Daté du 30 août et signé par dix ministres (dont celui de la Défense !), le décret d'application de la loi Gayssot est enfin paru au Journal officiel du 2 septembre. Il modifie profondément les règles d'accès au marché et à la profession, les titres administratifs et documents de transport devant se trouver à bord du véhicule, le régime des sanctions administratives et pénales. Les entreprises ont un an - jusqu'au 2 septembre 2000 - pour se conformer à ses dispositions.
De nouvelles conditions d'inscription. L'inscription au registre des transporteurs et des loueurs - les deux registres sont fondus en un seul - s'impose à toute entreprise de transports publics routiers de marchandises ou de location de VI avec conducteur qui exploite un ou plusieurs véhicules d'au moins deux essieux (1). Pour s'inscrire, les trois conditions d'accès à la profession (honorabilité professionnelle, capacité financière, capacité professionnelle) doivent être satisfaites.
> Honorabilité professionnelle : identique pour toutes les entreprises inscrites au registre quel que soit le tonnage des véhicules exploités, elle est étendue à l'ensemble des dirigeants de l'entreprise et non plus à la seule personne qui assure la direction permanente et effective de l'activité de transport ou de location (attestataire). En outre, la liste des infractions privatrices de l'honorabilité s'allonge. Ainsi, l'entreprise n'est plus « honorable » dès lors que l'un de ses dirigeants a fait l'objet soit d'une condamnation mentionnée au bulletin n°2 de son casier judiciaire entraînant une interdiction d'exercer une activité commerciale ou industrielle ; soit de plus d'une condamnation pour certains délits touchant aux règles de transport, de travail ou de sécurité (voir encadré). Les personnes résidant en France depuis moins de 5 ans doivent apporter la preuve qu'elles n'ont pas subi de condamnations pour des faits similaires.
> Capacité financière : elle se justifie au moyen de capitaux propres et de réserves ou de cautions bancaires (le recours à ces dernières est limité à la moitié de la capacité exigible). Pour les entreprises exploitant des véhicules de plus de 3,5t, la capacité financière est abaissée à 60 000 F pour le premier véhicule et 33 000 F pour chacun des véhicules suivants. Pour les moins de 3,5t, elle est fixée à 6000 F par véhicule.
Sont à prendre en compte pour le calcul de la capacité financière : les véhicules en propriété, en crédit-bail ou pris en location avec ou sans conducteur. Les véhicules donnés en location en sont, eux, exclus. Si l'entreprise n'est pas constituée sous forme de société à capitaux, les biens propres de la personne inscrite au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers sont pris en compte pour l'évaluation de sa capacité financière.
Commentaire : les montants sont alignés sur ceux de la directive européenne du 1er octobre 1998.
> Capacité professionnelle : la réforme n'apporte pas de changement pour les chefs d'entreprises exploitant des véhicules excédant 3,5t de PMA. Pour les autres, le texte impose soit de détenir un justificatif de capacité professionnelle délivré à l'issue d'une formation dispensée par un organisme habilité par le préfet de région, soit de présenter un diplôme ou certificat de formation admis en équivalence. Toutefois, les personnes qui assurent la direction permanente et effective d'entreprises immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers à la date du 2 septembre 1999 en sont dispensées.
Commentaire : les entreprises de moins de 3,5t déjà immatriculées au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers - environ 7000 seraient dans ce cas - auront automatiquement accès aux registres professionnels.
Sous peine d'amende de 5è classe, le préfet doit être averti, dans un délai d'un mois, de tout changement de nature à modifier la situation de l'entreprise au regard des conditions d'inscription au registre. Les entreprises qui ne satisfont plus à l'une des trois conditions requises lors de leur inscription sont radiées du registre après avis de la commission de sanction administrative et mise en demeure infructueuse du préfet de régulariser leur situation dans un délai de trois mois. En cas de capacité financière devenue insuffisante, ce délai peut être porté jusqu'à douze mois si la situation économique de l'entreprise laisse entrevoir des possibilités de régularisation pendant ce laps de temps. Des assouplissements sont maintenus en cas de décès ou d'incapacité physique de l'attestataire.
Commentaire : la condition de capacité financière devra être remplie tout au long de la vie de l'entreprise et non plus seulement lors de l'inscription. Confirmation est en sera donnée avec l'arrêté d'application à venir.
