En matière juridique comme dans bien d'autres domaines, le vieil adage, « mieux vaut prévenir que guérir » reste de rigueur. Prévenir signifie avant tout être informé et travailler en amont sur la légalité des actes et des contrats de l'entreprise. Certains P-dg possèdent une certaine sensibilité juridique, ils connaissent la législation mais, rappelle Robert Pellegrini, dirigeant de Transvrac : « Notre métier consiste à transporter. Pour les questions qui relèvent du droit, je m'informe auprès de ma fédération et je laisse faire les professionnels. »
Prévenir. Maître Christine Dumesnil-Rossi appartient au barreau de Paris. Spécialiste du droit du transport, elle estime que le travail pré-contentieux ne doit en aucun cas être négligé. « Si l'intitulé d'un bordereau de livraison n'est pas libellé très attentivement, cette approximation peut porter préjudice à l'entreprise en cas de litige. Il me semble donc essentiel de vérifier par exemple la rédaction de l'ensemble des contrats. » L'analyse est identique pour le responsable juridique d'une grande société de messagerie : « Les questions juridiques ne doivent pas seulement être prises en compte au moment d'une contestation. La législation touche tous les départements de l'entreprise, à chaque instant. » Un responsable juridique a donc pour mission de gérer les dossiers quotidiens. Il vérifie l'inscription de la société, de ses filiales et de ses succursales sur les registres des Chambres de commerce, assiste aux conseils d'administration et en dresse les procès verbaux. Il entretient également des relations suivies avec les greffes des tribunaux. Un juriste intégré, qui réalise donc l'ensemble des travaux de secrétariat juridique, a également pour tâche de rédiger des trames de contrats standard et de vérifier la validité des accords commerciaux en négociation. En France, l'usage montre que la présence d'une telle fonction dans l'organigramme devient nécessaire dès lors que l'entreprise réalise un chiffre d'affaires d'un milliard de francs par an. Le ratio se définit ensuite selon la règle suivante : un juriste par milliard supplémentaire. En dessous de ce seuil, l'intégration apparaît superflue ; au-dessus, l'entreprise perdra de l'argent si elle n'embauche pas, car la sous-traitance des dossiers deviendra trop coûteuse. L'hypothèse d'une telle création de poste dépend donc uniquement de la taille de l'entreprise.
Les conseillers juridiques au sens propre n'ayant plus droit de cité depuis la réforme de 1991, les pme prennent alors conseil auprès de leurs organisations syndicales ou assureurs (voir page 26), sinon ont recours à des avocats spécialisés.
En effet, un membre du barreau ne plaide pas uniquement ; il peut également travailler sur le préventif. Maître Christine Dumesnil-Rossi compte parmi ses clients quelques transporteurs. « Dans ce secteur d'activité », souligne-t-elle, « les clauses types sont monnaie courante. Les entreprises viennent donc nous consulter pour vérifier par exemple leurs écritures contractuelles ». Dans le cadre de la réalisation d'un projet, l'avocat étudie sa mise en oeuvre dans le strict respect de la réglementation. Il intervient également en qualité de rédacteur pour les baux commerciaux, les ventes, les contrats. Il peut enfin établir les procès verbaux des assemblées générales et du conseil d'administration de l'entreprise. Ce rôle de conseiller, qui n'est pas toujours bien connu des dirigeants, a son prix : le tarif horaire s'applique à la moindre demande de renseignements.
