Un décret au goût amer

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Le décret « 35 heures », qui concernera les 250 000 conducteurs routiers « marchandises », devrait entrer en vigueur le 1er février prochain, date d'application de la loi Aubry. Un texte à double lecture. Sur le fond, son contenu ne trahit pas les promesses ministérielles, mais l'appel prononcé à la négociation paritaire ainsi que l'adjonction de dispositions imprévues laissent un goût amer aux employeurs. Coté syndicats, le principe d'une action unitaire pour le 31 janvier est maintenu.

A première vue, les organisations professionnelles (FNTR, Unostra, Chambre syndicale du déménagement, TLF) ont gagné sur l'essentiel. Les principaux engagements pris par le ministre des Transports dans la nuit du 11 au 12 janvier en échange de la levée des barrages ont bien été pris en compte par les rédacteurs du décret. Lequel concernera tous les conducteurs routiers, « courte distance » comme « grands routiers ». Pour ces derniers, à compter du 1er février, la durée légale du temps de service est fixée à 39 heures par semaine ou 169 heures par mois. Le texte maintient, conformément aux promesses ministérielles, une durée maximale de 220 heures par mois et de 56 heures sur une semaine isolée. La durée du temps passé au service de l'employeur des personnels « courte distance » est, elle, arrêté à 37 heures hebdomadaires ou 160 heures par mois. Les chauffeurs « courte distance » effectueront une durée maximale de 208 heures mensuelles et de 48 heures sur une semaine isolée. Première surprise : ces mesures s'appliqueront à toutes les entreprises quelle que soit leur taille. En clair, l'application de la loi Aubry prévue en 2002 pour les transporteurs employant 20 salariés ou moins serait avancée de deux ans. Les pme du transport routier n'auront donc aucun délai supplémentaire pour s'adapter aux contraintes de la réduction du temps de travail. Et, pour ceux qui ne respecteront pas ces durées maximales, le décret prévoit un renforcement des sanctions avec, à la clé, des contraventions de cinquième classe.

Dans le camp du paritarisme. Autre chausse-trappe qui, selon les organisations professionnelles, « dénature les engagements du ministre » : le recours à la négociation paritaire. Concernant les durées maximales de temps de service des chauffeurs « courte distance », le décret invite ainsi les partenaires sociaux à poursuivre les discussions sur les classifications, lesquelles « devront permettre de préciser ces dispositions en les adaptant éventuellement aux différents métiers ». Un accord devra même être conclu au plus tard le 1er janvier 2001 ! En fonction de l'état d'avancement de ces travaux, la durée légale fixée à 37 heures hebdomadaires pourrait être ramenée à 35 heures par accord de branche ou d'entreprise ! Le décompte des horaires au mois devra, quant à lui, être validé par un accord d'entreprise ou, à défaut, par l'inspection du Travail. Une dernière disposition que Christian Rose, secrétaire national de l'Unostra, juge en contradiction avec la philosophie du texte. Le projet de décret prévoit, par ailleurs, de compenser, par la voie paritaire, le travail de nuit. La partie patronale s'estime également lésée sur le double équipage. Le temps non consacré à la conduite sera dorénavant compté comme travail effectif. « Sur les heures supplémentaires, la majoration due par l'employeur est portée à 50 % de la 44e heure à la 50e. Ce qui n'était pas envisagé lors de nos discussions avec le ministère », soulève encore la Fédération nationale des transports routiers. Enfin, le décret « zappe » littéralement le dispositif d'aides financières promis par Jean- Claude Gayssot à savoir des aides comprises entre 15 000 F et 21 500 F par salarié en contrepartie d'une réduction du temps de service à 220 heures pour les « grands routiers » et 208 heures pour les « courtes distances ». Le ministère des Transports a proposé aux employeurs un système beaucoup moins avantageux, instaurant des plafonds de 208 heures pour les « grands routiers » et de 160 heures pour les « courtes distances ». « Soumises à de telles conditions, les aides deviennent virtuelles », résume la FNTR.