De nouveaux titres de transport. Le régime de l'autorisation de transport disparaît et, avec lui, les notions de zone longue et courte. S'y substitue un nouveau dispositif fondé sur la licence communautaire et la licence de transport intérieur selon le tonnage des véhicules. Les anciennes autorisations demeurent néanmoins valables jusqu'au 2 septembre 2000.
L'inscription au registre donne lieu à la délivrance de :
> la licence communautaire pour les véhicules à partir de 6t de PMA et de 3,5t de charge utile (remorques comprises). Conservée dans les locaux de l'entreprise, elle permet de couvrir l'ensemble des trafics nationaux et intracommunautaires. Elle remplace en tant que justificatif les anciennes autorisations de zone longue, les autorisations de location successives et les autorisations de location de longue durée. Délivrée pour 5 ans, elle s'accompagne d'autant de copies numérotées que l'entreprise dispose de véhicules.
> la licence de transport intérieur pour les véhicules n'excédant pas 6t de PMA et 3,5t de charge utile. Lorsque l'entreprise utilise exclusivement des véhicules n'excédant pas 3,5t de PMA, elle porte mention - comme les copies conformes qui lui sont attachées - d'une limitation de l'activité au transport léger. Cette licence permet la réalisation de transports sur l'ensemble du territoire national.
De nouvelles sanctions administratives. Le dispositif de sanctions administratives se réorganise autour d'un principe de graduation des décisions prononcées par le préfet, après avis de la commission de sanctions administratives, à savoir :
- le retrait temporaire des titres de transport détenus (licence ou copies conformes) en cas de délit, d'infractions de 5è classe ou de contraventions de 3ème classe répétées aux règles de transport, de travail et de sécurité ;
- le retrait définitif des licences avec pour conséquence la radiation de l'entreprise du registre en cas de récidive dans les cinq ans ;
- la sanction d'immobilisation administrative. Intervenant en cas de répétition de deux délits faisant tomber l'honorabilité, elle consiste en l'immobilisation à l'entreprise d'un ou plusieurs véhicules pour une durée de trois mois au plus. Cette décision préfectorale fait l'objet d'une publication dans deux journaux régionaux - aux frais de l'entreprise - et d'un affichage dans les locaux.
Commentaire : Le dispositif de sanctions administratives s'étend aux transporteurs légers qui y échappaient jusqu'à présent.
De nouvelles règles de sous-traitance. Peuvent recourir à la sous-traitance sans inscription au registre des commissionnaires :
- les entreprises de transport et les coopératives (celles qui n'ont pas opté pour le statut résultant de la loi du 20 juillet 1983 comme celle qui, ayant opté pour ce régime, confient l'exécution de leurs contrats à d'autres que leurs membres) confrontées à une surcharge temporaire d'activité et ce, dans une limite de 15 % du chiffre d'affaires annuel de l'activité de transport ;
- les entreprises de déménagement ;
- les entreprises réalisant les parcours initiaux et terminaux de transport combiné ;
- les entreprises de transport « qui assurent des transports de lots inférieurs à 3t et qui, tout en conservant leur responsabilité sur l'opération de transport, soit confient à d'autres transporteurs auxquels elles sont liées par une convention de compte courant certains des lots qui leur sont confiés, soit font exécuter par d'autres transporteurs les opérations terminales de ramassage ou de livraison ».
Le transporteur recourant à un sous-traitant - transporteur ou loueur - devra s'assurer préalablement à la conclusion du contrat que celui-ci est habilité à exercer l'activité demandée et donc inscrit au registre.
Commentaire : Le texte complète l'arrêté du 29 novembre 1997 (JO du 15 janvier 1998) qui instaure une obligation de déclaration annuelle et d'enregistrement chronologique des opérations de sous-traitance. Son non respect est passible d'une contravention de 4ème classe.
(1) Sont toujours placées hors réglementation, les prestations exécutées par des entreprises dont le transport n'est pas l'activité principale (un arrêté à venir fixera les modalités des dérogations) et celles effectuées dans un rayon de 100 km (collecte de lait, exploitation agricole, débardage de bois en grume...).
> L'inscription au registre professionnel s'impose à toute entreprise de transports publics routiers de marchandises ou de location de VI avec conducteur qui exploite un ou plusieurs véhicules d'au moins deux essieux.
> L'entreprise exploitant des « moins de 3,5t » est dispensée de capacité professionnelle si elle est immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers à la date du 2 septembre 1999.
