« Si nous ne sommes pas capables d'augmenter nos prix aujourd'hui, nous ne le serons jamais », déclare Marcel Garnier, P-dg des Transports Garnier (22). Un sentiment que partage l'ensemble des professionnels du secteur à l'heure des négociations tarifaires annuelles. Tous, ou au moins la plupart, tentent actuellement de « faire passer » une hausse de l'ordre de 3 % à 6 %. Le phénomène touche l'ensemble des secteurs d'activités. Norbert Dentressangle a annoncé le 13 octobre dernier son intention de « lancer une relavorisation moyenne de 4 % ». Exel Logistics (transport frigorifique) a décidé d'augmenter ses tarifs de 5 % à compter du 1er décembre. Bouquerod mise sur une hausse de 5 % à 6 % en transport de lots et d'environ 3 % en messagerie. Pour obtenir gain de cause, les transporteurs disposent cette année d'arguments de poids.
La flambée des coûts. D'abord celui des coûts de revient, qui ont augmenté de 4 % depuis janvier dernier selon les calculs du Comité National Routier (cf. L'OT 2048). Hausse que la Fédération Nationale des Transports Routiers (FNTR), la Fédération des entreprises de Transport et Logistique de France (TLF) et l'Unostra ont estimé « sans précédent ». Dans un communiqué commun du 12 octobre, les trois organisations ont souligné que « la marge des entreprises de transport est trop faible pour leur permettre d'absorber une telle dérive sans mettre en danger leur pérennité et la qualité de service dont bénéficie l'économie toute entière ». En clair : la hausse des coûts doit être supportée par les chargeurs. Ceux-ci ne sont évidemment pas prêts à l'accepter sans négocier. La hausse des coûts de revient est en partie liée à la revalorisation des salaires des personnels de conduite (+4,4% en longue distance et +6,8 % en régional) intervenue le 1er octobre dernier Un élément que « certains chargeurs considèrent comme très subjectif dans la mesure où rien ne garantit que les transporteurs qui prétendent le répercuter sur leurs prix l'appliquent effectivement », souligne Didier Léandri, chargé des transports terrestres à l'Association des Utilisateurs de Transport de Fret (AUTF). Celui-ci précise néanmoins que ses propos ne traduisent qu'« une tendance très générale » sur un dossier particu- lièrement « sensible et cachant des situations extrêmement variés ». « Ceux qui collent au contrat de progrès le paient très cher. Ceux qui ne le respectent pas ont davantage tendance à casser les prix qu'à augmenter leur marge en s'appuyant sur ces coûts fictifs pour eux », note Jean-Charles Grosdidier, P-dg des Transports Grosdidier (39).
La loi du marché. Autre élément à l'origine de la hausse des coûts de revient : la flambée du prix du gazole (+17,8%). Un facteur qui, selon l'AUTF, est plus « objectif » que le surcoût social et devrait être plus facilement pris en compte lors des négociations tarifaires. « Beaucoup de nos clients y sont sensibles », confirment les transporteurs. Certains se seraient toutefois entendu répondre qu'une baisse du gazole étant possible en janvier, il serait bon d'attendre cette échéance avant d'envisager une revalorisation de leurs tarifs sur cette base.
Des données encore plus objectives viennent à l'appui des revendications des transporteurs : une conjoncture économique particulièrement bonne et offrant des perspectives encore meilleures avec une consommation en hausse de 3,6 % entre août 1998 et août 1999. Les ripailles prévues pour l'année 2000 devraient encore doper l'activité. Dans un tel contexte, les volumes transportés par route gonflent : plus 8 % au premier semestre 1999. Les chiffres du troisième trimestre ne sont pas encore disponibles, mais devraient atteindre des pics à en croire les transporteurs. Ceux-ci ont enregistré, dès cet été, des pointes d'activité complètement inattendues et qui ne sont pas redescendues cet automne. Le phénomène continue de les intriguer : « Dans certains cas, on peut soupçonner les industriels et distributeurs de se constituer des pré-stocks en prévision du rush de fin d'année. Mais, ce n'est pas la seule explication : on nous demande aussi de transporter des tonnes de produits dont la date limite de consommation ne va pas jusqu'à la fin décembre », constate Patrick Lahaye, P-dg des Transports Lahaye (35).
Surchauffe? Au delà du mystère, cette tendance n'a pas manqué d'influer sur le marché du transport qui connaît déjà une certaine surchauffe côté demande. Laquelle devrait être propice à une augmentation des tarifs. « Certains chargeurs ont senti une certaine tension notamment dans les domaines du vrac liquide et de la messagerie », admet Didier Léandri. Dans ce dernier secteur, « les réseaux sont un peu saturés et les moyens ont été réduits », explique Roland Vassart, P-dg de Régis Martelet (21). Beaucoup de « petits » susceptibles d'absorber le surplus ont aussi disparu et les incertitudes liées à la vague de concentration/négociation/rachats n'incitent pas les réseaux à investir dans de nouveaux moyens.