La phase contentieuse. En dépit de toutes les précautions, de contrats étudiés et d'une bonne connaissance des textes, le litige apparaît parfois inévitable. Maître Dumesnil-Rossi travaille depuis plusieurs années sur des dossiers spécifiques de transporteurs. « La plupart du temps, en cas de litige, les avocats sont mandatés par les compagnies d'assurances. Je suis très rarement en contact direct avec les chefs d'entreprises. » Un constat confirmé par le dirigeant de SATM, Patrick Farvacque : « En cas d'avarie, de perte ou de vol de la marchandise, notre assurance gère le dossier juridique dans son intégralité et fait appel à son propre réseau d'avocats. »
Maître Dumesnil-Rossi souligne l'évolution des mentalités ces dernières années. « J'ai traité, au cours de ma carrière, des litiges où le seul contrat consistait en une parole donnée. Aujourd'hui, l'utilisation du fax permet de conserver des traces écrites, mais certains problèmes demeurent. Il est parfois difficile d'établir précisément les responsabilités de chacun, sur un engagement daté par exemple. La dénomination même des parties peut se montrer floue. » En droit, un transporteur se définit comme un voiturier. Mais, les contrats ne font pas toujours apparaître ces termes juridiques. Alors, l'entreprise est-elle commissionnaire ? Chargée du transport uniquement ? Sur l'intégralité du parcours ? Si ces éléments n'apparaissent pas clairement dans le contrat, ce dernier peut être contesté plus facilement. Maître Dumesnil Rossi se trouve souvent confronté à des litiges portant sur le contre-remboursement par exemple. Les deux parties s'accordent sur ce mode de paiement, mais n'en précisent pas la forme exacte : s'agit-il d'un chèque, d'espèces, d'un contre-remboursement partiel... ? « Ces questions peuvent très vite devenir sources de litiges. Dans ce cas, les avocats interviennent de plus en plus fréquemment en mode alternatif de règlement des conflits. En clair, ils tentent une conciliation directe. Cette solution s'applique notamment dans le cas d'une durée de prescription dépassée. » Maître Dumesnil-Rossi raconte : « Certains dirigeants m'appellent, affolés par un litige. Très souvent, le délai de recours est dépassé, et la partie adverse ne peut entamer aucune action en justice. Toutefois, pour préserver les relations commerciales, le transporteur me demande de négocier un compromis. »
Le compromis transactionnel. La conciliation, c'est également le mot d'ordre de Michel Mattar. En matière prud'homale, le responsable de TLF Méditerranée dit afficher un taux de réussite de près de 100 % sur l'ensemble des dossiers qui lui sont présentés. « Lorsqu'une affaire me paraît trop hasardeuse », explique le secrétaire général, « je préconise le compromis ». Robert Pellegrini, P-dg de la société Transvrac dans les Bouches-du-Rhône, est membre de cette fédération. Son entreprise, qui emploie une vingtaine de personnes, a été assignée devant les Prud'hommes, il y a quelques années. « Au départ, l'affaire a été soumise à un avocat qui m'avait été présenté par TLF. Juste avant que le jugement ne soit rendu nous avons interrompu la procédure et opté pour la négociation. L'issue était incertaine et mon avocat m'a conseillé la prudence. Je ne regrette pas cette décision même si je reste convaincu de mon bon droit. »
TLF prône également la transaction en matière de recouvrement de créances. Résultat : 80 % des dossiers se négocient, les autres finissent devant les tribunaux. Francis Jurion estime, lui, qu'une tentative de conciliation ne doit pas forcément faire intervenir un avocat. « Le chef d'entreprise apparaît comme la personne la plus habilitée à juger ce qui est acceptable ou non pour sa société. » Enfin, si les juristes d'entreprises ne peuvent pas plaider, ils possèdent néanmoins le pouvoir de négocier. En cas de litige, ils peuvent aider le dirigeant à gérer la discussion au mieux de ses intérêts et de ses droits.
