« Notre organisme compte une soixantaine de membres », annonce officiellement Jacques Rossi, secrétaire général du GNTC, le Groupement National des Transports Combinés qui assure la défense des utilisateurs français du ferroutage. Un club d'initiés, au sein duquel se mêlent transporteurs routiers, représentants du transport ferroviaire et opérateurs. Ces derniers sont propriétaires de la quarantaine de coûteux terminaux de transbordement qui permettent de transférer les caisses mobiles de la route sur le rail. En France, ils sont deux. Outre la Compagnie Nouvelle des Conteneurs (filiale de la SNCF), qui assume également une fonction de transporteur, Novatrans reste le prestataire privilégié des transporteurs routiers pour le transbordement et l'acheminement des caisses mobiles via le rail. Selon Bernard Chion, directeur commercial de cette société, dont la SNCF détient la plus grande part du capital : « Nous avons 150 clients nationaux réguliers et autant à l'international. » De son côté, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) constate que « moins de 0,5 % » des transporteurs routiers français recourent au rail-route et que « moins de 10 sociétés représentent les deux tiers de l'activité de Novatrans » (1). Le ferroutage ne serait-il rentable que pour une minorité de transporteurs ?
Des leaders incontournables. Les principaux clients de Novatrans alignent tous un parc impressionnant de caisses mobiles. Certains plus de 500... comme l'entreprise TAB qui achemine par le train « pas moins de 2 500 caisses par mois », indique son P-dg, Jean-Claude Brunier. Basé à Montpellier dans l'Hérault, TAB réceptionne des marchandises générales aussi bien à Londres, qu'à Rotterdam ou Milan et jusqu'en Espagne pour un chiffre d'affaire annuel de 160 millions de francs. Quant à Initial Rouch Intermodal, un autre leader français du transport combiné, il est propriétaire de 350 caisses mobiles de 13,60 m, en carrosseries fourgons ou rideaux coulissants. Cette entreprise dispose également d'une cinquantaine de tracteurs en propre. Elle en exploite presque autant en sous-traitance. « Avec notre réseau d'agences et de centres d'exploitation, nous assurons des relations de l'Espagne ou d'Italie jusqu'à la Belgique, en passant par Bordeaux ou Avignon, Paris et Lille », explique Jacky Camilleri, directeur général d'Initial Rouch Intermodal, qui siège à Villeneuse-la Garenne, dans le département des Hauts-de-Seine. Cette entreprise a réalisé un chiffre d'affaires de 180 millions de francs en 1999 dont 28 % à l'international. Considérée comme un des pionniers du ferroutage en France, technique qu'elle maîtrise depuis les années soixante, Rouch expédie pas moins de 28 000 caisses par an, et jusqu'à 120 par jour, pour une centaine de chargeurs, de l'industrie chimique à l'agro-alimentaire en passant par le high-tech. Son portefeuille client comprend notamment Elf Atochem, Philips, Siemens et Nestlé. Autre exemple : les Transports Mora, près de Dax, expédient en moyenne mille caisses mobiles par mois. « Avec des départs de la région Aquitaine, bien sûr, mais aussi de la région Midi-Pyrénées via Toulouse ou Perpignan en direction du Benelux », précise leur P-dg, Jean-Michel Batailler. Traits caractéristiques de ces entreprises : elles exercent la technique du ferroutage depuis longtemps. Pour elles, c'est une évidence, le combiné est moins cher que la route, car elles ont pu réunir, ce que Pierre Niérat, chercheur à l'INRETS, appelle les « ingrédients de la rentabilité ». Implantées à proximité des chantiers de transbordements sur l'axe nord-sud, dotées d'une très bonne organisation en dessertes terminales, notamment grâce à un réseau efficace de sous-traitants, elles maîtrisent un important volume de fret, en garantissant à leur clientèle une livraison en 24 heures grâce à une logistique bien huilée, en « saut de nuit » : chargement initial pour un départ jour A à 20h, traction par ferroutage, arrivée jour B à 6h et acheminement terminal.
Des outsiders découragés. Mais, au-delà de ces trois modèles leaders, auxquels pourrait encore s'ajouter le groupe Charles-André, qui aligne des centaines de citernes mobiles pour produits chimiques liquides, le tableau est beaucoup moins flatteur pour le rail-route. Les exemples et anecdotes ne manquent pas, de transporteurs routiers qui se sont lancés sur ce marché et s'y sont cassé les dents, quand ils n'ont pas dû faire face à la concurrence tarifaire de la SNCF ou de ses filiales. Un témoignage parmi d'autres, celui des Transports Chazot, basés à Saint-Etienne dans le département de la Loire. « Nous étions partisans du ferroutage, mais la ligne ferroviaire Lyon-Bordeaux par laquelle nous acheminions deux caisses par jour n'était vraiment pas fiable, avec souvent des retards de 2 à 3 jours », rappelle, encore échaudé, le P-dg, Max Chazot, en ajoutant : « Finalement la ligne a fermé en 1995, en plein mois d'août. Et nous n'avons été prévenu que 15 jours avant. » Raison invoquée par la SNCF : pas suffisamment de volume pour rentabiliser la liaison. Le coût de la traction ferroviaire impose en effet une massification des flux, laquelle n'est aujourd'hui assurée que sur l'axe nord-sud.
