Un décret promulgué très rapidement qui confirmera l'inscription des personnels courte distance au sein du dispositif d'application des 35 heures au transport routier, une limitation des repos compensateurs par assimilation aux repos récupérateurs, des aides spécifiques à la réduction du temps de travail et une poignée d'aménagements sur le gazole, c'est ce qu'a obtenu la profession, le 12 janvier, au terme d'une journée et d'une nuit de négociation au ministère des Transports. Ces propositions ministérielles - aucun accord formel n'a été paraphé - Jean-Claude Gayssot s'est engagé à les défendre fermement auprès des syndicats de salariés qu'il devait rencontrer dans la journée. La veille, la discussion s'était ouverte dès 7 h avec le cabinet d'un ministre de tutelle pressé par ses homologues européens d'en finir avec le blocage des frontières. Forts de la persistance des barrages pendant la nuit, les représentants professionnels affirmaient leur détermination à « ne pas lâcher pour des demi-mesures ou des dispositions bâtardes ». La délégation composée de représentants de la FNTR (Fédération nationale des transports routiers), de l'Unostra, de TLF (Fédération des entreprises de transport et logistique de France) et de la Chambre syndicale des entreprises de déménagement a rapidement obtenu des avancées sur le carburant. Le plafond de remboursement de la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers) sur le gazole sera fixé à 50 000 l par an et par véhicule de plus de 7,5 t en lieu et place des 40 000 l prévus pour les seuls poids lourds supérieurs à 12 t. Par ailleurs, le remboursement s'effectuera sur une périodicité semestrielle et non pas annuelle. Des dispositions qui se traduiront par un reversement de 8,62 centimes par litre dès juin 2000. Selon Jean-Claude Gayssot, la Commission européenne, qui doit donner son aval, ne devrait pas s'opposer au relèvement du plafond, un litrage similaire ayant déjà été adopté par les Pays-Bas.
Retour aux repos récupérateurs. Mais c'est essentiellement sur la question des 35 heures et du décret d'application spécifique à la profession que la délégation attendait un geste conséquent des pouvoirs publics. Un texte qui, élaboré unilatéralement par les pouvoirs publics, cristallise toutes les tensions du secteur. Principaux griefs formulés à son encontre : l'exclusion des « courtes distances » du dispositif, les heures supplémentaires et les repos compensateurs.
Un premier pas est franchi avec l'adoption, pour l'ensemble des personnels roulants, d'un principe d'équivalence entre le régime des repos compensateurs prévu par la loi Aubry et celui des repos récupérateurs de temps de service institués par l'accord social de novembre 1994. Cette mesure dérogatoire au Code du travail réduira quasiment de moitié l'impact des repos compensateurs. D'après les premiers chiffrages, elle reviendrait à accorder entre 11 et 20 jours maximum de congés supplémentaires par an, selon les activités, contre 1 mois à 1,5 mois avec une stricte application des repos compensateurs.
La courte distance à 208 heures. Restait alors à s'accorder sur le point le plus épineux à savoir le champ d'application du décret et, partant le statut des personnels courte distance qui représentent les trois-quarts des roulants. Aux termes des engagements pris par Jean-Claude Gayssot, la profession a obtenu gain de cause : un texte unique s'appliquerait à l'ensemble des conducteurs, les organisations professionnelles ayant refusé la proposition initiale du ministère de renvoyer la discussion devant les partenaires sociaux. Pour les grands routiers, les normes inscrites dans le projet de texte ne sont pas modifiées : 220 heures de temps de service mensuelles, 56 heures par semaine isolée, 50 heures en moyenne sur un mois. Pour la courte distance, la durée maximale de temps de service serait fixée à 208 heures mensuelles, 48 heures sur une semaine isolée, 46 heures sur 12 semaines. Sur le fond, aucune fédération ne juge cette distinction anormale. « Si les taquets de temps de service sont différents, les principes de base sont identiques en termes d'approche mensuelle des durées de service », observe l'Unostra. Quant au plafond de 208 heures, il « correspond grosso modo aux attentes des entreprises », indique la FNTR. Avec 48 heures hebdomadaires, « la réglementation française se rapproche de la norme européenne », note également Christian Rose, secrétaire national de l'Unostra.
