Les transporteurs disent « non » aux 35 heures

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Les organisations professionnelles du transport routier ont annoncé, pour le 10 janvier prochain, une action d'envergure nationale aux frontières. Objectif : peser sur le gouvernement afin qu'il amende son projet de décret « 35 heures ». Lequel ne reconnaît que très partiellement la spécificité du secteur en excluant notamment de son champ d'application les conducteurs « courte distance ». Sur fond d'envolée du prix du gazole, le texte est même, pour la profession, synonyme de déclin du pavillon routier français.

Les frontières terrestres françaises bloquées le 10 janvier prochain au matin. Telle devrait être la première grande manifestation de la colère des transporteurs routiers. En ligne de mire des chefs d'entreprises : la loi sur les 35 heures et son décret d'application « transport routier ». Lequel ne répond que très partiellement aux attentes des quatre organisations professionnelles, organisatrices du mouvement national après avoir soutenu des actions plus locales avant les fêtes de Noël (voir encadré). La Fédération nationale des transports routiers (FNTR), l'Union nationale des organisations syndicales des transporteurs routiers automobiles (Unostra), la Fédération des entreprises de transport et de logistique de France (TLF) et la Chambre syndicale du déménagement rejettent tout d'abord la distinction qu'opère le décret entre conducteurs « grands routiers » et « courte distance », cette dernière population étant exclue du dispositif. « Établir une ségrégation entre ces deux types de personnels est aberrant et suicidaire, explique René Petit, président de la FNTR. D'une part parce que les trafics régionaux frontaliers sont au moins autant en butte à la concurrence européenne que les trafics internationaux depuis la libéralisation du cabotage. D'autre part, parce qu'en interne, c'est ingérable. Les populations de conducteurs sont en pratique affectés tantôt à une activité longue distance tantôt à une activité courte distance ». Pour les chauffeurs « longue distance », le texte limite la durée de temps de service maximale hebdomadaire à 56 heures sur une semaine isolée, à 220 heures sur un mois et à 50 heures hebdomadaires en moyenne sur un mois. Pour mémoire, en France, les conducteurs grands routiers se voient appliquer les conditions de travail suivantes : des temps de services plafonnées à 230 heures par mois, 56 heures hebdomadaires maxi sur une semaine isolée et 53 heures hebdomadaires en moyenne sur un mois.

Une masse salariale majorée. Autre motif de mécontentement : les heures supplémentaires et les repos compensateurs. En abaissant la durée légale du travail de 39 heures à 35 heures, la loi Aubry renchérit très sensiblement le coût des premières et avance le seuil de déclenchement des seconds. Ainsi, selon les calculs effectués par les organisations professionnelles, le renchérissement des heures supplémentaires majorerait, selon les cas, la masse salariale de 16 % à 30 %. Dans le même temps, le seuil de déclenchement des repos compensateurs conduirait à accorder aux conducteurs entre 1 mois et 1,5 mois supplémentaire de congés par an. Une situation qui mettrait alors en péril l'équilibre financier des entreprises. Sur ce point précis, la profession demande l'instauration d'un seuil de déclenchement des heures supplémentaires et des repos compensateurs qui soit « compatible avec la réalité de l'activité », soit l'octroi de huit heures d'équivalence à partir de la 35e heure au lieu des quatre prévues par le projet de décret.

En faisant directement référence à l'article L 212-5-1 du Code du travail, qui a instauré en 1976 la notion de repos compensateur, les rédacteurs du texte font entrer le transport routier dans le droit commun, dérogeant ainsi aux dispositions de l'accord du 23 novembre 1994. Celui-ci avait, en effet, instauré le repos récupérateur de temps de service dont bénéficiaient les conducteurs « grands routiers ». Un système plus favorable pour les entreprises placées devant la quasi-impossibilité d'appliquer les dispositions relatives au repos compensateur.

Surcoût insupportable. Les quatre organisations patronales relèvent, par ailleurs, « l'incohérence » du projet français par rapport aux règles communautaires beaucoup moins strictes, que la présidence française de l'Union européenne va tenter de faire adopter au deuxième semestre 2000. « Les dispositions de la directive européenne seront applicables partout sauf en France », note René Petit. « Le projet gouvernemental est impraticable et met en danger l'existence même du transport routier français, poursuit le président de la FNTR. L'application de la loi Aubry et de son décret entraînerait un alourdissement d'environ 20 % de la masse salariale et une hausse de 6 % à 7 % des prix de revient. Un tel surcoût serait insupportable alors que la hausse de 32 % du prix du gazole depuis un an a déjà fortement alourdi les charges de entreprises, dont les marges dépassent rarement 1 % à 2 % ». « L'application du décret nécessiterait des embauches massives de chauffeurs qualifiés que le marché du travail est actuellement incapable de fournir », estime, quant à lui, Jean-Louis Amato, président de l'Unostra.

