Les dernières apparitions de Maurice Voiron dans les médias, il les doit à sa qualité de maire de Jarnac, devenue une ville de pèlerinage « accueillant plus de 300 000 visiteurs » depuis que le cimetière de la ville abrite la dépouille mortelle de François Mitterand. Maurice Voiron a été aussi conseiller général mais, petit à petit, il se démet de ses fonctions politiques « pour laisser place à du sang neuf », une philosophie qu'il entend appliquer également à ses activités professionnelles.
Mais, actuellement, bien que « retiré des affaires », il exerce encore des fonctions dans le milieu du transport et préside la Carcept, la Caisse autonome de retraite complémentaire et de prévoyance du transport. Car, Maurice Voiron reste avant tout transporteur routier, et c'est à ce titre que la FNTR l'a mandaté pour cette mission.
Un geste de reconnaissance pour services rendus par une organisation professionnelle dont il a assuré la présidence pendant 7 ans, de 1982 à 1989, sans ménager son énergie. Une époque particulièrement délicate pour une profession qui amorçait alors la plus grande mutation de son histoire et qui avait besoin d'un homme de stature et de conviction pour défendre ses intérêts face à un ministre issu de l'alternance de 1981, lui-même homme de convictions... « mais qui n'étaient pas forcément convergentes ». Son profil de tribun, son verbe haut, ses formules au démonte-pneu, ont fait de Maurice Voiron l'homme de la situation.
En 1984, il entraîna toute la profession « dans la première grande grève de son histoire » : la manière dont avaient été traités les transporteurs routiers, coincés dans les vallées alpines par une grève des douaniers italiens, provoqua une vive réaction des « bloqués » qui décidèrent de devenir les « bloqueurs ». Et, comme ces manifestations avaient pour toile de fond la signature des décrets d'application de la Loi d'Orientation des Transports Intérieurs, ce fut, pour le président de la FNTR, l'occasion de tirer une salve de semonce.
Si les barrages de janvier dernier répondaient à des motivations bien différentes, la manière dont l'administration traitait les dossiers, elle, n'avait pas changé en dix ans. « Il n'y a pas de véritable dialogue. On rencontre toujours les mêmes blocages et les pouvoirs publics n'agissent que sous la contrainte des événements », constate Maurice Voiron.
L'Officiel des transporteurs Magazine : comment avez-vous vécu la manifestation des transporteurs relative à l'application de la réduction du temps de travail dans le secteur routier ?
Maurice Voiron : je me suis senti tout à fait solidaire des chefs d'entreprises qui manifestaient. Quoiqu'en retrait depuis que j'ai cessé mes activités, je reste toujours à l'écoute de la profession.
D'autre part, j'ai pu suivre avec attention tout le déroulement de ces manifestations par fils interposé. Il m'a succédé à la tête de l'entreprise et a participé lui-même aux barrages sur le site de Biriatou, à la frontière espagnole.
Parallèlement, je me suis félicité de la maestria avec laquelle la profession, et notamment la Fédération Nationale des Transporteurs Routiers, a conduit cette opération. Cette manifestation a été très bien organisée et a connu un dénouement rapide.
Au fond, quand on regarde de près, la lisibilité des revendications qui étaient formulées à l'occasion du débat sur les 35 heures était claire : personne en définitive, n'était totalement opposé à la réduction du temps de travail. Il y avait des modalités à trouver. C'est tout. Car, du fait de ses activités spécifiques, le transport routier, par sa diversité, ne peut entrer tout entier dans le même moule. On retrouve ici la grande erreur d'inspiration jacobine !
Ce qui est terrible, c'est de savoir que ces manifestations auraient pu être évitées si la sagesse avait prévalu. Pourquoi les pouvoirs publics, avant de publier leur décret sur la réduction du temps de travail dans la profession, n'ont-ils pas tenté de dégager un dénominateur commun pour, ensuite, s'appuyer sur cette base ?
L'administration a toujours tendance à intervenir, comme la cavalerie, mais, à l'issue de chaque conflit, c'est la profession qui, chaque fois, se retrouve un peu plus désarmée face à la concurrence des autres opérateurs.
OTM : vous estimez que les relations entre les pouvoirs publics et la profession n'ont pas changé ?
M. V : cela fait plus de dix ans que je ne suis plus en première ligne, mais, par ce que l'on me dit et par ce que je constate, elles ne semblent pas avoir véritablement évolué. Je ferais cependant une distinction : les relations avec les autorités locales ou régionales étaient bonnes et elles le sont restées. Mais par rapport au « monde décisionnel », celui de l'administration qui gravite dans les ministères, je remarque que les interlocuteurs actuels sont confrontés aux mêmes blocages. Il n'y a pas de véritable dialogue. Généralement, et comme on a encore pu le voir tout récemment, les pouvoirs publics n'agissent que sous la contrainte des événements.
