«Les deux systèmes très policés qu'étaient E1 et TEAM ont explosé suite au remue-ménage déclenché par les postes », déclare Alain Bréau, pdg de Mory. Il résume ainsi les conséquences de la tornade qui a emporté les deux réseaux européens de messagerie la semaine dernière et touché de plein fouet Dubois et Mory, leurs membres français. A l'origine de cette tempête : un communiqué de Dubois annonçant qu'ABX, division colis de la Société Nationale des Chemins de fer Belges, devient son partenaire pour l'Allemagne, le Benelux, l'Espagne, l'Irlande et la Suisse en remplacement du Néerlandais Nedlloyd (repris par Danzas/Deutsche Post en début d'année). L'accord étant réciproque, Dubois devient le partenaire d'ABX dans l'Hexagone. Or, les chemins de fer belges, membres de TEAM, ont, de ce fait, déjà un correspondant français : Mory. Lequel en apprenant cette infidélité « prend acte en s'en félicitant de la décision de la SNCB de rompre la collaboration initiée en 1992 avec Thyssen Haniel pour donner naissance au TEAM » avant de communiquer quelques jours plus tard la liste de ses nouveaux partenaires dans les pays que couvrait son ancien « allié » belge.
Mory sans TEAM. En Allemagne, Mory travaille désormais avec ITG, Terranaut, Schmidt-Geverlberg, Heinrich Koch, Dresdner Spedition, F.W. Neukirch et Intertrans, entreprises régionales indépendantes pour la plupart liées au réseau Cargo Line regroupant 43 franchisés. En Espagne, son partenaire est Transnatur et au Benelux Wim Bosman. Sur le reste de l'Europe, les accords conclus avec les autres partenaires de Mory au sein de TEAM restent en vigueur. Le réseau basé sur l'addition de contrats bilatéraux explose avec le départ d'ABX mais l'appellation commerciale TEAM subsiste pour l'international. « Nous sommes propriétaires de la marque pour la France », souligne le P-dg de Mory qui n'a pas fini de régler ses comptes avec la SNCB. « Elle a pris la responsabilité de dénoncer unilatéralement un contrat. Mory en demandera réparation financière sous les formes juridiques appropriées. Le montant des indemnités n'était pas inscrit mais un délai de préavis de six mois était prévu en cas de rupture », précise-t-il.
Le nouveau couple Dubois/ABX ne suscite pas seulement quelques émotions du côté du marié belge, il bouleverse également la famille européenne de la mariée française : l'alliance E1. Constituée en 1993 entre le Néerlandais Nedlloyd (9 MdF de CA), le Danois Dan Transport (6,2 MdF de CA), l'Italien Saima Avandero (3,5 MdF de CA) et Dubois (2,8 MdF de CA), celle-ci a perdu Nedlloyd en début d'année lorsque ce dernier est passé sur la coupe de la poste allemande. C'est à lui que se substitue la SNCB d'un point de vue géographique. Mais les ambitions des chemins de fer ne s'arrêtent pas là. De nature commerciale, l'accord qui les lie à Dubois pourrait déboucher sur une entrée de la SNCB dans le capital du messager français. « Les choses sont compliquées par les accords existants au sein d'E1. Mais lorsque la situation sera clarifiée et si des actions viennent à se libérer, nous sommes prêts à prendre une participation », affirme Etienne Schouppe, directeur général de la SNCB, au quotidien belge Le Lloyd. « Nos négociations avec ABX se situaient en priorité au niveau de l'exploitation. Pour ce qui est de l'actionnariat, il n'y a pas urgence. [...] On peut concevoir qu'un jour, certaines évolutions au niveau du capital se produisent », admet de son côté Yves Dejou, vice-président de Dubois.
Dubois dans les filets belges. Un tel schéma semble d'autant plus probable qu'il coïncide avec les attentes des deux groupes. Pour Dubois, il n'est pas seulement question de combler le vide laissé par Nedlloyd. Il s'agit également de trouver un partenaire susceptible de l'aider à résoudre les problèmes d'une succession trop coûteuse... autrement dit un repreneur potentiel. Or, la mariée n'est pas des plus séduisantes. Dubois, qui n'a pas annoncé ses résultats 1998, a réalisé 12 millions de francs de bénéfice net pour 2,8 milliards de francs de chiffre d'affaires net en 1997 après deux années de déficit (55 MF en 1995 et 75 MF en 1996). Les célibataires commencent à se faire rares : les grands prédateurs et les autres ont déjà trouvé chaussure à leur pied dans l'Hexagone. Seuls restent officiellement en quête d'une entreprise française l'allemand Schenker et la SNCB. Frustrée d'avoir été éconduite par Mory en début d'année, la compagnie ferroviaire belge n'est pas parvenue au sein de TEAM à satisfaire son ambition de réseau européen intégré avec prise de participation au moins minoritaire. E1 lui offre plus d'opportunités. La SNCB se dit en effet sur le point de prendre une participation de 20 %, voire le contrôle, dans le capital de Saima Avandero. Partenaire de l'alliance E1, cette entreprise détient 13,66 % de Dubois... comme Nedlloyd et Dan Transport. Passés respectivement sous le contrôle de Deutsche Post et de DFDS, ces derniers ne devraient pas s'accrocher très longtemps à leurs actions Dubois. DFDS n'a pas caché, dès l'annonce de l'accord Dubois/ABX, son intention de lâcher E1 et les parts qu'il y possède. Une telle cession pose toutefois un petit problème : elle n'est autorisée qu'entre partenaires d'E1. Dubois n'a sans doute pas les moyens de les racheter. Reste donc un acquéreur potentiel : Saima Avandero auquel la SNCB pourrait apporter les fonds nécessaires. Avant d'en arriver là, les membres de l'alliance ont une autre question à régler : celle des contrats opérationnels qui les lient toujours. S'ils n'y mettent aucune hâte, c'est parce que le premier qui les dénoncera s'exposera à verser quelques dommages et intérêts aux autres. Combien de temps durera le statu quo ?
