferreux et non ferreux vers le Nord de l'Italie. « Cette somme correspond à des trafics que nous avons dû arrêter, car les clients ont refusé l'augmentation de prix que nous sollicitions pour compenser nos surcoûts d'exploitation. Il nous a fallu quatre mois pour nous restructurer et trouver une nouvelle clientèle. » Jusqu'au 24 mars 1999, cette entreprise, comme toutes celles implantées dans la vallée blanche, faisait transiter l'essentiel de ses véhicules par le tunnel du Mont-Blanc. Aujourd'hui, 90 % du trafic routier se sont reportés sur le tunnel du Fréjus, alors que les autres passages alpins (Vintimille, col de Montgenèvre, col de Larche) n'ont cumulé que de faibles reports (estimés à 3 %). Généralement spécialisées sur un segment de marché et ne possédant pas d'établissement secondaire, les pme savoyardes se sont brutalement trouvées contraintes à gérer un détour d'une centaine de kilomètres supplémentaires par véhicule, avec à la clé déviation des flux, test de nouveaux itinéraires, embauche de personnel supplémentaire, ou instauration de relais jusque sur le bord de la route.

Système D. « Afin de respecter nos délais de livraison, nous avons recruté six chauffeurs, portant l'effectif à trente-quatre pour un parc de vingt ensembles routier », souligne Lucien Gevaux, P-dg de la Société d'Entreposage et de Transport - SET - implantée à Saint-Jean-de-Tholome, près de Cluses.

Pour les Transports Chevrier, la fermeture du Mont-Blanc fut d'abord un coup du sort. Cinq moins auparavant, ils avaient emménagé dans de nouveaux bâtiments construits à Bonneville afin d'accéder plus rapidement au tunnel du Mont-Blanc. Dix-huit millions de francs d'investissement pour une structure dotée de 5 000 m2 de bâtiments couverts situés à proximité de l'autoroute A40. « Cet atout géographique est immédiatement devenu un handicap. Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés dans un cul de sac, avec des projets de développement - notamment en logistique - que nous avons été obligés de laisser dans les cartons », déplore le P-dg, André Chevrier. Depuis, afin de permettre aux chauffeurs de se relayer dans de bonnes conditions et pour limiter les kilomètres inhérents au détour par Bonneville, l'entreprise base une partie de ses véhicules chez des confrères de Chambéry ou Saint-Jean-de-Maurienne. « Avant la fermeture du tunnel, les conducteurs faisaient leur coupure à Bonne. Nous leur transmettions les consignes, les documents de transport et récupérions les disques. De même que nous en profitions pour réaliser l'entretien et la réparation des véhicules. Le système était bien rodé avec un découpage des zones en relais », explique Bernard Collomb-Muret, P-dg de CMA. Désormais, les chauffeurs transitent par l'agence de Lyon, où les services administratifs ont été déplacés.

Des surcoûts... « Pour aller en Italie, l'autoroute nous coûte 440 F, alors que par le Mont-Blanc, cela nous revenait à 20 F », constate Lucien Gevaux. De plus, les chauffeurs sont contraints de se ravitailler plus souvent en carburant dans les stations-service, à des prix nettement moins compétitifs que ceux négociés pour le gazole livré en cuve à l'entreprise. Il faut aussi faire face à l'augmentation des frais de déplacements et de la masse salariale. Pour Trans Europe (8 salariés, 6 ensembles semi-remorques et 7,5 MF de CA annuel), le surcoût atteint 3 000 F par semaine et par véhicule. Comme le souligne son dirigeant, Robert Mazza, « dans 90 % des cas, les chauffeurs partent le dimanche soir et nous ne les revoyons que le vendredi soir ou le samedi matin, alors qu'auparavant, ils rentraient dormir chez eux en milieu de semaine ». Lucien Gevaux estime à 500 000 F la part de résultat net qu'il aurait dû réaliser en plus, si le tunnel n'avait pas été fermé. Avec 75 salariés, Trans DJR Brousse a déboursé 800 000 F de salaire supplémentaire sur un an. « Traverser les Alpes par le Fréjus, c'est deux heures de plus en matière de conduite, sans parler des temps d'attente à l'aire de régulation d'Aiton », explique Raymond Brousse, le P-dg. « Aujourd'hui, nos camions ne transitent plus par le siège, alors que 98 % d'entre eux le faisaient. Les relais s'effectuent désormais chez des partenaires implantés à Lyon et Dijon ». « Nous nous sommes retrouvés avec six mécaniciens ayant deux fois moins de travail », souligne Bernard Collomb-Muret, lequel chiffre à un million de francs les coûts supplémentaires supportés par l'entreprise.