D'autres spécialités sont également touchées. C'est le cas du transport de pulvérulents où commencent à faire défaut le matériel - il faut six mois mois pour obtenir livraison d'une citerne - et/ou les conducteurs. « Si je les trouvais, j'engagerais immédiatement 10 conducteurs. Je ferais ainsi progresser mon activité de 10 % », déclarait ainsi François Désert, P-dg de Trans-Ouest (35) dans L'OT 2051. Plus ou moins important selon les secteurs et selon les régions, le manque de conducteurs concerne toute la profession. « C'est un point qui inquiète les chargeurs », reconnaît Didier Léandri en soulignant que ceux-ci ne manifestent pas toutefois d'anxiété particulière quant à une réelle pénurie de moyens de transport. Didier Léandri constate : « Le nombre de véhicules vendus est particulièrement significatif de l'activité du secteur. En 1999, il atteint des records équivalents aux pics enregistrés à la fin des années quatre-vingt. Si les transporteurs investissent, c'est qu'ils sont optimistes. Ils misent sur un regain d'activité durable et les prévisions économiques leur donnent raison. Dans un tel contexte, ils vont restaurer leur marge. » Avec ou sans augmentation des tarifs ?
> Les coûts de revient des entreprises de transport routier de marchandises ont augmenté en moyenne de 4 % depuis janvier 1999.
> Les transporteurs routiers semblent décidés à obtenir une revalorisation tarifaire se situant dans une fourchette de 3 à 6 %.
> La forte croissance des activités enregistrée depuis l'été, celle attendue dans les prochains mois associées à une pénurie de conducteurs, voire de matériels, pourraient constituer des arguments décisifs pour obtenir une hausse des prix du transport.
En quatre ans, d'octobre 1995 à octobre 1999, le poste salaires (y compris les charges) des conducteurs routiers a subi une hausse de 38 % en grande distance et de 22,6 % en courte distance. C'est ce qui ressort d'une étude menée par le Comité national routier (CNR) et publiée en octobre 1999.
Les revalorisations salariales (+ 22,6 % en longue distance et +12,5 % en courte) fondent l'essentiel de la hausse. D'autres éléments y participent :
> l'incidence ponctuelle du versement, fin décembre 1996, de la moitié de la prime de 3 000 F à tous les conducteurs ressort à + 0,89 % et + 0,91 % ;
> la réduction du délai de carence pour maladie - passé de 10 à 5 jours au 1er janvier 1997 - a un coût estimé à + 0,25 % pour les deux types d'activité ;
> la suppression des équivalences avec maintien de la rémunération, également intervenue au 1er janvier 1997, influe sur le poste à hauteur de 8 % en courte distance (les grands routiers ne sont pas concernés) ;
> le versement de l'autre moitié de la prime de 3 000 F, à fin mars 1997, provoque une hausse ponctuelle de 0,87 % en longue distance et de 0,84 % en courte distance ;
> l'instauration du congé de fin d'activité (CFA) pour les conducteurs totalisant 25 ans d'ancienneté et de la cotisation y afférent conduisent à une augmentation de 0,9 % des charges patronales en septembre 1997. Cette hausse a une incidence de +0,6 % sur l'ensemble du poste ;
> la mise en place de la garantie minimale de rémunération de l'amplitude mensuelle (accord paritaire du 12 novembre 1998 remplaçant le décret Pons) plombe les coûts sociaux de 7,5 % en longue distance. La courte distance n'est pas concernée par cette disposition qui fixe le temps minimal à rémunérer à 75 % de l'amplitude mensuelle avec un plafond à 63 heures.
Le cumul fait apparaître, sur l'ensemble de la période, une évolution de +32,9 % des coûts en grande distance et de 13,5 % en courte distance. En y ajoutant l'incidence estimée du plafonnement du temps de service à 230 heures pour les premiers et de la suppression des équivalences pour les seconds, les chiffres atteignent respectivement 38 % et 22,6 %.
Pour les grands routiers soumis à l'accord du 23 novembre 1994, la forte augmentation des rémunérations minimales sur les quatre années s'explique par les deux renégociations, en 1996 et 1997, de la RMPG (rémunération mensuelle professionnelle garantie) en 1996 et 1997 ainsi que par le passage au SMPG (salaire mensuel professionnel garanti) au 1er janvier 1998, souligne le CNR. Rapporté à l'indice des salaires horaires du ministère du Travail, l'indice de la RMPG/SMPG est supérieur de 13 %. Par ailleurs, il excède de 18,1 % le niveau de l'inflation (indice INSEE) enregistré sur la période. L'évolution de la RGG (rémunération globale garantie) applicable aux conducteurs courte distance et aux grands routiers non couverts par l'accord social est moins importante, note l'organisme. Comme pour la RMPG/SMPG, mais à partir de 1999, sa progression s'explique par le passage au SMPG. Le barème grimpe alors de +6,9 % en un an, soit plus que l'évolution sur trois ans (+5,3% de 1995 à 1998).
A partir du 1er décembre prochain, le droit de timbre sera supprimé. Fixée à 4 F par « lettre de voiture ou tous autres écrits ou pièces en tenant lieu » (récépissés, documents uniques, CMR), cette taxe est recouvrée par les transporteurs. Lesquels font ainsi office de « percepteurs ». A ce titre, ils assortissent le droit de timbre de frais de dossier d'un montant de 15 F à 20 F. En même temps que le droit de timbre, cette ligne de facturation va devoir disparaître. Or, elle permettait de couvrir un ensemble de prestations « administratives » accessoires dépassant la stricte gestion du droit de timbre comme, par exemple, les frais d'établissement et d'archivage de la facture. A partir du 1er décembre, ils devront donc être mentionnés en tant que tels sur la facture. Une procédure conforme aux contrats-types, l'article 17 du nouveau contrat-type général (décret du 6 avril 1999) indiquant qu'au prix de transport « s'ajoutent les frais liés à l'établissement et à la gestion administrative et informatique du contrat de transport ».