Mariage d'intérêts publics

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Geodis n'a même pas commencé à intégrer les activités du Sernam que son actionnaire principal, la SNCF, annonce la conclusion d'un accord de rapprochement financier et opérationnel avec La Poste. Si ce projet aboutit, il donnera naissance à un groupe de transport et logistique pesant 38 milliards de francs de chiffre d'affaires, avec des capitaux exclusivement publics. Un géant franco-français aux ambitions mondiales. Explications.

Après plusieurs mois de discussions, La Poste et la SNCF ont dévoilé, le 30 mars, les grandes lignes de leur alliance en transport et logistique, par l'intermédiaire de leurs filiales Geodis (pour la SNCF) et Coelo (Société holding des filiales colis et logistiques de La Poste). La compagnie ferroviaire s'était préalablement engagée à céder son service messagerie, le Sernam, à Geodis.

Selon l'accord conclu le 30 mars, la SNCF devrait se défaire aussi d'une partie des actions qu'elle détient dans Geodis. Au terme d'une augmentation du capital, elle n'en conservera que 24,5 % (contre 43,8 % actuellement) tandis que La Poste en prendra 24 %. Les autres actionnaires de Geodis - Salvepar (Société Générale), les AGF, le public (Geodis est coté au Second Marché) et les salariés - devraient continuer à se partager le reste du capital.

Dans un deuxième temps, sera créée une holding commune détenue à 51 % par La Poste et 49 % par Geodis. Cette nouvelle société prendra le contrôle (60 %) de la Société holding des filiales colis et logistiques de La Poste (Coelo). Les 40 % restant seraient laissés aux postes italienne, espagnole, portugaise et grecque avec lesquelles La Poste a conclu une alliance il y a quelques semaines (cf. L'OT n° 2067). Un autre partenaire, de dimension mondiale, pourrait encore se glisser dans le capital de Coelo. Parmi les candidats à cette prise de participation figure TNT Post Group. La poste privée néerlandaise vient de s'allier avec la britannique Royal Mail, mais clame qu'elle conclura un accord avec La Poste et ses partenaires avant l'été. Les intégrateurs américains UPS et Fedex sont également sur les rangs, ce dernier faisant figure de favori. Grâce à l'un de ses trois futurs alliés, La Poste prendrait enfin son envol à l'échelle internationale. « Deutsche Post (11,43 Md d'euros de CA) et TNT Post Group (4,73 Md d'euros), nos principaux concurrents européens, sont des groupes de taille mondiale », avoue Claude Bourmaud, président de La Poste.

La carte mondiale. Une envergure à laquelle ne peut actuellement prétendre le groupe français. Une fois associé à Geodis/Sernam, il pèsera certes 5,8 milliards d'euros (38,3 milliards de francs) de chiffre d'affaires. Ce qui lui permet théoriquement de dépasser TPG pour s'emparer de la deuxième place européenne derrière Deutsche Post. Mais, concrètement, La Poste, comme Geodis ou le Sernam, manque cruellement d'implantations et de parts de marché hors du territoire français. Pour « se placer parmi les premiers opérateurs postaux dans le monde et mieux accompagner les besoins des clients », et « s'adapter à un marché stimulé par le commerce électronique », La Poste entend donc poursuivre la stratégie adoptée ces dernières années en mixant « partenariats avec création de sociétés communes dédiées à des activités express qui seront franchisées » et « croissance externe ». Pour réaliser ses acquisitions, le groupe public dispose d'une enveloppe de 3 milliards de francs, tirée d'un budget total d'investissement de 7 milliards de francs en 2000. « Notre croissance n'est pas financée par une hausse du prix du timbre », signale la direction du groupe, égratignant au passage la Deutsche Post, dont la Commission Européenne examine actuellement les modes de financement, suspectés d'être fondés sur une exploitation abusive du monopole postal allemand.

La promesse du commerce électronique. La stratégie de La Poste est bien entendu acceptée par les ministères de tutelle. Ainsi, dans un communiqué commun, Laurent Fabius (Économie et Finances), Jean-Claude Gayssot (Transports) et Christian Pierret (Industrie) affirment que : « L'objectif stratégique poursuivi pour le nouvel ensemble [...] est de fournir une offre globale de qualité dans les domaines du colis rapide, de l'express, de la messagerie et de la logistique. Ce rapprochement vise à répondre aux nouveaux besoins des entreprises et des particuliers, appelés à connaître une forte croissance, notamment avec le développement du commerce électronique. » Selon les prévisions avancées par La Poste, ce dernier créneau serait des plus porteurs : « En 2003, le marché mondial du transport et de la logistique du commerce électronique pourrait égaler celui du courrier et représenter un volume potentiel de 800 MdF. »

De quoi compenser la suppression d'une partie du monopole postal prévue par une directive européenne dont l'entrée en application en France fait toujours l'objet de discussions... Loin de toute idée européenne de libéralisation, le communiqué ministériel souligne même que « la perspective de rapprochement entre les sociétés Geodis et Coelo vise à développer toutes les synergies industrielles, autour d'un grand pôle public animé par la SNCF et La Poste ».