Etroite marge de manoeuvre. Dans une déclaration commune publiée le 26 janvier, les quatre organisations professionnelles demandent « un aménagement du texte dans un sens davantage conforme aux promesses initiales ». Compte tenu du calendrier d'application de la loi Aubry, la marge de manoeuvre paraît bien étroite. « Nous continuons toutefois à négocier sur le montant et les modalités des incitations financières à la RTT, ces dispositions étant renvoyées à un texte complémentaire. Nous serons également très attentifs au contenu des circulaires d'application afin qu'elles ne compliquent pas davantage le mécanisme du décret », signale Guillemette de Fos, en charge de la communication à la FNTR. De leur côté, les syndicats de salariés ont confirmé la tenue d'une action unitaire sur les routes le 31 janvier prochain. CGT, CFTC, FO et FNCR revendiquent une majoration du taux horaire et des heures de nuit, l'obtention d'un 13e mois pour tous ainsi que des grilles de salaires conventionnels ramenées de 39 heures à 35 heures. Quant à la CFDT, elle ne n'accepte toujours pas « le coup des courtes distances » et des repos récupérateurs.

A retenir...

> « Le décret dénature les promesses ministérielles », estiment les organisations professionnelles (FNTR, TLF, Unostra et CSD). Principaux griefs : le décompte au mois des horaires soumis à autorisation administrative, l'application anticipée aux entreprises de moins de 20 salariés et l'absence d'un dispositif spécifique d'aides à la RTT.

> Le texte concernera tous les conducteurs routiers, « grands routiers » comme « courte distance » avec des plafonds mensuels fixés respectivement à 220 heures et 208 heures. Selon l'administration, le mécanisme des repos compensateurs se traduira par l'octroi d'une vingtaine de jours de congés supplémentaires par an et par salarié.

> Protestant contre le décret, les fédérations syndicales (FO, CFDT, CFTC, CGT, FNCR) appellent les salariés à participer à la journée d'action sur les routes le 31 janvier.

Repos compensateurs ou récupérateurs
Un système hybride

En matière de repos compensateurs, l'administration se félicite d'avoir concocté « un régime réglementaire adapté et contrôlable ». En fait, le ministère a coupé la poire en deux en se référant tout à la fois à l'accord social de 1994 et au Code du travail. Ainsi, les « grands routiers » pourront bénéficier soit des repos récupérateurs, soit des repos compensateurs légaux (article L 212-5-1 du Code du travail). En l'absence d'accord d'entreprise, le choix du dispositif sera celui qui favorisera le plus le salarié. Dans les deux cas, selon les estimations du ministère, cette mesure se traduirait par l'attribution d'une vingtaine de jours de repos par salarié et par an au lieu d'une douzaine aujourd'hui. Un calcul que corroborent les organisations professionnelles. Pour les « grands routiers », le repos récupérateur est attribué à raison : d'une demi-journée à partir de 190 heures et jusqu'à 204 heures de temps de service par mois calendaire ; d'une journée à partir de 205 heures et jusqu'à 214 heures par mois ; d'une journée et demie à partir de 215 heures et jusqu'à 219 heures par mois ; de deux jours pour 220 heures de temps de service par mois. Les repos compensateurs se déclenchent, quant à eux, à partir de la 46e heure. Dans le contingent réglementaire de 130 heures, un repos compensateur, dont la durée est égale à 10 % des heures supplémentaires effectuées au-delà de la 46e heure, sera accordé. Au-delà du contingent de 130 heures, la durée du repos compensateur sera égale à 50 % des heures supplémentaires. Pour les conducteurs « courte distance », les repos compensateurs légaux s'appliquent dans tous les cas. Ils se déclenchent toutefois à compter de la 44e heure. Là encore, le dispositif déboucherait sur l'octroi d'une vingtaine de jours de congés supplémentaires par salarié chaque année.

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