... difficiles à répercuter. Pendant les trois mois qui ont suivi la fermeture du tunnel, l'entretien de ses 120 remorques et 85 tracteurs a été confié à des garages extérieurs. Une solution trop coûteuse. « Depuis huit mois, tous les véhicules qui rentrent d'Italie sont déviés sur Bonne. Des navettes ont été mises en place », précise le P-dg. Si quelques chargeurs ont accepté des revalorisations tarifaires oscillant entre 3 % et 5 %, la majorité les ont refusé. « Je les comprends. Je n'hésiterais pas à aller voir le concurrent d'un de mes fournisseurs s'il me garantit la même qualité de service pour un prix équivalent, voire inférieur », affirme Raymond Brousse. Même analyse pour Bernard Collomb-Muret qui n'a pas cherché à majorer ses prix : « Nous ne pouvons le faire que quand il s'agit d'un événement cohérent, comme l'augmentation du gazole. » A contrario, Carmelo Sgro, P-dg de GST, dont le système d'exploitation interdit toute solution alternative, a instauré une participation intitulée « crise du Mont-Blanc », mentionnée sur les factures. Elle sera supprimée dés que le tunnel rouvrira. « Nous demandons 250 F de plus par demi-chargement. Les clients l'ont accepté. Mais cela ne suffit pas à couvrir nos surcoûts. » Pour ne pas passer dans le rouge, Trans Europe a choisi d'optimiser le chargement de ses véhicules, tout en augmentant le recours à l'affrètement. Raymond Brousse reconnaît ne plus être aussi réactif qu'à l'accoutumée pour répondre à certains appels d'offres italiens : « Nous avons eu de la chance dans notre malheur. Nous vivons une période de suractivité avec une demande plus soutenue qui nous a permis de nous orienter vers d'autres marchés, d'autres trafics, même si cela demeure du coup par coup. » André Chevrier lui fait écho : « On s'en est bien sorti par rapport aux restaurants et aux stations-service de la vallée. Nous avons un outil de production mobile avec une possibilité de réagir très vite. » C'est ainsi qu'en un an, son entreprise a malgré tout augmenté son chiffre d'affaires, en se redéployant notamment sur les marchés grecs. Même scénario pour GST, qui a accru de 47 % son volume d'affaires réalisé en Italie, malgré des coûts de revient plus élevés. SET s'est recentrée sur le national, l'Angleterre, l'Allemagne et la Hollande. Lors du premier trimestre 2000, elle a enregistré une augmentation de 23 % de son chiffre d'affaires. Elle assure encore sept ou huit voyages en Italie par semaine, mais en a arrêté quatre qui n'étaient pas rentables à cause d'enlèvements trop complexes.

Si, dans l'ensemble, les transporteurs ont relativement bien surmonté la fermeture du Mont-Blanc, tous déplorent l'absence de soutien. « Nous n'attendions pas d'aides pécuniaires, mais par exemple des réductions sur les péages autoroutiers pour nous rendre dans la Maurienne, ainsi qu'au Fréjus, ou encore des procédures plus simples et plus réalistes pour obtenir un report du paiement des cotisations sociales », explique Carmelo Sgro.

Horizon 2010

Selon le Conseil national des transports (CNT), à l'horizon 2010, le trafic routier pourra varier de 7 à 20 millions de tonnes au Fréjus et de 14 à 37 MT au Mont-Blanc. La capacité totale a été estimée à 48 millions de tonnes pour le Fréjus et 20 MT pour le Mont Blanc, ce qui représente respectivement huit et trois mille camions par jour. L'Institut national de recherche sur les transports et la sécurité (INRETS) considère que le trafic global transitant au Mont-Blanc et au Fréjus pourrait osciller entre 26 MT et 35 MT, tandis qu'il se situerait entre 21 et 28 millions par an, si la Suisse s'ouvrait au trafic de l'Union européenne.

En 1998, selon les derniers chiffres disponibles, le transit routier de marchandises dans les Alpes a représenté 2 100 poids lourds par jour soit 13,5 millions de tonnes par an pour le tunnel du Mont-Blanc ; 2 140 poids lourds par jour, soit 12,8 millions de tonnes de marchandises par an pour le Fréjus ; 380 poids lourds par jour pour le col de Montgenèvre ; 2 670 poids lourds par jour soit 12,9 millions de tonnes de marchandises pour Menton-Vintimille. La même année, le tunnel du Brenner, en Autriche, a enregistré une moyenne de 3 780 poids lourds par jour.

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