Le manque de sommeil touche un tiers de conducteurs routiers. C'est ce qui ressort d'une enquête menée par le docteur Pierre Philip, spécialiste des problèmes d'hypovigilance au Centre hospitalier universitaire de Bordeaux, dont les résultats viennent d'être rendus publics. L'enquête avait été menée il y a deux ans auprès de 227 chauffeurs lors de l'opération « Mille pattes », organisée par les Autoroutes du Sud de la France sur l'aire de repos de Roussillon et révélait que plus d'un tiers des conducteurs étudiés (36 %) présentaient une dette de sommeil égale ou supérieure à deux heures et que 9,7 % reconnaissaient avoir subi des épisodes de somnolence au volant dans les trois mois précédents.
Agés de 19 à 54 ans, les conducteurs interrogés - 93,8 % étaient français, 4 % belges et 2,2 % allemands, brésiliens, portugais, espagnols ou turcs - circulaient seuls à bord de leur véhicule et étaient salariés à 94 %. 47 % d'entre eux avaient conduit plus de 1 000 km et 13 % plus de 2 000 km.
La durée moyenne de sommeil dans les 24 heures précédant l'interview était de 473,2 minutes, plus ou moins 127 mn. 2,2 % avaient dormi moins de quatre heures, 12,3 % moins de six. Cette dette de sommeil était plus importante pour ceux qui venaient de partir que pour les conducteurs roulant depuis trois jours. « Lorsqu'ils sont chez eux, ils se couchent plus tard que lorsqu'ils travaillent et modifient leur rythme physiologique », explique le docteur Philip. A l'opposé, 7,9 % avaient dormi plus de dix heures. En matière de consommation médicamenteuse ou de comportement addictif, aucun conducteur ne prenait de substance éveillante, à l'exception du café. « Afin de rester éveillés, ils augmentent tous leur consommation de caféine et de tabac pendant les heures de conduite. » Les résultats du test sur les temps de réaction, mené en parallèle avec 65 autres chauffeurs, font apparaître que 15,4 % d'entre eux réagissaient au delà de 500 millisecondes, alors que la norme est inférieure ou égale à 300 ms. Si 70,9 % des chauffeurs assuraient ne jamais s'être endormis au travail, 2,2 % présentaient une tendance excessive à s'assoupir quotidiennement, 9,7 % avouaient un épisode de somnolence au volant les ayant obligé à s'arrêter et 5,3 % avaient été victime d'accident en raison de ce phénomène. « Si le chauffeur connaît un effondrement de plus de 5 % de ses performances, il y a prise de risques. »
Faute de détecteur de vigilance efficace, l'équipe du docteur Philip travaille sur les critères de somnolence qui se traduisent par un assoupissement, une diminution des réflexes, un rétrécissement du champ visuel, puis par des troubles de la mémoire et du jugement. Outre la réorganisation du travail qui doit être adaptée à la physiologie des chauffeurs, Pierre Philip suggère une modification du cadre réglementaire sur les durées de conduite afin de fonder la législation communautaire sur les capacités de résistance les plus basses car « tous les conducteurs ne sont pas aptes à conduire pendant 11 heures même s'ils développent des capacités de résistance physiologiques exceptionnelles par rapport à des automobilistes. »
De même, le médecin préconise de sensibiliser les chargeurs au fait que les chauffeurs doivent profiter des temps impartis aux chargements et déchargements des véhicules pour se reposer. « Il faut éviter d'associer les périodes de veille à celles de conduite. Enfin, les chauffeurs doivent essayer de remplacer le café par des périodes de sieste. Dormir une heure permet de récupérer 50 % de ses capacités. »