Ce n'est pas encore un mariage, mais cela ressemble fort à des fiançailles. Le 15 mars dernier, le conseil d'administration de Geodis (filiale à 43,6 % de la SNCF) a approuvé, à l'unanimité, les modalités de reprise du Sernam. Selon le schéma retenu, le groupe de transport et de logistique devrait prendre une participation de 60 % dans le capital et les droits de vote de l'ex-service messagerie de la SNCF, filialisé depuis le 1er février dernier. L'entreprise ferroviaire conservera les 40 % restants ainsi que l'important patrimoine foncier et immobilier. Au terme d'une période transitoire de quatre ans - correspondant à la durée estimée du redressement financier du Sernam - Geodis pourrait porter sa part à 100 % dans le messager. Pour être effective, l'acquisition du Sernam par Geodis, groupe coté en Bourse, doit encore recevoir le feu vert de la Commission des participations et des transferts (ex-Commission des privatisations) et de la Commission européenne. Bruxelles devra, en effet, juger de son impact sur la concurrence et approuver l'apport de fonds de la SNCF, considéré éventuellement comme une aide publique. « Selon toute vraisemblance, la reprise de Geodis pourrait intervenir à l'automne », soulève un proche collaborateur de Guy Moynot, l'actuel directeur général du Sernam.
1,3 MdF pour le Sernam. Pour assurer la neutralité financière du transfert du Sernam sur les comptes de Geodis et rassurer les actionnaires du transporteur (Société Générale et AGF notamment), la SNCF s'apprête en effet à recapitaliser son ancien service déficitaire (550 MF de pertes en 1999) à hauteur de 1,3 milliard de francs. Cette enveloppe est notamment destinée à couvrir les pertes d'exploitation, les dépenses de restructuration ainsi que les surcoûts (non encore chiffrés) liés au transfert des personnels à statut cheminot du Sernam dans Geodis. De plus, l'opérateur national va engager un prêt participatif de 250 MF censé amortir une partie des investissements que Geodis devrait entreprendre et dont le montant dépasserait les 400 MF. « Grâce à ces engagements financiers, cette acquisition n'aura pas d'impact négatif sur nos propres résultats consolidés », souligne Alain Poinssot, le président de Geodis. Lequel ambitionne également de redresser les comptes du Sernam en quatre ans. Par la suite, le Sernam devra atteindre un niveau de rentabilité « conforme aux normes du groupe Geodis dans le métier de la messagerie ». Soit une marge opérationnelle équivalente à 3 % du chiffre d'affaires.
Des sous-traitants laissés pour compte ? Le redressement du Sernam s'appuiera notamment sur une diminution de son chiffre d'affaires (3,8 MdF en 1999) et sur la fermeture de 45 sites de production (agences et chantiers) sur les 93 implantations actuelles. Ce qui se traduira par la suppression de 2 300 emplois sur un effectif de 5 200 personnes. Cette question est actuellement en cours de discussion entre la direction de la SNCF et les organisations syndicales. Les deux parties doivent s'entendre sur la signature d'un « protocole social », le tout sur fond d'élections des représentants du personnel (délégués du personnel et membres du comité d'entreprise) à la SNCF et au Sernam. « Ce qui perturbe les négociations », note Guy Sermet, délégué CFDT Sernam. Le « protocole social », qui sera présenté aux partenaires au cours d'une table ronde, le 27 mars, doit notamment régler le sort des 3 500 salariés du Sernam à statut cheminot. 1 550 d'entre eux seraient repris au sein de Geodis. Une période de trois ans leur sera accordée au cours de laquelle ils pourront demander leur réintégration à la SNCF. La population des 816 conducteurs employés par Sernam Transport (ex-Sceta), la partie camionnage du Sernam, resterait, elle, en l'état. Les 842 contractuels PS25 (des salariés en contrat à durée indéterminée) bénéficieront, quant à eux, d'une garantie exceptionnelle de reclassement à la SNCF en cas de perte d'emploi dans Geodis. 550 d'entre eux devraient rejoindre le groupe de transport. Reste le cas des 2 500 sous-traitants du Sernam, sociétés de manutention (environ 500 personnes), tractionnaires et artisans transporteurs chargés de l'enlèvement et de la distribution des colis. Louis Gallois, le président de la SNCF, avait annoncé le lancement d'une étude préalablement à toute décision. Une proposition restée lettre morte. « A l'évidence, ces entreprises paieront le plus lourd tribut au redressement du Sernam », affirme un syndicaliste. L'histoire du Sernam restera celle d'un énorme gâchis, avec l'accumulation, au cours des cinq dernières années, d'un déficit proche des deux milliards de francs. « Un bel outil mal utilisé », concluait, en 1997, le rapport du Centre national d'études et de formation des salariés des transports et de l'équipement (Cenefoste, émanation de la CFDT).