Une domination écrasante. Derrière ces discours, les autorités françaises et européennes de la concurrence distingueront-elles des risques d'abus de position dominante dans l'alliance Poste/Geodis ? En messagerie traditionnelle, l'association Sernam/Calberson cumule plus de 6 milliards de francs de chiffre d'affaires annuel (devant les 5 MdF de Gefco et les 3 MdF de Mory). En express, l'ensemble Calberson/Coelo/Sernam frôle les 7 milliards de francs (près de trois fois plus que Jet Services). En monocolis, Extand (Geodis), Dilipack (La Poste) et DPD France (que La Poste est en train de reprendre) représentent plus de 3 milliards de francs de chiffre d'affaires (plus du double de l'activité de leur principal concurrent, Exapaq). Mais, l'opacité des comptes comme de la communication, voire l'éclatement des mêmes activités au sein de plusieurs filiales, limitent autant la visibilité que la puissance de feu commerciale. Un constat qui pourrait suffire à fermer les yeux des autorités, comme il semble laisser de marbre les concurrents privés.

Pour l'instant, les seules véritables réactions émanent de certains syndicats de salariés. La fédération CFDT des Postes et Télécommunication a ainsi demandé des clarifications sur l'accord Geodis/La Poste pour « garantir les risques financiers », « assurer le développement de l'activité et de l'emploi » et « éviter des transferts d'activités de La Poste ». La CGT craint, de son côté, que l'opération se réalise au détriment de l'emploi et qu'elle constitue une « étape supplémentaire vers la privatisation des structures de La Poste ». Elle redoute que le regroupement « menace des milliers d'emplois » et n'ait des conséquences pour « le devenir et le statut des salariés de TAT Express et du Sernam positionnés sur le même créneau, de Chronopost et d'Extand, proposant des services identiques » ainsi que pour « celui de Dilipack et de Colipost ».

Des déclarations qui augurent d'autres difficultés que devront affronter les nouveaux mariés, si leur union est validée : harmoniser leurs structures et les différents statuts, publics ou privés de leurs personnels.

Résultats
100 milliards de francs en 1999

Le groupe La Poste affiche un chiffre d'affaires 1999 de 100,5 milliards de francs, en hausse de 7,6 %. Le résultat net atteint 1,86 MdF, contre 337 millions de francs en 1998. Le pôle colis et logistique du groupe représente 12,7 % du chiffre d'affaires total, soit 12,8 MdF en 1999. Un bond de +31,5 % par rapport à 1998. L'activité courrier connaît, pour sa part, une progression de 4,2 % à 64 MdF.

Ses résultats permettent au groupe La Poste de dégager une marge brute d'auto-financement de 6,4 MdF en 1999. En l'an 2000, il compte investir 7 MdF, dont 3 MdF en croissance externe pour le courrier international ainsi que pour l'activité colis et logistique en France et en Europe.

Un ensemble de poids

- Coelo - Chronopost (plis et colis express 0 à 30 kg) : 3,1 MdF de CA. - Tat Express (Express industriel 0 à 140 kg) : 1 MdF de CA. - Denkhaus (monocolis B to B de 0 à 31,5 kg en Allemagne et Europe) : 2,2 MdF de CA. - Publi-Trans (services logistiques en amont et aval du transport) : 0,3 MdF de CA. - Coliposte* (colis particuliers à particuliers, entreprises à particulier) : 5 MdF de CA . - Dilipack* (monocolis) : 0,7 MdF de CA.

* Coliposte et Dilipack ne sont pas des «filiales» mais des «opérateurs internes»

- Geodis (principales filiales France) - Branche messagerie : Calberson (messagerie traditionnelle et express) : 6,6 MdF de CA, Extand (express, monocolis) : 1,3 MdF. - Branche route : Bourgey Montreuil (transport lot complet marchandise générale, vrac) : 3,5 MdF de CA. - Branche Logistique 4,2 MdF de CA.

- Sernam (messagerie rapide/ express, industrielle/colis) : 3,8 MdF de CA.

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