« Notre chauffeur est resté bloqué pendant plus de 24 heures près de Montélimar. Il n'a reçu aucune assistance de la part des Autoroutes du Sud de la France. Il n'avait rien à manger. Le camion n'étant pas équipé de couchette, il a été hébergé par des conducteurs routiers italiens. C'est tout simplement scandaleux. Heureusement que la marchandise avait préalablement été livrée aux clients. ». Didier Gastaldi, responsable de l'exploitation chez les Transports Peyronnet, une entreprise de la région lyonnaise spécialisée dans le transport de légumes, ne décolère pas. Comme ses confrères. Une semaine après les importantes chutes de neige qui ont paralysé, les 20 et 21 novembre dernier, la circulation sur l'autoroute A 7, les organisations professionnelles du transport routier dressent un constat sévère sur la manière dont ont été traités les poids lourds pendant et après les intempéries. « Alors que le prix d'utilisation des autoroutes pour les camions est trois fois supérieur à celui des véhicules légers (un trajet Vienne/Lançon-de-Provence revient à 250 F pour un véhicule de classe 4 3 essieux contre 115 F pour une voiture particulière, NDLR), que les poids lourds représentent près de 70 % des recettes d'autoroutes, nous sommes surpris que les sociétés concessionnaires, notamment sur l'axe Lyon-Marseille, ne proposent pas à l'ensemble de leurs utilisateurs des conditions de circulation performantes et sécuritaires », tonne Jacques Sorlin, délégué régional de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) Rhône-Alpes. « De plus, nous ne pouvons accepter que nos conducteurs soient laissés sur la voie publique sans la moindre assistance et sans ravitaillement, dans des conditions climatiques difficiles pendant des périodes de plus de 48 heures », ajoute le responsable patronal. Lequel s'apprête à faire ses comptes. « Nous allons procéder à un bilan économique des conséquences des blocages pour les transporteurs. Il est, d'ores et déjà, avéré que des entreprises auront un manque à gagner important dans les semaines à venir. Certaines n'ont pu respecter leurs délais de livraison, d'autres se sont vues refuser de la marchandise par les destinataires. Sans compter l'augmentation des frais de déplacement des conducteurs. » « Les conducteurs de poids lourds qui étaient sur la route ce jour-là effectuaient leur travail au service de la collectivité », souligne, quant à elle, la Fédération des entreprises de transport et logistique de France (TLF) en réponse aux accusations portés par les élus locaux à l'encontre de l'omnipotence des poids lourds sur les autoroutes (voire encadré). L'organisation professionnelle se demande également pourquoi, « alors que les intempéries étaient prévues, des mesures préventives et des conseils de circulation n'ont pas été mis en place de façon à éviter la paralysie. »
Intempéries rarissimes. Les 20 et 21 novembre derniers, environ un millier de poids lourds sont restés bloqués sur l'autoroute A7 à partir de Loriol jusqu'à Montélimar-Sud (Drôme), la zone critique des intempéries avec plus de 50 cm de neige sur la chaussée. Plus significatif : selon les estimations du Centre d'information et coordination routière (CRICR) Rhône-Alpes-Auvergne, ce sont, au total, quelque 6 000 camions qui ont été victimes des précipitations neigeuses. « Ce chiffre prend en compte tout à la fois les véhicules postés sur les aires de repos des autoroutes A7 et A 9 ainsi que sur les routes nationales adjacentes », explique Bernard Perret, responsable de la division Routes de la CRICR. « Les prévisions de Météo France annonçaient la présence de légères chutes de neige de 3 cm à 5 cm sur Montélimar. Nous avons immédiatement procédé au salage des chaussées. Nous avons ensuite été surpris par l'ampleur d'intempéries qui restent rarissimes en cette période de l'année. Tout a dégénéré lorsqu'un poids lourd s'est mis en portefeuille au sud de Loriol, bloquant ainsi les voies pendant un long moment. Très rapidement, un bouchon s'est formé, créant un effet de nasse. De plus, certains usagers n'ont pas hésité à investir la bande d'arrêt d'urgence. Dès lors, les véhicules de déneigement et d'assistance ne pouvaient plus progresser. On nous a également reproché de ne pas avoir fermé l'autoroute plus tôt. La demande a été adressée le samedi 20 novembre à 16 h à la préfecture, qui nous a autorisé à bloquer les accès vers 18 h. Il était déjà trop tard », explique Frédéric Faure, un des responsables de la direction régionale des Autoroutes du Sud de la France à Valence. Sur les autoroutes, les opérations de déneigement incombent directement à la société concessionnaire, les directions départementales de l'équipement se chargeant des nationales. Sur le district de Montélimar, qui couvre un tronçon de 50 km, les ASF disposent ainsi de 12 engins spécialisés (8 camions équipés de lames de déneigement avec saleuses, 2 Unimog en configuration chasse-neige, 2 chargeurs de saleuses), de 4 véhicules patrouilleurs et de huit véhicules postés à des endroits stratégiques. « En temps normal, cela suffit », plaide Emmanuel Bouchot, responsable des relations extérieures aux ASF, qui invoque « la conjonction d'événements exceptionnels ».
