Ange ou démon ?

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Bleu et jaune pour les marchandises générales, bleu et blanc pour les frigos. Ce sont les couleurs des 4 000 ensembles semi-remorques que le groupe allemand Willi Betz exploite en Europe. Conduits par des Bulgares, des Lituaniens... Nombre d'entre eux sillonnent actuellement les routes de France éveillant inquiétudes et rumeurs dans l'Hexagone. Que cache cette invasion ? Quelles sont réellement les ambitions du groupe allemand ? Rencontre.

« Willi Betz n'est pas en train de racheter Norbert Dentressangle ou sur le point d'être repris par lui. Mercedes Benz ne détient pas la moindre participation dans le capital de notre groupe, qui est à 100 % familial et dont la spécialité est le transport de lots en semi bâchées ou frigorifiques à l'international. Willi Betz n'a aucunement l'ambition de développer des transports intérieurs en France ou ailleurs », assure, avec quelque ironie, Ulrich Börnstein, gérant de Willi Betz France, qui dément ainsi les moins folles des rumeurs circulant sur le groupe allemand. Celui-ci emploie 7 000 salariés et réalise un chiffre d'affaires de 4,7 milliards de francs pour un « bon résultat ». « C'est respectable, mais à l'échelle européenne, ce n'est pas si énorme », souligne Ulrich Börnstein, un peu surpris de l'intérêt que suscite son groupe en France et ailleurs ces derniers mois. « Pour compenser la baisse d'activité qu'a entraîné la crise russe, nous avons effectivement été amenés à développer nos trafics sur d'autres pays d'Europe à l'Est comme à l'Ouest, où nous avons toujours été présents. C'est peut être moins visible d'ici, car la France faisait un peu exception à la règle puisque la quasi totalité des trafics étaient destinés à la CEI », déclare le gérant de Willi Betz France.

La cinquantaine de filiales dont dispose le transporteur se répartit en tous cas dans tous les pays du Vieux Continent. « Nous en avons ouvert une nouvelle au Portugal, il y a quatre semaines », signale Ulrich Börnstein en expliquant que cette stratégie d'implantation systématique vise à se doter d'une structure commerciale dans le pays, mais également à y immatriculer des véhicules, soit actuellement un parc total de 4 000 moteurs et 6 500 semi-remorques. « Cela permet d'éclater les charges d'investissements entre différentes sociétés et surtout d'obtenir et d'optimiser les autorisations CEMT nécessaires pour circuler dans toute l'Europe. » Une démarche sur laquelle s'appuie toute la politique de développement du groupe par le biais d'un système d'exploitation « original ».

Flexibilité maximale. Libéralisation du marché communautaire et rationalisation de l'utilisation des autorisations sur les trafics CEMT ont permis à Willi Betz d'abandonner tout plan de transport pour s'adapter au coup par coup à n'importe quelle demande à partir du siège social de Reutlingen en Allemagne. Ce centre névralgique traite toutes les demandes de transport et reste en contact permanent avec les véhicules dont la plupart sont équipés de liaisons satellites Euteltracs. Ils ne sont affectés à aucune ligne précise, mais sont dirigés selon leur position au point de chargement le plus proche. Un camion qui arrive de Sofia pour être vidé à Marseille peut ainsi être appelé à recharger à Bordeaux pour aller à Milan. « Nous poussons la flexibilité jusqu'à mettre chaque jour 10 véhicules à disposition d'un gros client qui charge quand et pour la destination qu'il veut », souligne Ulrich Börnstein qui attribue le « succès » de Willi Betz à cette souplesse qu'il offre tant en terme de volumes que de destination. « C'est ce qu'attendent, aujourd'hui, les grosses multinationales qui sont notre cible commerciale privilégiée en Europe de l'Ouest. »

Pour allier flexibilité et rentabilité des camions, qui doivent « tourner au maximum », les équipages sont doubles sur certaines liaisons. A l'Ouest, une telle solution s'impose aussi pour respecter la réglementation européenne sur les temps de conduite. « Nous respectons naturellement les législations des pays où nous sommes installés. Personne ne peut prouver le contraire et nous sommes constamment contrôlés », assure Ulrich Börnstein qui précise que, si certains ensembles bleu et jaune semblent rouler en convoi, ce n'est en aucun cas sur consigne de Willi Betz : « C'est un hasard ou un choix des conducteurs. »

La filière bulgare. Ces chauffeurs étant susceptibles d'être envoyés n'importe où et absents très longtemps, le système suppose une certaine « souplesse » sociale, sans doute plus facile à trouver à l'Est qu'à l'Ouest. Mais si la majorité des chauffeurs sont bulgares, c'est d'abord parce qu'en 1994, Willi Betz a racheté Somat, l'entreprise de transport d'État bulgare, dont il s'est engagé à conserver les 4 000 conducteurs. « Aucun n'a été licencié depuis », déclare Ulrich Börnstein. « Il est plus facile de circuler dans les pays de l'Est avec des véhicules immatriculés là bas et des conducteurs locaux. C'est vrai que ces salariés sont moins chers qu'à l'Ouest mais pas autant qu'on le prétend. Leurs frais de route, très importants, puisqu'ils font souvent de la très longue distance, sont payés dans la devise du pays où ils séjournent. Conséquence : leur rémunération mensuelle dépasse généralement les 10 000 F, ce qui est largement supérieur au salaire du... ministre bulgare des Transports ».

