Une rentrée sociale pesante. Tel est le constat du côté des représentants des salariés comme des chefs d'entreprises du transport routier. « Les employeurs mettent en avant la hausse de leurs coûts - gazole et revalorisation des salaires conducteurs au 1er octobre - pour expliquer leurs difficultés à négocier le social », observe François Yverneau, secrétaire fédéral de la CFDT branche route. « Ils oublient que gouverner, c'est prévoir. D'ailleurs, une autre échéance, celle du 1er juillet 2000, les attend ! ». Retour à l'envoyeur : pour Joël Debaye, directeur des ressources humaines de United Savam à Soissons, c'est surtout la lenteur des négociations paritaires qui constitue une source d'inquiétudes. Exemple parmi d'autres : les nouvelles classifications des emplois. Prévue par le protocole d'accord du 7 novembre 1997, la révision n'est toujours pas entérinée alors qu'un consensus semblait se dégager avec les syndicats fin 1998. « Si les instances nationales ne se réveillent pas, la profession risque de connaître de sacrés problèmes avant Noël », avertit le DRH de United Savam. D'autant que certaines échéances, conditionnées par les décisions des partenaires sociaux, se rapprochent. Qu'en est-il, par exemple, de la revalorisation, au 1er octobre prochain, des plus bas salaires, notamment en courte distance ? interroge Joël Debaye. « Des engagements de révision ont été pris. Il faut les tenir ». Mais pas n'importe comment. Une augmentation uniforme du SMPG au taux prévus pour les coefficients le plus élevés serait impossible à appliquer par nombre d'entreprises. Sur ce dossier, l'absence de négociations sérieuses serait vécue comme une provocation par les salariés, analyse le DRH. « Toutes ces discussions qui piétinent démontrent à l'évidence un manque de maturité des uns et des autres. Et c'est grave ».
Avec 50 réunions à leur actif depuis le début de l'année, les négociateurs sont sans doute un peu fatigués, voire tendus, reconnaît Philippe Choutet, délégué général de l'Union des Fédérations de Transport. Néanmoins, ils reprendront du service le 1er octobre prochain.
Attentisme. Au menu : la recherche d'un accord de branche sur l'aménagement et la réduction du temps de travail (ARTT) applicable aux salariés sédentaires du transport routier de marchandises. En discussion depuis le début de l'année, cette question - la plus simple à résoudre sur le papier - n'a toujours pas trouvé d'issue favorable. « Je regrette que ces dossiers importants et complexes ne fassent pas l'objet d'une maîtrise parfaite de la part de nos partenaires. Ce n'est pas un jugement de valeur mais un constat. Par ailleurs, les syndicats ont fait montre de rigidité. Et ce, malgré des avancées patronales significatives telles que la suppression de l'accès direct (une disposition qui permet d'appliquer directement un accord de branche dans les entreprises dépourvues de délégués syndicaux NDLR), la modulation organisée par accord collectif ou par mandatement, le déclenchement des heures supplémentaires au delà de 43e heure », avance Philippe Choutet.
Polluée par l'épisode du droit syndical pendant tout un semestre, la discussion sur l'ARTT des sédentaires s'est également heurtée à l'attentisme des organisations syndicales. Objet de la prudence : le second volet de la loi Aubry qui sera débattu au Parlement à compter du 5 octobre prochain. Une occasion pour les syndicats, mais également pour les organisations professionnelles, de faire valoir leurs revendications et de concentrer leur action de lobbying sur le gouvernement et les parlementaires. Autant dire qu'en commission paritaire, les négociateurs risquent, une nouvelle fois, de parler dans le vide.
Des dérogations à Aubry II ? Dans sa lettre interne Liaison Transports & Équipement, la CFDT a déjà annoncé qu'elle partira au combat contre l'ensemble de la loi Aubry II, qualifiant ce texte de « consternant ». De son côté, la partie patronale concentrera son action sur la réduction du temps de travail du personnel roulant. Un dossier que les partenaires sociaux n'ont pas encore abordé. Dans les prochains jours, l'UFT devrait adresser aux pouvoirs publics des demandes de dérogations en faveur de cette catégorie de salariés. « Le terme adaptation est sans doute plus approprié », précise Philippe Choutet. « En préambule, il s'agit d'affirmer que le personnel roulant ne s'inscrit pas dans une logique 35 heures. Le conducteur routier est hors norme par rapport au code du travail et il faut conserver cette situation ». L'idée est d'obtenir un dispositif dérogatoire qui puisse donner lieu à une véritable reconnaissance juridique de l'accord social de 1994. « Pour faire valoir cette démarche auprès des pouvoirs publics, nous devons préalablement trouver un terrain d'entente avec les syndicats ».
Un choc des dispositifs. L'Unostra tentera, quant à elle, de jouer sur la corde sensible de la concurrence européenne. « Entre le projet de directive concocté à Bruxelles sur le temps de travail des conducteurs et la loi sur les 35 heures, il y a comme un choc des dispositifs qui risque de pénaliser les pme françaises », note Christian Rose, secrétaire général de l'Unostra. « Nous voulons éviter à la profession que s'instaure une concurrence malsaine par le jeu du social », observe, pour sa part, Philippe Choutet. «En ce sens, estime-t-il, un accord de branche est essentiel car il permettra d'éviter certains débordements ».
Comment obtenir des aménagements à la deuxième loi Aubry alors que les entreprises ont boudé ceux ouverts par la circulaire du 31 juillet 1998 sur l'accès aux aides d'Etat ? Telle est la situation à laquelle est aujourd'hui confrontée la profession. « Ce dispositif dérogatoire souffre d'un défaut majeur : il ne tient pas compte de la variabilité de l'activité pour apprécier la réduction de 10 % du temps de travail des grands routiers », argue le délégué général de l'UFT. L'Unostra explique la faible portée de ces mesures par l'absence de délégués syndicaux dans les pme. Elle propose donc d'ouvrir le bénéfice des aides à l'ensemble des entreprises de transport - dès lors qu'elles respectent les conditions de réduction du temps de travail et d'embauche - y compris à celles qui ne signeront pas d'accord.