Mory libéré du CDR

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Annoncée comme imminente fin 1997, la privatisation de Mory est officielle depuis le 19 juillet dernier. Le capital du messager est désormais détenu pour 80 % par des investisseurs et pour 20 % par la direction et les salariés du groupe. Libéré du CDR et fort d'une rentabilité frôlant les 2 % en 1998, Mory affiche de nouvelles ambitions : 5 MdF de chiffre d'affaires et 100 MF de bénéfices d'ici à 2002. Un nuage à l'horizon : l'avenir du messager au sein du réseau européen TEAM où ABX/SNCB vient de se choisir un nouveau partenaire français, Dubois.

Après deux ans et demi de tergiversations, le groupe Mory a été officiellement privatisé le 19 juillet dernier avec la signature du décret ministériel autorisant le Consortium de Réalisation à céder sa participation dans le capital du messager. Montant de la vente : 300 millions de francs (y compris l'endettement). Conformément au plan accepté en mars dernier, 95 % des actions sont reprises par Financière Mory, holding détenu pour 85 % par les investisseurs britanniques Natwest et Barclays et pour 15 % par le management de Mory. Les 5 % restants échoient aux salariés de l'entreprise de messagerie via un fonds d'épargne d'entreprise (FCPE). Au terme de ce montage financier, Mory appartient pour 42 % à Natwest, pour 38 % à Barclays, pour 15 % à la direction et aux cadres et pour 5 % aux salariés. Mais ces derniers pourront détenir jusqu'à 20 % du capital. Il leur sera offert d'accroître leur participation à la clôture de chacun des trois prochains exercices. « Au total, mi-2002, les composantes internes détiendront ainsi un tiers du capital, soit la minorité de blocage », précise Alain Bréau, P-dg de Mory. D'ici là, une partie des actions du groupe sera peut-être cotée en bourse puisqu'une introduction est prévue d'ici deux à trois ans quand « les conditions de marché et le développement de l'entreprise le permettront ». Faute d'avoir quelque influence sur l'ambiance du Palais Brongnart, Alain Bréau va s'employer à favoriser l'expansion de Mory.

100 MF de bénéfices en 2002. Son objectif d'ici 2001-2002 : 5 milliards de francs de chiffre d'affaires et 100 millions de francs de résultat net. En 1998, le groupe a réalisé 3,2 MdF (contre 2,9 MdF en 1997) de chiffre d'affaires net, dont 1,8 MdF en messagerie, et sorti 58 MF de bénéfice net (soit 50 % de plus qu'en 1997) et 100 millions de francs de bénéfice d'exploitation. Soit un ratio frôlant les 2 %. « C'est à peu près ce que j'avais annoncé en 1996 lors de mon arrivée dans le groupe », rappelle Alain Bréau. Satisfait d'entrer quasi simultanément dans les clubs des messagers « rentables » et dans celui des « P-dg actionnaires », celui-ci se félicite surtout des opportunités de développement qu'ouvre à Mory son nouvel actionnariat privé et enfin stable. « Nous avons une chance raisonnable d'être le seul messager dont le centre de décision soit en France et non ferroviaire », prévoit-il. Une position « qui, sans être l'arme commerciale absolue, nous donne une certaine faveur auprès de la clientèle ». De quoi assurer une partie des 200 millions de francs de croissance interne annuelle attendue. Le messager mise également sur un développement de son offre avec notamment le lancement de Mory Gold. Un produit express qui sera proposé dès cette année et passera par un réseau dédié et un hub spécifique voisin de celui d'Artenay.

« Parallèlement, notre nouvelle situation (qui fût la norme et devient l'exception) nous permet d'attirer des fonds de commerce, petits et moyens, qui cherchent des rapprochements. Depuis que notre sortie du CDR est programmée, beaucoup d'entreprises frappent à notre porte. Ce qui nous met en position de devenir un pôle de regroupement dans la profession. Cela nous offrira également quelques opportunités de croissance externe de niches soit géographiques, soit de marché », explique Alain Bréau. Mory a déjà réalisé quelques petites opérations de ce type ces derniers mois. Début 1999, il a repris Colis System, ex-filiale de Kodak spécialisée dans le transport express et pesant 200 MF de CA annuel. Fin 1998, il a racheté LDI (créée en 1997 par d'anciens cadres de SNTO/Bouquerod). Axée sur l'Europe de l'Est, cette société réalise 100 MF de CA.

Petites touches. Le groupe devrait poursuivre cette politique de croissance externe par petites touches. « Notre nouvelle structure ne nous permet pas de procéder à des acquisitions lourdes, sauf en montant des opérations de financement spécifiques avec nos partenaires investisseurs », explique Alain Bréau en précisant qu'il se concentrera sur les opportunités qui se présenteront en France. « Nous ne voyons pas l'utilité d'acquérir des sociétés nationales à l'étranger et privilégions le partenariat en messagerie comme pour les expéditions de lots ». Il admet que cette stratégie présente un risque : « voir ce partenaire devenir la proie d'un prédateur ».