Devant le juge. Lorsque la prévention et la conciliation n'ont pas donné les résultats escomptés, les tribunaux s'en mêlent. Dans ce cas, le conseil juridique devient essentiel voire obligatoire. Si le contentieux est jugé devant un tribunal de Grande Instance ou en correctionnelle, la présence de l'avocat est obligatoire. En revanche, devant les tribunaux de commerce ou les prud'hommes, « la barre est libre ». Cette expression signifie que le chef d'entreprise peut se défendre seul ou avec l'aide d'une personne de son choix. Pour une infraction de police, l'excès de vitesse d'un chauffeur par exemple, le dirigeant peut se présenter seul au tribunal ou choisir d'être représenté. Pragmatique, Michel Mattar souligne : « Pour ce type d'infractions, tous les prévenus sont convoqués à la même heure. Or, l'affaire peut être traitée en fin de journée. Si le dirigeant décide de prendre un avocat, l'attente peut lui coûter très cher car chaque heure est facturée. » Le recours ou non à un homme de loi doit être réfléchi selon la gravité de l'affaire : « Je ne conseille pas systématiquement à nos adhérents de faire appel à un avocat lorsque ce dernier n'est pas obligatoire. D'autant que nous filtrons les dossiers et les étudions. Je constate qu'il n'y a pas de règle générale. »
Pour sa part, Francis Jurion conseille aux transporteurs de se présenter sans avocat, notamment devant les prud'hommes : « Le dirigeant est jugé en partie par ses pairs. En outre, il est le plus à même de défendre son point de vue. » Le secrétaire général de l'Unostra Franche-Comté, qui se dit partisan du mea culpa devant les juges, reconnaît les limites de la méthode. Si les affaires commerciales s'avèrent souvent les plus délicates, certains transporteurs affirment n'avoir jamais rencontré ce type de problèmes. Tel est le cas de Patrick Gabrielli. Le responsable administratif de Camarra Transport, une entreprise marseillaise qui emploie 36 salariés, assure : « Nous avons la chance de n'avoir jamais eu de litiges commerciaux, car nous travaillons toujours avec les mêmes clients. Par ailleurs, les questions de droit fiscal sont gérées par notre expert-comptable et nous sommes en relation avec un avocat pour tout ce qui touche à la législation sociale. »
En matière de droit commercial, la complexité des textes amène souvent l'une des parties à faire appel à un avocat devant les tribunaux. Dans ce cas, le déséquilibre profite généralement à celui qui se fait représenter. De plus, dans le secteur du transport, le contentieux commercial fait parfois intervenir de nombreux intermédiaires. Le débat est rarement bilatéral, les procédures s'alourdissent et cette situation multiplie les chances d'appel. Or, en appel, le recours à l'avocat devient obligatoire.
Sur l'utilité ou non d'engager un avocat les avis divergent donc. Certains trouvent absurde de payer 4 000 F d'honoraires juridiques pour économiser 2 000 F dans une affaire. D'autres estiment nécessaire de confier systématiquement les dossiers aux avocats afin de rendre la jurisprudence plus favorable aux transporteurs. Certes, faire appel à un membre du barreau coûte cher. À Paris, le taux horaire des avocats peut varier du simple au triple : de 800 F à 2 500 F par heure. Enfin, toutes ces procédures traînent souvent en longueur. Devant les tribunaux de commerce, une affaire est jugée en 3 mois ; au civil, la procédure peut durer un an. Dans tous les cas, les appels sont fréquents. Un jugement laisse toujours au moins une des deux parties insatisfaites. C'est pourquoi la transaction après jugement constitue une procédure envisageable et très utilisée.
La loi Gayssot, adoptée en février 1998, a eu pour conséquence de modifier l'article 101 du Code du commerce au profit des transporteurs. L'article 101 prévoit, aujourd'hui, la possibilité d'une action directe en paiement si le recouvrement d'une facture par des intermédiaires ne peut être obtenue. Le transporteur a donc l'opportunité de facturer directement le donneur d'ordre. Par ailleurs, le privilège du commissionnaire a été étendu au voiturier. Ce dernier peut désormais retenir les marchandises qui lui sont confiées pour garantir le paiement des prestations antérieures non réglées.
La modification de cet article 101 devrait accroître le nombre d'affaires s'y rapportant. Les tribunaux de commerce ont déjà été confrontés à des recours sur ce type de dossier et le phénomène devrait aller croissant. « C'est une évolution intéressante pour les juristes car on assiste à la naissance de jurisprudence. Or, celle-ci dépendra en grande partie du travail des avocats », souligne Maître Christine Dumesnil-Rossi.