Non à l'exception française

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Distorsions de concurrence européennes et 35 heures fondent l'essentiel des inquiétudes exprimées par la Fédération Nationale des Transports Routiers lors de son 54e congrès, les 19 et 20 octobre. Aux nombreuses questions qui en découlent, le ministre des Transports a répondu par un discours rassurant, peu convaincant et quasi-militant en faveur de l'extension au niveau européen de l'exception française.

Alors que le processus d'élaboration de la loi « Aubry 2 » arrive à son terme, avec à la clé l'obligation et la généralisation des 35 heures de travail hebdomadaires, la FNTR s'interroge sur la mise en oeuvre de ce texte dans les transports routiers de marchandises. En effet, la spécificité de la profession, reconnue dans le cadre de la première loi Aubry sur les 35 heures, n'est pas prise en compte dans la seconde version du texte. Selon René Petit, le processus de « progrès social » dans lequel s'est engagé malgré tout le transport routier de marchandises depuis cinq ans, risque même d'être gravement remis en cause si la situation reste en l'état. Au cours de la matinée précédant la séance de clôture du congrès, Gérard Cardon s'était interrogé à la tribune sur le bien-fondé d'une loi à laquelle les entreprises auront à peine deux mois pour s'adapter puisqu'elle devrait être applicable dès le 1er janvier 2000 à toutes les sociétés employant plus de vingt salariés. D'autant que, selon ce transporteur nordiste, ni les entreprises, ni leurs salariés ne sont demandeurs d'une réduction du temps de travail. Les premières pour une question de surcoût, les seconds parce que leurs salaires vont diminuer, le tout dans un contexte de pénurie de conducteurs routiers. Gérard Cardon a témoigné également sur la « fuite » de personnel de conduite constatée dans sa région vers la Belgique, où les conditions d'embauche sont manifestement plus intéressantes.

35 heures de trop ? Conséquence, « les 35 heures, nous n'en voulons pas et nous ne les ferons pas », affirme la FNTR. Cette « loi manufacturière, inadaptable au transport routier de marchandises », selon Jean-Paul Deneuville, secrétaire général de la FNTR, doit être amendée « dans le sens d'une reconnaissance non équivoque de nos particularités. Et un décret devra adapter la loi au transport routier en s'appuyant, pour tous les conducteurs, sur l'accord de 1994 plafonnant le temps de service et sur la norme européenne en préparation. La FNTR se battra jusqu'au bout et même au-delà pour faire entendre et admettre la différence du transport routier », martèle René Petit. En réponse à cette prise de position, le ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, notant que la profession « a reconquis le paritarisme, après les événements de 1996 et 1997, en retrouvant la voie normale du traitement à froid des questions sociales », renvoie les transporteurs aux discussions avec leurs partenaires sociaux pour aborder la question de la spécificité du secteur dans le cadre des 35 heures. Il s'appuie notamment sur le fait que 80 accords d'entreprise ont été conclus, au 1er septembre 1999, sur la réduction du temps de travail dans le secteur. « En quelque sorte, ces accords montrent que c'est faisable. »

Pavillon en péril. En écho à une superbe mise en scène, organisée au cours de la matinée de clôture du congrès autour du cas « Willi Betz » (voir encadré), René Petit évoque également des « organisations » qui « ont commencé à introduire une forme de pavillon économique dans l'Union Européenne, apparemment en toute légalité ». Si la FNTR s'interroge sur la délivrance sans discernement, par le ministère des Transports, d'autorisations de transport, elle se demande surtout si le système Willi Betz (employer des conducteurs extra-communautaires pour faire des trafics intra-communautaires) est vraiment légal et « dans ce cas, accessible à une entreprise française ». Selon Jean-Claude Gayssot, si des poids lourds intra-communautaires peuvent circuler avec des conducteurs extra-communautaires, employés aux conditions extra-communautaires, cela signifie qu'il existe une faille dans la réglementation européenne et qu'elle doit être comblée. Mais, ce problème relèverait plutôt du ministère des Affaires sociales. Côté Transports, on affiche tout juste une volonté de contrôler de plus près ces véhicules.

Autre épine européenne, « la directive sur le temps de travail des conducteurs tarde à venir », relève René Petit. En fait, les travaux bloqueraient sur la question de l'intégration des conducteurs indépendants, que souhaitent le Benelux, le Portugal, la Suède, le Danemark, l'Autriche et la France, précise Jean-Claude Gayssot, qui ne renonce pas à convaincre d'autres partenaires.

Le « deal ». Dans ces conditions, selon la FNTR, existent aujourd'hui des « risques de recours accrus à la sous-traitance, au travail au noir », et « les professionnels du transport routier français refusent de connaître sans réagir le triste sort de la marine marchande ». Pourtant, le ministre reste convaincu que l'harmonisation européenne doit se faire vers le haut, pour mieux « lutter contre les forces anarchiques du marché ». Faute d'avoir su exporter le « progrès social » dans le transport routier, la France serait-elle capable de convaincre l'Union Européenne de passer aux 35 heures ? Ministre du Travail, Martine Aubry en semble certaine, qui voit que « l'Europe nous regarde avec admiration », tandis que René Petit l'imagine plutôt qui « ricane avec délectation ».