Dans une étude sur les enjeux du marché rail-route, l'Ademe rappelle que le coût d'acheminement d'une caisse mobile rail-route intègre le parcours principal effectué par mode ferroviaire (il correspond de 30 % à 40 % du coût global), le passage par chantier où se réalise le transfert modal (20 % à 30 %) ainsi que les parcours depuis le point d'enlèvement jusqu'au chantier départ et du chantier arrivée au point de destination final (30 % à 50 %). A cela s'ajoute l'acquisition des caisses mobiles, ou Unités de Transport Intermodal (UTI) et de châssis routiers spécifiques.
Ce matériel nécessite un investissement de 20 % supérieur (une caisse mobile pour 100 à 120 KF, ainsi que deux châssis à 125 KF, un pour chaque extrémité de la liaison ferroviaire) à celui de l'acquisition d'un matériel purement routier. Dans une fiche technique à destination des transporteurs routiers, le GNTC rappelle que « le choix du type de contenant, semi-remorque ou caisse mobile mérite la plus grande intention. Si la semi-remorque est un véhicule essentiellement conçu pour la route, en revanche l'ensemble caisse mobile/châssis, de tare supérieure, moins homogène, ne présente pas la même adaptation à la circulation routière en zone longue. Il faudra donc considérer l'importance relative du parcours routier en utilisation annuelle pour tenir compte de l'avantage technique, mais savoir aussi que la caisse mobile, par sa faible tare sur wagon, par son volume offert plus important, peut présenter un bilan plus profitable en raison de la structure tarifaire par tranches de poids de Novatrans ».
Une tarification opaque. Afin d'acheter ou de louer cet équipement adapté aux contraintes du transport combiné, l'État propose une aide financière. Les transporteurs peuvent avoir accès à des fonds régionaux d'aides, notamment dans les régions Nord-Pas-de-Calais, Aquitaine et Midi-Pyrénées. Ils peuvent également bénéficier du contrat « TOP » mis en place à l'initiative de l'Ademe, de la Direction des Transports Terrestres et d'EDF. Il s'agit d'une bonification qui équivaut à une subvention aux taux de 25 % pour les nouveaux venus à la technique et 20 % pour les développeurs. Pour obtenir cette subvention auprès de Sefergie (organisme de financement spécifique, dépendant lui aussi de la SNCF), « les entreprises doivent s'engager à réaliser un minimum de 50 voyages/an/caisse pour les transporteurs "accédants" ; 100 voyages/an/caisse en trafic intérieur ou 50 voyages/an/caisse en trafic international pour les transporteurs déjà utilisateurs du combiné », indique l'Ademe. Depuis leur mise en place en 1990, les contrats TOP auraient financé 1 531 matériels, pour un montant de 170 millions de francs (188 en 1999, représentant 20 millions de francs).
Outre la distance minimum à parcourir pour que l'usage du rail-route soit compétitif par rapport à la route, le volume de fret apparaît donc comme un paramètre essentiel. Mais la tarification reste opaque. « Pour un envoi à 750 km, le rail-route permet un gain théorique de 20 % par rapport à une solution tout route ; et jusqu'à 33 % pour un envoi à 1 000 km », estime l'Ademe qui situe approximativement à 500 km, le seuil à partir duquel le ferroutage est plus compétitif que le route de bout en bout. Pour obtenir ce résultat, l'organisme évalue le coût de la traction ferroviaire, transbordement compris, à environ 800 F plus 3 F par km pour une UTI de 40 pieds de long. « C'est beaucoup plus complexe que cela », réplique Bernard Chion, le directeur commercial de Novatrans qui facture ces deux postes au transporteur routier, mais qui n'est pas prompt à divulguer sa « mécanique tarifaire ». « Sachez que pour une caisse mobile classique (13,60 m) avec un poids total en charge de 5 t et qui ne nécessite pas l'emploi de wagon particulier, un ticket Paris-Marseille ça coûte 2 400 F », indique pour seule référence Bernard Chion qui préfère provoquer avec son client un entretien pour en discuter de gré à gré. Une chose est sûre la tarification dépend du type de matériel utilisé (caisse mobile, semi-remorque...), de son gabarit (7,15 m, 13,60 m...), du type de wagon qu'il nécessite, de la tranche de poids et enfin de l'itinéraire. Au total, il y a quatre tranches de tonnage multipliées par le nombre de relations exploitées par Novatrans sur la France. Ensuite, « la tarification dépend également de la structure de trafic du client, de la façon dont il souhaite l'organiser et de la dimension de son entreprise ». Chez Initial Rouch Intermodal, on reconnaît que « le tarif tient compte du volume donné à l'opérateur », qui impose des délais de paiement de 30 jours. Si le coût économique (et social) de la traction ferroviaire freine depuis longtemps la compétitivité du transport combiné, celui-ci est également pénalisé, aujourd'hui par l'alourdissement des charges qui pèsent sur le transport routier. « Une entreprise qui parvenait, il y a dix ans, à réaliser un minimum de trois opérations par jour et par chauffeur, avec moins de 50 % de parcours à vide, n'en réalise aujourd'hui que... 2,4. Tout simplement par ce que cela prend plus de temps en raison des embouteillages qui se sont aggravés dans les zones urbaines », fait remarquer Pierre Niérat, qui oublie au passage la charge nouvelle imposée par des réglementations sociales plus contraignantes.