En contrepartie, les négociateurs patronaux ont consenti un geste sur les heures supplémentaires. Leur rémunération interviendrait, pour les deux catégories de conducteurs, dès la 36e heure comme prévu par le régime de droit commun. En terme de décompte, le projet de décret prévoyait 4 heures d'équivalence pour les grands routiers, non imputés sur les contingents d'heures supplémentaires. Cette équivalence, qui ne jouerait que sur l'ouverture du droit à repos compensateur et sans effet sur la rémunération des heures supplémentaires sur la base des dispositions légales, serait élargie à l'ensemble des personnels de conduite. Pour la FNTR, l'impact de la concession patronale doit être relativisé, la majoration de 25 % sur 4 heures supplémentaires équivalant au règlement d'une heure.
« Satisfaits sur toute la ligne ». La profession a également obtenu des aides spécifiques à la réduction du temps de travail allant jusqu'à 220 heures (longue distance) et 208 heures (courte distance). Elles seront comprises entre 15 000 et 21 000 F par salarié et par an. Une mesure saluée par la FNTR car « la reconduction du dispositif instauré pour les grands routiers n'était pas gagnée d'avance. Pour la courte distance, rien n'était prévu ». Des reports d'échéances fiscales et sociales seront consentis, par les préfets, aux transporteurs confrontés à des difficulté de trésorerie. Enfin, des dispositions seront prises afin « d'améliorer l'environnement des entreprises en termes de recrutement, de formation et de conseil ».
Au total, les organisations se disent pleinement satisfaites du résultat des négociations. Sur les 35 heures surtout. « Nous avons obtenu le décret unique pour tous les conducteurs et le système de repos compensateurs réalisable techniquement et financièrement que nous attendions », assure Christian Rose. La FNTR affiche sa « satisfaction sur toute la ligne pour les 35 heures avec un dispositif qui sécurise les entreprises et unifie leur mode de fonctionnement sur des niveaux acceptables ». Néanmoins, TLF observe que « les engagements ministériels correspondent aux demandes formulées de longue date par la profession. Dommage qu'elle ait dû les obtenir par la force et non par le dialogue ».
Les syndicats de salariés du transport routier, qui devaient être reçus le 12 janvier (jour de bouclage de ce numéro) par le ministre des Transports, ont unanimement rejeté les engagements pris par les pouvoirs publics sur les 35 heures à l'égard des organisations professionnelles du transport. Elles maintenaient leur mot d'ordre d'action unitaire pour le 31 janvier prochain.
Sur la forme, les syndicats dénoncent le « coup de force des employeurs ». « Le patronat a pratiqué la politique de la chaise vide en boycottant la réunion du 7 janvier au ministère. C'est un coup très dur porté à la négociation paritaire », affirme Joël Le Coq, secrétaire général de la Branche route CFDT. Sur les termes du compromis, élaboré par le ministère et les représentants des entreprises dans la nuit du 11 au 12 janvier, les organisations syndicales se montrent très réservées. « Nous sommes satisfaits que le projet de décret prévoit un seuil de déclenchement des heures supplémentaires à partir de la 36e heure. Il abandonne ainsi le principe d'équivalence, selon lequel 35 heures équivalent à 39 heures. Les aides financières à la réduction du temps de travail sont également une bonne chose. A condition qu'elles soient transparentes et qu'elles bénéficient à la création d'emplois ». En revanche, le responsable CFDT refuse toute généralisation des dérogations au code du travail. « Nous restons fermement opposés à l'introduction des chauffeurs courte distance dans le projet de décret. Cette notion recouvre différentes réalités. Nous pensons que les conducteurs de messagerie, de lignes et de navettes, qui exercent des activités régulées, doivent bénéficier des dispositions de la loi Aubry, à savoir les 35 heures hebdomadaires ».