« Ministre de tous les transports et pas d'un seul mode, comme certains le disent », Jean-Claude Gayssot a assuré la FNTR et le transport routier de toute sa compréhension. Il n'empêche que, parmi ses priorités, figure la volonté de permettre au chemin de fer de conserver ses parts modales actuelles, alors même que les spécialistes de son ministère envisagent une régression constante dans les dix années à venir. A noter cependant que Jean-Claude Gayssot envisage un développement intégrant la part du transport combiné, qui doit être « privilégié dans ses techniques « non accompagnées », c'est-à-dire les caisses mobiles ». Le ministre refuse pourtant le « deal » que lui propose la FNTR : « Sur deux axes entièrement contrôlés par la SNCF - Paris/Avignon/Marseille et Paris/Toulouse -, nos professionnels sont prêts à s'engager à augmenter de 20 % leurs remises au combiné, contre un engagement d'augmentation de la qualité de la prestation ferroviaire, à hauteur de 95 % de régularité », contre 88 % actuellement. Le défi ne semble pas à la hauteur des moyens dont dispose aujourd'hui la SNCF.

Insécurité juridique. Actionnaire peu cohérent de l'entreprise publique, l'État tient-il correctement son rôle par ailleurs ? Selon la FNTR, les pouvoirs publics ont pour rôle d'élaborer « un minimum de textes, précis et incontournables, ni virtuels ni usine à gaz, pour une nécessaire régulation », dont les « axes sont identifiés : accès qualitatif à la profession par la capacité financière et réelle maîtrise de la sous-traitance. Aux transporteurs de répondre au meilleur coût aux besoins du marché, aux pouvoirs publics de fixer des textes clairs, nets et précis, que leurs agents de contrôle et les tribunaux ne se croiront pas obligés d'interpréter à leur façon ». Mais l'accord social de novembre 1994, « ni étendu ni généralisé, offre une légalité douteuse ». Le décret Pons, qui prévoyait la rémunération des temps de repos a été « annulé par le Conseil d 'État », et il reste « trop d'incohérences, de failles, de contradictions dans nombre de réglementations ». A ce sentiment « d'insécurité juridique », le ministre répond que la Direction des Transports Terrestres a été chargée de vérifier si les mesures relatives à l'action directe et au privilège du voiturier étaient bien adaptées aux besoins de la profession. Il a confirmé qu'un arrêté sur les documents de transport doit être publié le 1er décembre, que la plupart des textes réglementant la profession des moins de 3,5 t sont parus ou en cours de publication, de même que le décret sur l'extension de la formation initiale minimale obligatoire (FIMO) au compte propre est en cours d'élaboration.

Pour la FNTR, le transport routier de marchandises est « une valeur que nous voulons mieux partager ». Pour Jean-Claude Gayssot, c'est un secteur économique qui se porte bien, au vu des récentes statistiques à sa disposition. Le ministre ajoute que l'augmentation du prix du gazole en 1999 reste supportable et répercutable auprès des chargeurs. Une déclaration qui s'appuie sur l'exemple de grands groupes qui ont fait savoir qu'ils négociaient actuellement des relèvements de prix avec leurs chargeurs. De toutes façons, les premiers remboursements de taxes au titre du gazole utilitaire interviendront en février 2000. A bon entendeur...

Pour un milliard de moins

Un milliard de francs sur un an d'exploitation. C'est l'estimation de l'avantage concurrentiel dont bénéficierait le groupe allemand Willi Betz par rapport à une entreprise française de même taille, selon une « très longue enquête » commandée par la FNTR auprès de Piotr Michejda, consultant.

La plupart, pour ne pas dire toutes les informations énoncées par le consultant figuraient déjà dans un article publié dans le numéro 2037 de L'Officiel des Transporteurs, fin juin dernier. Dans ces conditions, l'intérêt politique de sa démonstration lors du congrès de la FNTR résultait essentiellement dans une tentative de comparaison des coûts de revient. Ainsi, un conducteur bulgare coûterait environ 11 500 F par mois, salaire, charges et frais de route compris, contre 25 000 F pour son équivalent français. Piotr Michejda assure également que Willi Betz obtient une remise de 20 % sur l'achat de ses tracteurs Mercedes, soit environ 100 000 F et qu'il les entretient pour 800 F de moins par mois et par unité.

A retenir...

> Une demande expresse de la FNTR : que la deuxième loi Aubry sur les 35 heures soit amendée « dans le sens d'une reconnaissance non équivoque de nos particularités».

> En guise de réponse, le ministre des Transports, Jean-Claude Gayssot, renvoie les transporteurs aux discussions avec leurs partenaires sociaux.

> Si le «modèle» Willi Betz est légal, il faut, soit combler le vide juridique européen qui l'autorise, soit s'attendre à ce que les entreprises françaises le mettent en oeuvre.

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