Partie de bras de fer. En boudant, le 7 janvier dernier, la réunion de présentation du projet de décret, les représentants des entreprises entendent également protester contre l'absence de discussions préalables à l'élaboration du texte gouvernemental. « Nous sommes choqués qu'un projet aussi fondamental pour la profession n'ait pas fait l'objet de négociations », affirmait, le 23 décembre dernier, Alain Fauqueur, vice-président de TLF. « Entre les mouvements qui se sont déroulés dans les régions jusqu'au 23 décembre et le 3 janvier, nous n'avons reçu aucun signal de la part de l'administration. Le dialogue est pour l'instant rompu », ajoute Alexis Bordet, responsable de la branche route de TLF. Après avoir effectué un travail de lobbying en direction des parlementaires et des ministres du Travail et des Transports, les organisations patronales se retrouvent aujourd'hui prises au piège. Le décret « transport routier » était pourtant censé affranchir, via un système dérogatoire, les entreprises des dispositions de la loi Aubry. Ce qu'avait d'ailleurs clairement annoncé, le 7 octobre dernier lors d'un colloque organisé à l'Assemblée nationale, Hubert du Mesnil. A cette occasion, le directeur des Transports terrestres avait caressé la profession dans le sens du poil, annonçant « un décret eurocompatible, concerté et s'appuyant sur l'existant ». Traduction : il s'agissait alors de reconnaître la spécificité du transport routier français pour l'ensemble des conducteurs en échafaudant, avec ses représentants, un décret proche de l'accord du 23 novembre 1994 et compatible avec la future directive européenne sur le temps de travail des personnels roulants (durée de travail hebdomadaire plafonnée à 60 heures maxi sur une semaine isolée et à 48 heures en moyenne sur quatre mois). Reste à savoir quelle sera la portée de la partie de bras de fer engagée par les organisations professionnelles avec le gouvernement. Une chose est sûre : que les poids lourds bloquent ou non les frontières, le 10 janvier au matin, la taxe intérieure sur les produits pétroliers subira, elle, une nouvelle augmentation de 7 centimes.

A retenir...

> Les quatre organisations professionnelles du transport routier (FNTR, TLF, Unostra, Chambre syndicale du déménagement) annoncent un blocage des frontières terrestres françaises le 10 janvier prochain. Une action nationale et unitaire par laquelle ils entendent protester contre la loi sur les 35 heures et son décret d'application « transport routier ».

> Le projet de décret est jugé inacceptable pour deux raisons essentielles : il exclut de son champ d'application les conducteurs « courte distance » et renchérit le coût des heures supplémentaires tout en avançant le seuil de déclenchement des repos compensateurs.

> L'application du décret majorerait la masse salariale de 16 % à 30 % et conduirait à accorder aux conducteurs entre 1 mois et 1,5 mois supplémentaire de congés par an. Au final, elle aboutirait à une hausse de 6 % à 7 % du prix de revient.

Syndicats de salariés
Contre le décret, mais pour les 35 heures

Les syndicats de salariés du transport routier rejettent également en bloc les dispositions du texte gouvernemental. Pour des raisons diamétralement opposées à celles de la partie patronale. FO et la CGT estiment ainsi que le projet de décret risque « d'exclure les chauffeurs routiers de la loi des 35 heures ». Le 23 décembre dernier, la CFDT Branche route dénonçait, dans un communiqué, les « provocations du patronat routier » qui appelle à des manifestations pour faire entendre ses revendications sur les 35 heures. « Le transport routier est connu pour ses horaires de travail excessifs, un nombre considérable d'heures de travail non payées, des repos compensateurs non attribués », écrit la CFDT. Le syndicat déclare « ne pas comprendre l'attitude agressive du patronat routier » vis-à-vis de ce projet qui « légalise » l'accord social de novembre 1994 que les employeurs ont signé et qui ouvre « de larges possibilités d'organiser le travail des conducteurs ». « Le projet de décret donne aussi aux patrons la possibilité de commencer à payer les heures supplémentaires à partir de 39 et non 35 heures et repousse le seuil de déclenchement des repos compensateurs. En voulant toujours plus, les employeurs s'exposent aux revendications des conducteurs », prévient la CFDT. Laquelle demande aux salariés à ne pas se joindre aux manifestations programmées par les organisations professionnelles.

Ce qu'il faut retenir du projet de décret

Personnels visés

Les conducteurs marchandises « grands routiers » (au moins six repos journaliers par mois hors du domicile) et les personnels roulants des entreprises de déménagement contraints de prendre au moins quarante repos journaliers par an hors du domicile.

Durée légale du temps passé au service de l'employeur

Elle est fixée à 39 heures par semaine ou 169 heures par mois.

Durées maximales de temps de service

Elles ne peuvent excéder 56 heures hebdomadaires sur une semaine isolée ; 50 heures hebdomadaires en moyenne sur un mois, 220 heures par mois.

