Enlever un conteneur plein au Havre, le livrer à Paris au destinataire et remonter en Seine-Maritime avec la caisse vide est démodé. « Ce circuit classique, appelé Round trip, est progressivement remplacé par le One way », explique Dominique Lehembre, P-dg de Traff (Transport Affrètement), installé au Havre. « Désormais, le conteneur plein est descendu du Havre chez le destinataire. Une fois vidé, il est stocké dans un dépôt à conteneurs en attendant une prochaine expédition. A l'entreprise de trouver ensuite un conteneur plein à remonter sur Le Havre. » Cette technique permet à Traff d'augmenter le prix au kilomètre de 80 centimes en moyenne puisque l'entreprise ne facture que des trajets à plein. Toutefois, seules les entreprises d'une certaine taille réalisent des expéditions en One way de façon soutenue. « Il faut un certain volume de conteneurs à l'import et son équivalent à l'export pour effectuer des allers et des retours à plein. Les cinq agences de l'entreprise - Le Havre, Paris, Bordeaux, Lyon et Marseille - travaillent en étroite coopération pour développer cette méthode qui représente 50 % de notre activité. »
Traff a réalisé, en 1998, un chiffre d'affaires de 43 millions de francs hors taxes. L'entreprise emploie 42 salariés dont 30 conducteurs et travaille avec plus de cinquante tractionnaires. Si son parc s'élève ainsi à 80 tracteurs et 177 semi-remorques porte-conteneurs, elle ne possède aucun conteneur. « Ceux-ci appartiennent aux compagnies maritimes qui nous en confient l'acheminement. Soit nous enlevons des ports un conteneur plein fermé et plombé que nous livrons, soit nous nous rendons avec un conteneur vide chez un chargeur qui le remplira et que nous acheminerons ensuite. La moitié de notre activité sont des contrats annuels passés avec des compagnies maritimes ou des transitaires qui s'engagent à nous confier un certain nombre de kilomètres », explique Dominique Lehembre. « Bien sûr, nous effectuons également des opérations spot. »
Sous-tarification chronique. Vu de loin, le métier se limite à l'enlèvement et la livraison d'une caisse. Une vision qui explique sans doute, en partie, la sous-tarification chronique dont souffre aujourd'hui le secteur. « Nous sommes confrontés à la concurrence des filiales transport des compagnies maritimes et à celle des petites entreprises qui ignorent délibérément la réglementation sociale et travaillent à des tarifs extrêmement bas. Lorsque nous considérons les prix qu'ils appliquent, nous avons l'impression de ne pas faire le même métier », reprend Dominique Lehembre. Pour gagner en rentabilité et rester dans le cadre de la législation, l'entreprise pratique entre ses agences le décrochage de remorques à mi-parcours. « Grâce à ce système, nous sommes capables de vendre un Le Havre/Montauban dans la journée en échangeant les remorques à Saumur puis à Bordeaux. Trois conducteurs prennent successivement en charge la remorque », reprend Dominique Lehembre. « Ce dispositif permet aux conducteurs de ne pas dépasser les horaires légaux de conduite. »
Sécurité des produits : objectif n° 1. Pour défendre ses marges, Traff mise également sur la qualité de service. « Trop d'entreprises, dans le secteur du conteneur, ignore cette notion. Les gains de productivité ne suffisent plus pour assurer notre pérennité, il faut y ajouter une qualité de prestations », considère Dominique Lehembre. Outre les marchandises générales - vins, pièces détachées automobiles, etc. - les conteneurs que transporte Traff contiennent des produits « à risques » tels que des télévisions ou magnétoscopes en provenance des pays asiatiques. Ces conteneurs sont souvent stockés dans l'enceinte de l'entreprise afin d'être enlevés le lendemain au petit matin. Après avoir essuyé plusieurs tentatives de vol, Dominique Lehembre a renforcé la sécurité de ses agences. « Nos sites sont fermés la nuit et on ne peut y pénétrer qu'avec un code d'accès. Pour éviter que les conteneurs soient visités et vidés, ces derniers stationnent avec l'arrière collé contre le mur d'enceinte. En plus d'une vidéo-surveillance, un système infrarouge détecte tout mouvement des caisses et prévient les services de sécurité du port du Havre qui sont sur place en moins de trois minutes », commente le P-dg. L'entreprise a, en outre, rédigé une charte de bonne conduite il y a un an et demi. Les conducteurs s'y engagent à respecter certains critères de sécurité comme, par exemple, « coller l'arrière de la remorque contre un mur ou un arbre pour se protéger contre le vol lorsqu'ils stationnent ailleurs que dans les agences ». En outre, chaque chauffeur doit être impérativement équipé de deux antivol à poser sur la ou les portes du ou des conteneurs. La charte impose également un respect des temps de conduite, des heures de rendez-vous et la propreté des véhicules. D'ici un an, l'entreprise devrait être certifiée Iso 9002. « Cette démarche ne nous est pas imposée », souligne Dominique Lehembre, « mais elle est nécessaire pour transporter des produits chimiques en conteneur. Un marché que nous allons aborder prochainement ».
« La gestion du social constitue l'une de nos préoccupations principales », s'exclame Dominique Lehembre. Chaque semaine, le P-dg de Traff fait rapatrier par Chronopost les disques de tous les conducteurs de chaque agence pour les étudier. « A la fin du mois, nous en sommes à calculer qui peut encore rouler ! La réglementation sociale a bouleversé le métier. Elle pèse sur notre rentabilité et nous handicape face à des entreprises qui se situent délibérément en dehors des clous. Le Contrat de progrès est une bonne chose, mais le manque de contrôle ne fait qu'agrandir le fossé entre ceux qui le respectent et ceux qui l'ignorent. » Dominique Lehembre souligne également la pression qui s'exerce sur les épaules des chefs d'entreprises de transport routier, dont la responsabilité pénale en cas d'accident est toujours recherchée. « Demain, je peux me retrouver menottes au poignet si un de mes conducteurs dans l'exercice de ses fonctions blesse ou tue quelqu'un. Cette pression est de plus en plus insoutenable et les risques trop importants pour si peu de résultats ! »