Déjà en 1997 ! C'est pourtant la seconde fois en deux ans que les transporteurs routiers font les frais des intempéries sur cet axe, qui voit passer chaque jour quelque 10 800 camions. En janvier 1997, 5 000 véhicules avaient été pris au piège par des chutes de neige et des pluies verglacées. C'est précisément pour éviter le retour d'un tel phénomène que le « plan neige » avait été mis en place par les autorités. Lancé à l'initiative du préfet de région, ce dispositif consiste à organiser les moyens d'information et d'action entre les différents départements concernés. Le week-end du 20 novembre, le « plan neige » a bien été déclenché. Tout comme une cellule de crise, placée sous l'égide du préfet de la Drôme et réunissant des représentants de la gendarmerie, de la police, des pompiers, de la direction départementale de l'Équipement (DDE), des ASF et de la Croix-Rouge, a été mise en place. Avec le succès que l'on sait...
« Entre la fermeture programmée du tunnel du Chat et les menaces d'interdiction des autoroutes aux poids lourds en cas d'intempéries, la coupe commence à être pleine pour les transporteurs routiers rhodaniens », lance Jacques Sorlin, délégué régional de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR) Rhône-Alpes. Sur ce dernier point, les organisations professionnelles locales comptent demander une audience au préfet de région et à la société Autoroutes du Sud de la France (ASF). « Une chose est sûre : nous n'accepterons pas qu'une autoroute soit fermée aux camions en cas d'intempéries », soulève Jacques Sorlin. Concernant le tunnel routier du Chat, qui se situe sur la RN 504 en direction du Fréjus, sa fermeture aux véhicules de plus de 7,5 t est annoncée comme imminente. Cet ouvrage, qui enregistre un trafic moyen journalier de 1 900 poids lourds, est dans le collimateur des pouvoirs publics depuis que le Centre d'Études des Tunnels (Cetu) a recommandé sa fermeture après l'incendie du Mont-Blanc. « Michel Besse, le préfet de région Rhône-Alpes, nous a annoncé que les camions seraient détournés vers les autoroutes », explique Jacques Sorlin. Les organisations professionnelles ont, dans la foulée, demandé aux représentants locaux de l'Etat ainsi qu'aux sociétés d'autoroutes concernées par ces reports de trafic - la Société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône (SAPRR) et la Société des Autoroutes Rhône-Alpes (Area) - des incitations tarifaires afin de compenser les surcoûts. En réponse, la SAPRR et l'Area ont proposé d'accorder une baisse de 20 % de leurs tarifs. « Une misère », signale Jacques Sorlin. Les transporteurs routiers, dont la quasi majorité sont équipés de la carte d'abonnement Caplis, bénéficient de remises déjà supérieures à 20 %.
Après les déclarations du maire de Chamonix, Michel Charlet, et du député de la Savoie, Michel Bouvard, pestant contre la croissance du transport routier dans les Alpes après la catastrophe du Mont-Blanc, c'est au tour des élus de la Drôme de reprendre le flambeau de la contestation. Une « plaie pour la vallée du Rhône », c'est ainsi qu'Eric Besson, député socialiste de la Drôme et maire de Donzère, une commune riveraine de l'autoroute A7, qualifie les poids lourds, accusés de provoquer bouchons et accidents été comme hiver. « Comme en janvier 1997, les automobilistes, qui circulaient sur l'autoroute A7, sont arrivés sur un mur de camions », raconte-t-il. Eric Besson reproche à la société des Autoroutes du Sud de la France de ne pas prendre ses responsabilités en interdisant ou en limitant sur une seule voie le trafic des véhicules lourds lorsque les conditions météo sont mauvaises.
Le député socialiste, qui compte interpeller les ministres de l'Intérieur et des Transports, propose d'interdire l'autoroute A7 aux poids lourds 60 jours par an, pendant les périodes « les plus sensibles ». Une hypothèse déjà avancée par le ministère des Transports en janvier dernier en réponse aux graves perturbations de la circulation que venaient de subir les régions Rhône-Alpes et Ile-de-France. Par ailleurs, Eric Besson dénonce la mauvaise organisation des services de police qui ont laissé passer des véhicules lourds sur les axes routiers « alors que tout était déjà bouché ». Jacques Ladegaillerie, le maire de Loriol, une autre commune de la Drôme située dans la zone critique des intempéries, soulève, quant à lui, le manque de coordination du trafic poids lourds, « qui allaient dans tous les sens ».