Calcul de la durée hebdomadaire du travail

Dans le cas où, pour des raisons techniques d'exploitation, il serait impossible d'organiser le travail sur une semaine, la durée hebdomadaire du travail peut être calculée sur une durée supérieure à la semaine, et pouvant être égal à au moins deux semaines consécutives, et au plus un mois, après avis du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel s'ils existent, et autorisation de l'inspecteur du Travail des transports.

Repos compensateur

Les heures supplémentaires - toute heure de temps de service pour les personnels roulants « grands routiers » effectuée au-delà de la 39e heure - ouvrent droit au repos compensateur prévu par l'article L 212-5-1 du Code du travail dans les entreprises de plus de dix salariés : à compter de la 45e heure par semaine ou de la 95e heure par mois pour les « grands routiers ».

Gazole et 35 heures
Les régions en ébullition

Dépôts de motions dans les préfectures, opérations escargots en centre ville, blocages autoroutiers... A l'appel de leurs délégations régionales (Unostra, FNTR, TLF), les transporteurs routiers sont passés à l'acte juste avant les fêtes de Noël pour protester contre le projet de décret gouvernemental sur les 35 heures et la hausse du prix du carburant. Des mouvements hétérogènes annonciateurs de l'action unitaire du 10 janvier. Rappel non exhaustif des faits.

Franche-Comté

L'Unostra organise, le 27 décembre, « sa marche sur Paris ». Son objectif : le ministère des Finances à Bercy. De neuf camions au départ de l'est de la France, ils seront 30 à l'arrivée... en Seine-et-Marne, à quelques encablures de la capitale. Sur décision préfectorale, le cortège est ,en effet, arrêté par un cordon de CRS au péage de Fleury-en-Brie sur l'autoroute A6.

Bretagne

A Rennes, le 23 décembre, environ quarante poids lourds se rassemblent sur la rocade. Les chefs d'entreprise, venus d'Ille-et-Vilaine, du Morbihan et des Côtes-d'Armor, se rendent ensuite jusqu'à la préfecture pour y déposer une motion à l'intention du préfet du région.

Nord

Les transporteurs routiers manifestent à bord d'une centaine de camions, le 23 décembre à Lille. Organisé par la délégation du Nord de la FNTR, le cortège part du centre de transport de Lesquin à destination du parking de Lille Grand Palais, via l'autoroute A1 et le boulevard périphérique Est de la métropole lilloise. Une délégation de transporteurs est reçue en préfecture.

Alsace

Une vingtaine de poids lourds, conduits par des transporteurs routiers alsaciens, se rendent à la préfecture de région à Strasbourg, le 23 décembre. Les délégués régionaux de l'Unostra, de la FNTR et de TLF déposent une motion au sous-préfet.

Loire

A Saint-Étienne, la FNTR organise, le 23 décembre, une opération escargot rassemblant une quarantaine de véhicules. L'opération dure toute la matinée pour s'achever à la préfecture.

Centre

Une dizaine de poids lourds installent, le 23 décembre, un barrage filtrant à la sortie de l'autoroute A10 au péage de Blois (Loir-et-Cher). Les transporteurs obligent les camions étrangers ayant emprunté cette sortie à reprendre l'autoroute. Auparavant, le 18 décembre, une cinquantaine de camions avaient bloqué les entrées des hypermarchés Cora et Auchan, situés respectivement au nord et au sud de Blois.

Picardie

A Amiens, le 23 décembre, une délégation de chefs d'entreprises se rend sans camion à la préfecture de région. La motion est signée par plus de 70 transporteurs picards.

Midi-Pyrénées

Le même jour, des transporteurs de Haute-Garonne et de l'Ariège, se contentent également de remettre une motion au préfet de région Midi-Pyrénées.

Aquitaine

Le 22 décembre, à l'appel de la FNTR, de TLF et de l'Unostra, entre 70 et 80 chefs d'entreprise manifestent à Bordeaux. Partis du centre routier de Bordeaux-Lac avec 45 camions et deux autocars, les transporteurs rejoignent le centre de Bordeaux. De là, une trentaine de dirigeants se rend à pied jusqu'à la préfecture de la Gironde, où une délégation de huit personnes est reçue par un collaborateur du préfet. La veille, des transporteurs des Landes, des Pyrénées-Atlantiques et de Dordogne s'étaient rassemblés devant la préfecture.

Limousin

Les chefs d'entreprise du Limousin sont reçus à la préfecture le 21 décembre.

Normandie

A Caen (Basse-Normandie) et à Rouen (Haute-Normandie), l'Unostra, la FNTR et TLF décident, le 18 décembre, de se mettre en congé des différentes instances dans lesquelles les représentants de l'État sont présents. Une centaine de chefs d'entreprises sont concernés par cet appel au boycott.

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