> Les transporteurs ont un an - jusqu'au 2 septembre 2000 - pour se conformer aux dispositions du décret Gayssot.
Doivent désormais figurer à bord de tout véhicule effectuant un transport sur le territoire national :
> une copie conforme d'une des deux licences, communautaire ou intérieure, selon le tonnage du véhicule ;
> la lettre de voiture nationale ( lettre de voiture-transport de lots ou récepissé de transport) ou CMR à l'international ;
> le cas échéant, le document justificatif (copie du contrat) de location avec ou sans conducteur ;
> une attestation d'emploi établie par l'employeur matérialisant la relation d'emploi entre l'entreprise et le conducteur du véhicule.
Ces documents doivent être conservés pendant deux ans pour éventuelle présentation aux corps de contrôle. Leur absence à bord du véhicule est passible d'une contravention de 5ème classe.
La FNTR et l'Unostra ont soutenu le principe d'un encadrement réglementaire des transports légers. Pour la première, cette mesure « comble un vide juridique concevable pour des activités cantonnées sur des niches mais inacceptable dès lors que la population concernée connaît un développement exponentiel ». Elle vise à « l'assainissement d'un pan entier de la profession devenu le refuge du non droit et du travail dissimulé ».
En revanche, TLF considère que l'obligation d'inscription au registre pour les petits véhicules « créé des distorsions de concurrence dans la compétition européenne ». En outre, cette fédération met en avant les difficultés de mise en oeuvre de la réforme, estimant qu'il s'agit là « d'une charge lourde pour l'administration au regard de résultats concrets qui seront très faibles ».
La deuxième condamnation de l'un des dirigeants pour l'un de ces délits fait perdre à l'entreprise la condition d'honorabilité:
> articles L1, L2, L7, L9, L9-1, L12 et L 19 du code de la route : conduite en état d'alcoolémie, refus de se soumettre aux contrôles d'alcoolémie, délit de fuite, placement d'un objet sur la voie publique, usage de fausses plaques d'immatriculation ou défaut de plaques, modification du limiteur de vitesse, récidive de défaut de permis, conduite en période de suspension ou d'annulation du permis, refus de restitution d'un permis suspendu ou annulé;
> articles L125-1, L 125-3, L 324-9, L324-10 et L341-6 du code du travail : « marchandage » et prêt de main d'oeuvre à but lucratif, travail dissimulé, emploi frauduleux de travailleurs étrangers;
> article 25 de la loi du 14 avril 1952 (coordination des transports): défaut d'inscription au registre, utilisation d'un titre de transport périmé ou suspendu; refus d'exécuter une sanction administrative, refus de présentation des documents de transports, obstacle au contrôle, fourniture de faux renseignements à l'occasion d'enquêtes relatives aux conditions d'inscription au registre ou à la délivrance de titres de transport,
> articles 3 et 3 bis de l'ordonnance du 23 décembre 1958 (réglementation sociale): falsfication de documents, détérioration ou usage irrégulier des dispositifs de contrôle;
> article 24 de la loi du 15 juillet 1975 (matières dangereuses) relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux;
> articles 4 et 5 de la loi du 31 décembre 1992 (loi sur la sous-traitance) : refus de communiquer le document justificatif d'un prix de sous-traitance;
> article 23-1 de la loi du 1er février 1995 (loi sur les prix abusivement bas) : l'offre ou la pratique d'un prix ne permettant pas de couvrir les charges entraînées par les obligations légales et réglementaires.
La loi du 6 février 1998 a donné lieu à :
> l'extension des formations obligatoires aux non salariés : décret du 18 novembre 1998
> la procédure d'identification du véhicule au chargement-déchargement est réputée acquise avec la révision du contrat-type « général » : décret du 6 avril 1999 publié au Journal Officiel du 11 avril 1999
> l'extension au transporteur du privilège du commissionnaire : article 108-1 du Code de commerce
> la reconnaissance de l'action directe à l'égard de l'expéditeur : article 101 du Code de commerce.
En revanche, sont encore attendus :
> un arrêté sur la capacité financière
> un décret précisant la liste des délits passibles d'une sanction administrative d'immobilisation et les conditions de publication
> un arrêté sur la capacité professionnelle applicable aux moins de 3,5t : modalités et le contenu du stage, diplômes et certificats admis en équivalence
> un arrêté fixant le contenu et les modèles des nouveaux titres administratifs et documents de transport, si le ministre le juge nécessaire.