Le syndrome Talbot. Parmi les dysfonctionnements, le Cenefoste diagnostiquait une gestion uniquement comptable et très centralisée, l'absence de développement européen. Reste maintenant à savoir comment le Sernam travaillera avec Calberson (intégré au sein de la branche messagerie de Geodis, 9,1 MdF de CA en 1999), deux entités culturellement antagonistes. Quid des synergies, du plan de transport, de la stratégie européenne, du système d'information ? Autant de questions qui restent en suspens. « Nous n'avons aucune visibilité sur le projet industriel, souffle un cadre du Sernam. Nous savons simplement que des cellules de travail communes à Calberson et au Sernam oeuvrent actuellement à la complémentarité des deux entités ». « Il n'est pas question de vider le Sernam. Au contraire, il apportera à Geodis des atouts spécifiques et des expériences nouvelles, notamment dans le domaine de la distribution vers les particuliers », assure-t-on chez Geodis. Où l'on insiste également sur la compétence des « Sernamiens ». Pour les rassurer, Alain Poinssot avait trouvé la formule magique : Calberson et le Sernam fonctionneront de manière autonome sur le même mode de gestion que PSA, qui exploite à la fois Peugeot et Citroën. Au Sernam, on redoute aujourd'hui le syndrome Talbot, marque automobile autrefois absorbée, puis démantelée par PSA.
> Geodis devrait acquérir 60 % du capital et des droits de vote du Sernam. Une opération qui pourrait intervenir à l'automne.
> En 1999, le Sernam a réalisé un chiffre d'affaires de 3,8 MdF dont 41 % en messagerie, pour un déficit avoué de 550 MF.
> Alain Poinssot, président de Geodis, ambitionne d'équilibrer les comptes du Sernam en quatre ans. En attendant, la SNCF va recapitaliser son ex-service messagerie, filialisé depuis le 1er février, à hauteur de 1,3 MdF.
En marge de la reprise du Sernam par Geodis, les discussions entre La Poste et la SNCF se poursuivent. Celles-ci visent à constituer un pôle public opérant dans les domaines du colis et de la logistique. La SNCF serait ainsi disposée à ramener sa participation dans Geodis autour de 24,5 % (contre 43,6 % actuellement). Dans le même temps, l'opérateur postal y ferait son entrée à hauteur de 24 %. Lors du forum économique de Davos en février dernier, Alain Poinssot, le président de Geodis, avait indiqué que le total cumulé des deux entreprises publiques dans le capital de Geodis ne dépasserait pas les 49 %. En échange, Geodis entrerait dans le capital de Coleo, la société holding qui regroupe les filiales colis et logistique de La Poste (Chronopost, Denkhaus, Dilipack, Publitrans, TAT Express, etc.). Selon Jean-Pierre Leclerc, le président de SNCF Participations, un accord pourrait être signé « avant l'été ». Toutefois de nombreuses interrogations demeurent. Dans le secteur du colis, Geodis et La Poste devront par exemple régler la question de l'articulation entre Extand (filiale colis de Geodis), Dilipack (filiale de Coleo) et DPD, réseau de franchisés spécialisé dans le monocolis que la poste française est en passe de contrôler. Reste aussi à connaître les intentions des pouvoirs publics sachant que le mariage SNCF/La Poste implique tout à la fois les ministères des Transports, de l'Industrie et des Finances.