Premier transporteur en Bulgarie, Willi Betz y est également le concessionnaire exclusif de Mercedes Benz. D'ailleurs, la quasi totalité de la flotte du transporteur arbore l'étoile et le constructeur est client de Willi Betz, notamment en transport d'automobiles. Un marché sur lequel Willi Betz affiche, aujourd'hui, de nouvelles ambitions. « Nous sommes présents sur ce créneau depuis longtemps. A l'origine, c'était surtout pour Mercedes, mais nous travaillons aussi pour toutes les grandes marques. Notre flotte va passer de 170 à 200 porte-voitures, immatriculés en France pour la plupart et tous carrossés par l'Alsacien Lohr. Nous avons une demande, alors nous investissons depuis deux ans sans être sûr de l'évolution de ce marché », déclare Ulrich Börnstein. C'est avec plus de conviction qu'il affiche les objectifs de Willi Betz sur le terrain de la logistique. Une activité qui ne génère actuellement que 20 % du chiffre d'affaires du groupe mais qui « dans les cinq ans va connaître une forte progression ». Le groupe allemand n'abandonne pas pour autant son coeur d'activité : les trafics sur l'Est. Selon Ulrich Börnstein, « on croit beaucoup au développement de l'Asie centrale, de pays comme le Caucase. L'Est est un marché d'avenir. Nous y sommes bien implantés, mais il reste encore des places à prendre pour nos confrères de l'Ouest... »

A retenir

> L'Allemand Willi Betz a réalisé un chiffre d'affaires de 4,7 milliards de francs en 1998. Sa spécialité : le transport international de lots en particulier sur les pays de l'Est.

> Le groupe dispose d'un parc de 4 000 moteurs et 6 400 semi-remorques dont environ 4 500 savoyardes, 1 500 frigos et une centaine de porte-voitures.

70 % du parc est immatriculé dans les pays d'Europe de l'Est.

> Willi Betz emploie 7 000 personnes dont 4 000 conducteurs bulgares.

Le soleil se lève à l'Est

Créé en 1945 par Willi Betz, qui en partage aujourd'hui les commandes avec son fils Thomas, le groupe Willi Betz appuie en grande partie son développement actuel sur des stratégies adoptées il y a plusieurs décennies. Dans les années soixante, il mise sur l'ouverture du Moyen-Orient. Pour accéder à ces marchés, il s'allie au premier opérateur de transport européen sur l'Iran et l'Irak : la Somat, groupe d'État bulgare. C'est le point de départ du développement du groupe allemand. Quand, trente ans plus tard, le rideau de fer disparaît et que la Somat est privatisée, Willi Betz en acquiert 55 % des parts pour 55 millions de dollars en 1994 avant de porter sa participation à 93 % début 1998. L'entreprise bulgare est alors lourdement endettée, dotée d'une flotte vétuste et emploie 4 000 conducteurs que Willi Betz s'engage à garder.

Willi Betz en France

Willi Betz France pèse, actuellement, 320 millions de francs de chiffre d'affaires annuel dont environ 80 % sont réalisés en transport de marchandises générales et 20 % en température dirigée. Cela comprend essentiellement les transports effectués au départ de l'Hexagone par des véhicules du groupe immatriculés à l'étranger, mais aussi l'activité de quinze ensembles frigos français (dont deux appartiennent à des tractionnaires). Ces derniers relèvent de l'agence bretonne de Willi Betz France créée en 1997. « Bien qu'implantés dans l'Hexagone depuis trente ans, nous n'avions aucun camion immatriculé en France avant cette date. Nous assurions des trafics assez important sur la Russie pour de grands producteurs agroalimentaires basés dans l'Ouest. Il nous a donc paru judicieux de nous implanter à Quimper avec l'objectif d'en profiter pour gagner aussi quelques trafics sur l'Europe de l'Ouest », explique Ulrich Börnstein, gérant de Willi Betz France.

L'agence bretonne gère une centaine de départs de France par semaine. « Il peut aussi nous arriver de faire du national pour ne pas rouler à vide mais c'est vraiment anecdotique : de l'ordre de trois ou quatre lots par semaine », assure Ulrich Börnstein.

Willi Betz est également présent à Strasbourg, où il dispose d'un bureau chargé de la gestion des documents douaniers, à Rouen où un entrepôt de 5 000 m2 a été ouvert l'année dernière et en région parisienne (Marne-la-Vallée), siège de Willi Betz France.

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