Quel avenir dans le TEAM? Une expérience qu'a vécu le groupe Mory au sein du réseau européen TEAM dont un pilier essentiel, THL/Bahntrans, a été repris par ABX/SNCB (Société Nationale des Chemins de fer Belges) l'année dernière. Dans la foulée, la compagnie ferroviaire s'était aussi portée candidate au rachat de Mory, lançant une offre en concurrence avec celle de Natwest et du management du groupe français. Une démarche qui selon Alain Bréau est « contraire à la philosophie même du TEAM et de certains de ses membres puisque l'ambition de la SNCB est de transformer cette alliance en système de propriétaire ».

Face à ce prédateur déçu, « Mory est dans une situation paradoxale. Le TEAM marche bien et sur le plan technico-commercial rien ne presse. Mais à long terme, le paradoxe n'est pas gérable », regrettait Alain Bréau en juillet dernier en envisageant deux options : « Ou bien les Belges persistent dans cette attitude et on revoit un certain nombre de choses dès l'automne. Ou bien ils revisent leur stratégie ». Le changement de majorité politique en Belgique laissait augurer une évolution dans le sens souhaité par Mory. « Etienne Schouppe, le directeur général de la SNCB, avait été nommé par l'ancien gouvernement. Il est en outre sous deux inculpations personnelles pour présentation de faux bilan et pour utilisation de fonds publics. Sa longévité à son poste semble donc être une affaire de semaines », affirmait Alain Bréau. Quelle que soit désormais sa pérennité à la tête de la SNCB, Etienne Schouppe aura eu le temps de déstabiliser Mory et le TEAM. Dubois vient en effet d'annoncer la signature d'un accord de coopération avec ABX qui devient son correspondant en Allemagne, au Benelux, en Espagne, en Irlande et en Suisse.

Deux ans... !

« Il est plus difficile de sortir du secteur public que de Polytechnique », ironise Alain Bréau dont les études dans cette école ont duré deux ans alors que la privatisation de Mory s'est prolongée pendant deux ans et demi...

> La première vente de Mory est organisée en janvier 1997.

> En octobre, un premier protocole d'accord est signé avec Natwest.

> En avril 1998, le CDR annonce qu'il ne mène pas la vente prévue jusqu'au bout sans donner de raison officielle. La commission de privatisation aurait refusé d'entériner la vente sans vouloir émettre d'avis négatif.

> En octobre 1998, la vente de Mory est relancée. Deux propositions de reprise resteront en lice sur la short-list. D'une part celle déposée par le management de Mory, soutenu par le personnel du groupe, avec l'appui financier des banques d'affaires Natwest et Barclays. D'autre part celle de SNCB/ABX.

> En mars 1999, le CDR fait annoncer par Natwest que son offre est retenue.

> Le 19 juillet 1999, le décret de privatisation est signé.

Une entreprise bientôt bicentenaire

Mory fût une entreprise familiale avant d'entrer dans le giron de Novalliance puis de se retrouver parmi les actifs douteux du Crédit Lyonnais cantonnés au sein du CDR et d'être enfin cédée à de nouveaux actionnaires privés. Les grandes dates d'une entreprise presque bicentenaire.

> 1804 : Nicolas-Toussaint Mory (Calais) se spécialise dans l'acheminement de lettres et de journaux. Il développera plus tard des activités de transit et d'échanges de marchandises entre la France et l'Angleterre.

> 1868 : son fils Nicolas-Jean-Baptiste Mory fonde à Boulogne Mory et Cie, organisation de transport.

> L'entreprise se développe notamment par le biais de croissance externe avec la reprise de Gerspach (1935), Helminger (1939), Nord-Bretagne (1940), TTM (1956), Vandelet (1958), Union Transport (1960)

> 1962 : Mory et Cie devient Mory SA. Elle poursuit sa politique de développement en reprenant des sociétés régionales comme Chandon puis Berard et Forest (1973), Brivin (1978).

> 1979 : Mory et Helminger mettent en place le réseau national TNTE avec 75 agences appartenant aux filiales. En 1983, Mory reprend Aguay.

> 1985 : naissance de Mory-TNTE. Bijot, Pavesi, Société Castraise de transport et d'entrepôts, Sodetrans, Sometrac, Ferry Mougin ont intégré le groupe.

> Mory poursuit une stratégie de diversification tous azimuts : overseas, logistique avec la création de Mory-Logidis, lot complet avec Transports de l'Ouest Européens, multimodal avec TMF, denrées périssables avec Philippe Rey, transports Roca... Son chiffre d'affaires dépasse les 5 milliards de francs.

> 1990 : le groupe toujours détenu par la famille Masset/Mory est vendu à Novalliance contrôlé par Alain Mallart. Les activités sont alors recentrées sur la messagerie, la logistique. En 1991, le chiffre d'affaires est de 3,2 MdF.

> En 1994, Mory réalise 2,5 MdF de CA pour un déficit net de 9 MF.

En 1995, ces pertes tombent à 422 MF.

> Fin 1995 : l'ensemble Novalliance/Mory passe sous le contrôle du Consortium de Réalisation, chargé de liquider les actifs douteux du Crédit Lyonnais qui avait financé le développement de l'empire Mallart.

> Février 1996 : Alain Bréau, ex-P-dg de Groupe Sceta, est nommé président de Novalliance et de Mory qui affichera un CA 1996 de 2,8 MdF pour un déficit net de 4,7 MF.

> Octobre 1997 : le CDR annonce que Mory, devenu Mory Team, sera cédé avant la fin de l'année.

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