Depuis plusieurs années, la grande majorité des initiatives étatiques ou privées visent à améliorer la qualité de service de la partie ferroviaire tout en réduisant ses coûts. Mais, rien ou presque n'est entrepris pour améliorer la rentabilité des dessertes terminales qui concernent pourtant directement les transporteurs routiers. Ces derniers doivent faire avec les aides financières (Serfergie et contrats TOP), auxquelles s'ajoute une multitude de livres, films, cédérom et articles de presse... qui présentent le transport combiné comme « la solution aux nombreux problèmes de sécurité, de congestion et de pollution nés de la multiplication des camions en circulation ». Des incantations qui ne pèsent pas bien lourd face à la réalité économique.
(1) dans « Les Enjeux du Transport Combiné rail-route », collection Réalités et perspective, Ed. Celse. 1998
La Compagnie nationale des containers (CNC) dont la majorité du capital appartient à la SNCF est également un opérateur de transport combiné. Contrairement à Novatrans, elle assure directement le « porte-à-porte » aux chargeurs, soit en compte propre, soit en utilisant la sous-traitance. « Toutefois quelques transporteurs font aussi appel à ses services, explique l'Ademe, notamment dans le cas de déséquilibre entre les volumes de fret à l'aller et au retour, sa tarification au voyage permettant de limiter les risques de parcours à vide ». Au total, la CNC exerce son activité sur 36 centres de transbordement répartis sur tout le territoire national. Elle est propriétaire de 9 500 UTI et de 5 000 wagons spécialisés. C'est également la CNC qui assure la manutention de TransEuroChem dont elle détient 30 % du capital. Ce GIE spécialisé dans l'acheminement des produits chimiques est détenu à hauteur de 40 % par la SNCF qui assure la traction ferroviaire et par Bourgey-Montreuil (30 % du capital) qui réalise les prestations terminales. Quant à Froidcombi (ex-Chronofroid), spécialisée dans le transport de produits périssables, elle est devenue un opérateur ferroviaire à part entière « au service des transporteurs, à l'instar de Novatrans », précise l'Ademe. Son capital est détenu à 51 % par le Groupe CTT Sceta, 24,5 % par STEFF-TFE et le reste par La Flèche cavaillonnaise dont le directeur assure la présidence.
Troublant point commun entre ses différents acteurs, comme avec de nombreux autres : la SNCF (qui est aussi le seul fournisseur français de traction ferroviaire) occupe toujours le devant de la scène dans la répartition du capital. Y compris dans celui de Novatrans, qui se présente pourtant bien volontiers comme l'opérateur des transporteurs routiers.
D'après l'Ademe, la facturation d'une opération de transport combiné prend en compte les coûts directs (négociation avec la SNCF, investissements en matériel, exploitation de l'interface) et indirects (frais commerciaux, administration du système) qui en résultent. Elle se fait soit pour l'aller-retour (Novatrans), soit pour le parcours simple (auquel cas des tarifications plus ou moins attractives peuvent exister pour tenter d'équilibrer les trafics).
Pour fournir un ordre de grandeur du montant obtenu, on peut situer la valeur moyenne aux environs de 800 F plus 3 F par km pour une UTI de 40'. Le dernier poste (transport routier originel et terminal) est variable selon l'organisation de l'entreprise qui l'effectue et la distance parcourue. Ici, plus que le kilométrage, c'est le nombre de rotations effectuées qui détermine le coût. Ainsi, un véhicule affecté à ce type d'opération revient approximativement à 2 100 F par jour (tout compris). C'est-à-dire que les 2 voyages extrémités représentent 700 F s'il est possible de réaliser 6 rotations au départ et autant à l'arrivée. Ces montants permettent de situer le seuil à partir duquel le rail-route est compétitif. L'équilibre se fait approximativement à 500 km (3 000 F par la route, à 6 F/km, ce qui vaut 800 F+1 500 F+700 F pour le rail-route), éloignement minimum pour que le multimodal soit financièrement intéressant comparativement à la route.
L'avantage s'accroît ensuite de façon sensible avec les distances :
> pour un envoi à 750 km, le rail-route permet un gain théorique de 20 % par rapport à une solution tout route ;
> pour un envoi à 1 000 km, le rail-route permet un gain théorique de 33 % par rapport à une solution tout route.