TEAM est mort, le nouveau réseau Mory est né. Quelle sera sa structure ? Réponse d'Alain Bréau, pdg de Mory. «Le réseau TEAM, qui était une somme d'accords bilatéraux, a explosé avec la défection de la SNCB mais les accords signés avec les autres partenaires demeurent. Quant à la nature des liens juridiques qui nous uniront à nos nouveaux partenaires... nous n'avons pas encore eu le temps de les déterminer. Il est clair qu'il est impossible aujourd'hui de constituer des «home lands» où chaque partenaire est le correspondant de tous les autres dans son pays. Il est également trop tôt pour recréer les systèmes d'alliances policées et réglementées qui existaient. Il faut laisser retomber la poussière soulevée par les postes ces derniers mois. Aujourd'hui, il n'est pas incohérent de revenir au vieux système des correspondants. Nous sommes passés du mariage - ou du flirt légalisé - au PACS mais nous avons au moins évité de tomber dans les harems des sultanats postaux».
Membre du TEAM puis partenaire de Danzas avant d'intégrer E1, le groupe scandinave DFDS Dan Transport a finalement décidé de constituer son propre réseau européen. Un réseau dont les mailles s'emmêlent parfois avec celle de ses anciens alliés. Au moment où Dubois annonce son nouveau partenariat avec ABX/SNCF, DFDS Dan Transport, son partenaire au sein d'E1, présente son nouveau réseau européen. Au coeur de celui-ci : l'entreprise allemande Deugro que le groupe scandinave va acquérir en même temps que la participation qu'elle détient dans CLI International. Cette organisation qui réunit 21 transporteurs allemands est une émanation de la franchise Cargo Line où Mory a recruté la plupart de ses nouveaux partenaires Outre-Rhin, « mais ce ne sont pas les mêmes », souligne Alain Bréau, P-dg de Mory. Ce qui n'est pas le cas en Europe du sud où DFDS s'est allié au Portugais Transnautica et à l'Italien Sifte Berti qui restent partenaires de Mory. Le réseau du groupe scandinave compte en outre Quehenberger en Autriche et Spedag en Suisse. Dans l'Hexagone, DFDS s'appuie désormais sur NTS (Nordisk Transport Sverige), filiale de Dan Transport. Faute d'être dénoncé, l'accord avec Dubois sur la Scandinavie reste officiellement en vigueur. Mais celui signé entre le messager français et ABX/SNCB devrait y mettre fin.
C'est en effet pour fuir les chemins de fer belges, repreneurs de THL/Banhtrans et de ce fait membre de TEAM, que DFDS quitte ce réseau en octobre 1998 pour nouer un partenariat avec Danzas. Un contrat auquel le rachat du groupe suisse par Deutsche Post puis l'OPA de DP/Danzas sur le Suédois ASG met fin.
Parallèlement, en reprenant en début d'année Dan Transport, DFDS intègre E1. Bien que le groupe scandinave soit très présent au Benelux et au Royaume-Uni, cette alliance ne lui concède aucune des zones géographiques laissées vacantes par Nedlloyd. C'est sans doute ce qui a conduit DFDS à se constituer un nouveau réseau.
L'accord entre Dubois et ABX/SNCB, comme la prise de participation annoncée de ce dernier dans Saima Avandero, court-circuitent l'alliance E1. Née en 1993, la coopération entre Nedlloyd, Dan Transport, Saima Avandero et Dubois sur le marché de la messagerie n'a été consolidée qu'en 1998. D'abord en mai quand Dubois, en mal de fonds propres, cède 41 % de son capital à ses partenaires. Ensuite en septembre 1998 avec la formalisation de leur union. Baptisée E1, celle-ci prend alors une dimension plus « logistique globale » et s'abrite dans une holding commune avec un contrat « signé pour cinq ans ».
Liens capitalistiques et juridiques qui ne suffisent pas à E1 pour résister au rachat de l'activité transport terrestre de Nedlloyd par Danzas/Deutsche Post en mars dernier. Le repreneur est en effet alors partenaire de DFDS, concurrent direct de Dan Transport... Jusqu'à ce que les deux entreprises danoises fusionnent à la suite de l'OPA lancée par Danzas sur l'entreprise suédoise ASG. E1 redevient à peu près cohérent géographiquement faute d'être complet puisqu'il faut trouver un remplaçant à Nedlloyd. C'est là qu'intervient la SNCB. Fin de l'histoire ou seulement d'un chapitre ?