OTM : lorsque vous étiez président de la Fédération Nationale des Transporteurs Routiers, quel sont les événements qui vous ont le plus marqué ?
M. V : ce sont, sans aucun doute, les manifestations de février 1984 et le contexte dans lequel elles se sont déroulées. Cela a été la première grande grève du transport routier en France. Or, depuis, beaucoup de choses ont évolué : la société a changé, le transport s'est transformé, les marchés ne sont plus les mêmes. Mais il est resté quelque chose d'immuable : Il est particulièrement navrant d'avoir à constater que l'appréhension du grand public à l'égard du transport routier, telle qu'elle s'est manifestée à l'époque, est restée la même. Il ne veut pas tenir compte de son rôle et de la place qu'il occupe dans l'économie. Malgré les efforts considérables qui ont été faits par la profession, au cours de ces dernières années, son image dans l'opinion n'a pas évolué. Je déplore, en outre, que ce soit un phénomène typiquement français...
OTM : quel regard en général, portez-vous sur l'évolution du transport routier au cours de ces dernières années ?
M. V : je me contente de regarder, mais ces évolutions me semblent comporter, à la fois, des aspects positifs et des aspects négatifs. Je remarque, en particulier, que le transport routier est passé du stade « romantique » à un métier qui est devenu hyperprofessionnel. Avec le développement des prestations logistiques, il a pris une place tout à fait prépondérante. Mais, alors que, d'un côté, la profession apporte de plus en plus de fiabilité et parvient à réaliser des opérations de plus en plus précises ou complexes, les éléments humains qui sont l'une des composantes essentielles du transport routier y ont beaucoup perdu. A mon sens, on ne peut que le regretter.
Ainsi, le couple chauffeur/camion qui était le véritable symbole du transport routier est en train de se dissocier et tend à disparaître. Parallèlement, les rapports qui existaient entre le salarié et son employeur ont profondément changé. Les chefs d'entreprises ont tendance à s'effacer derrière des gestionnaires ou des financiers qui n'ont pas la même approche du métier.
OTM : au cours des derniers mois, les regroupements d'entreprises se sont encore poursuivis. Comment analysez-vous ces mouvements de concentration ?
M. V : il faut bien constater que toute l'économie s'européanise et, en conséquence, les regroupements d'entreprises étaient devenus inéluctables pour obtenir une dimension qui soit à l'échelle du continent. J'estime même que c'était devenu une obligation pour certaines branches de la profession, mais je ne peux pas dire que cela me réjouisse...
Tous ces bouleversements qui sont intervenus au cours des dix dernières années étaient prévisibles. Nous les sentions venir, j'en ai moi-même vécu l'expérience dans mon entreprise. Néanmoins, face à cette concentration, je pense qu'il y aura toujours de la place pour les opérateurs qui font ce que j'appelle du « cousu main ». Il y aura toujours du travail pour ceux qui effectuent des transports bien ciblés, pour ceux qui exercent leurs activités sur des niches.
OTM : discernez-vous d'autres points d'évolution qui vont dans la bonne direction ou qui, au contraire, seraient plus aventureux pour la profession ?
M. V : l'évolution des matériels me semble particulièrement aller dans le bon sens. Les camions ont une meilleure ergonomie, ils sont de plus en plus fiables et, surtout, leur sécurité a été considérablement renforcée. En la matière, nous avons vraiment changé de monde.
A contrario, on peut surtout déplorer les rythmes inhumains qui sont imposés à la profession. Le manque de souplesse à laquelle conduisent certaines contraintes réglementaires est totalement inadapté à la profession. La manifestation consécutive à la publication du décret sur la réduction du temps de travail en est l'illustration. Nous sommes des entreprises de nomades et, à ce titre, il leur est difficile de se plier à des règlements qui visent, d'abord, des sédentaires.
Prenons un exemple : un conducteur qui a pris du retard dans une livraison pour un raison ou une autre, ne serait-ce qu'une simple crevaison, est obligé de s'arrêter au bord de la route parce qu'il a atteint les limites des temps de conduite réglementaires. S'il poursuit sa route, alors qu'il ne lui restait que quelques minutes pour regagner son entreprise, il est en infraction. En l'occurrence, le législateur a copié les techniques de la SNCF qui estime qu'il faut changer de conducteur au bout d'un certain nombre d'heures de conduite parce qu'ils sont fatigués en raison des cadences auxquelles ils sont également soumis. Les employeurs et leurs salariés sont les victimes de cette situation