« Les entreprises citées en CSA représentent, par leur mauvais comportement, que ce soit en matière de prix ou dans le domaine social, un pouvoir de nuisance sur la profession. Pour autant, la CSA ne recherche pas la sanction à tout prix », explique Alain Attanasio, le magistrat qui préside la commission de sanctions administratives en PACA. « L'objectif n'est pas uniquement répressif, mais plutôt d'inciter l'entreprise à modifier ses comportements. Se présenter devant ses pairs, pour un dirigeant, est déjà assez difficile. Ceux-ci vont devoir apprécier si la situation est accidentelle ou si elle représente une réelle dérive de l'entreprise. Tout est donc fait pour l'inciter à se remettre en cause ». Et, contrairement à une idée qui a cours dans la profession, les mauvais rouleurs qui encourent les foudres de la CSA sont bien loin, sauf exception, d'être pris au hasard dans le registre des transporteurs. Dans une profession où chacun, à un moment ou un autre, a eu à connaître des rigueurs de la procédure pénale pour des infractions à la réglementation, seules les attitudes générales qui font apparaître une nonchalance évidente et répétée se rendent passibles d'une comparution devant la CSA. « Tous les procès-verbaux dressés par les différents corps de contrôle, notamment sur la route, convergent vers la DRE sur le territoire de laquelle l'entreprise est inscrite au registre des transports », précise Alain Jung, directeur régional de l'Equipement en PACA. « Du coup, il est simple de constater la fréquence et/ou la gravité des infractions relevées, qui peuvent déclencher un contrôle global de l'entreprise. On peut y vérifier d'abord l'honorabilité et la capacité, et ensuite la gestion, pour détecter l'origine des comportements infractionnistes. La formation (ou l'absence de formation) du personnel, l'état du parc, le fonctionnement et l'application, bonne ou mauvaise, de la réglementation sont autant de paramètres qui permettent de juger du comportement général de la direction ». C'est à la suite de ce type de contrôle que le préfet de région peut être saisi du cas de l'entreprise, qui est donc inscrite au rôle de l'une des commissions trimestrielles qui doivent désormais se tenir dans chaque région administrative.
Pédagogie. Tous les acteurs qui participent aux commissions insistent, par ailleurs, sur le côte pédagogique de la structure. Le président Attanasio, par exemple, estime que la présence d'un juge professionnel comme arbitre des débats « confère une plus-value importante à l'acte accompli par tous les membres de la commission », en insistant sur le fait que « la sanction n'est qu'un des moyens » de faire avancer les choses, après une nécessaire période d'écoute et de discussion avec le représentant de l'entreprise mise en cause. Alain Jung estime pour sa part que « passer en CSA, pour les moins filous, est déjà en soi une sanction ». « Pour ceux-là, c'est parfois l'occasion d'un déclic, d'une réflexion différente sur le fonctionnement de l'entreprise, la gestion du personnel, l'organisation des circuits, etc. Il n'y a pas de malédiction sur telle ou telle spécialité », ajoute le DRE, en évoquant les plaintes de transporteurs (frigos, par exemple), qui se sentent particulièrement visés par les contrôles. « Tout est affaire d'organisation, et d'abord de prix maintenus à un bon niveau. Quand les prix sont trop bas, il faut bien trouver les moyens de vivre, et c'est là, en général, que débutent les comportements anormaux ». Selon les régions concernées, certaines entreprises ont pu avoir l'impression que les sanctions infligées ne répondaient pas forcément à des comportements d'une gravité similaire. Il peut également arriver que les usages locaux, ou les atomes crochus entre fonctionnaires chargés des contrôles, favorisent ou nuisent à la coopération entre services administratifs, qui n'ont pas forcément toujours la même approche des dossiers. Pour tenter d'améliorer le fonctionnement global des CSA, et même si chaque entreprise déviante représente par la force des choses un cas unique, la commission juridique de l'inspection du Travail des Transports travaille actuellement à la définition d'une méthodologie que pourrait appliquer l'ensemble des commissions. Selon son président, Gaël Le Gorrec, « la commission souhaite que puissent être formalisés les critères de citation en CSA et, si possible, les critères de sanction ». Donc que soient définis les motifs et la gravité de ces sanctions, de manière à être partagés de la façon la plus large qui soit. Première difficulté : évaluer le niveau infractionniste en rapport avec la décision de sanction, alors que ces comportements, précisément, ne sont pas encore bien définis pour tous. « Nous devons procéder par étapes », estime Gaël Le Gorrec, « et il nous faut d'abord définir des niveaux d'infraction et de comportements anormaux, par ordre de gravité, qui puissent être acceptables et reconnus par les partenaires sociaux et par les juges. La seconde difficulté concerne la gestion des conséquences sociales des décisions en matière d'emploi. Il faudrait tomber d'accord sur une sorte de "service après-vente" de la décision, et donc s'accorder sur des modèles de reprise des salariés en cas de fermeture définitive des entreprises ». Pour le moment, dans les cas les plus graves, et tant que les nouvelles mesures coercitives prévues par la loi Gayssot ne sont pas applicables, les conséquences sociales sont, en effet, limitées. Chacun connaît des cas d'entreprises qui se sont vues retirer des copies de licences, compensées dans les jours suivant la décision par des attributions de licences communautaires (auxquelles personne ne peut s'opposer) à une filiale déjà existante ou créée opportunément. Les choses risquent de devenir un peu plus compliquées avec la mise au garage et le retrait des licences de transport intérieur pour les transporteurs (si, si, il y en a...) qui auraient décidé d'ignorer une fois pour toutes l'ensemble des réglementations. D'autant plus que les commissions assurent désormais un suivi de leurs décisions, pour contrer autant que faire se peut de nouvelles dérives.
Exapaq Sud, outre les poursuites engagées par l'administration devant le tribunal d'instance de Toulouse (voir l'OT n°2030), a fait l'objet d'une citation en CSA en région Aquitaine. Il s'agit apparemment de la première citation sérieuse d'un commissionnaire en transport, pour lequel une seule sanction est prévue : la radiation. Exapaq s'en tire pour cette fois avec un avertissement. Son avocat avait plaidé le sursis à statuer, en attendant le résultat des poursuites judiciaires
Maître Cussac, avocat du barreau parisien, a défendu jusqu'en dernière instance le dossier Cayon, en Saône-et-Loire. Il reconnaît à la CSA une incontestable volonté d'écoute.
En 1996, la commission de sanctions administratives de la région Bourgogne retirait quarante autorisations de transport en zone longue à l'entreprise Cayon (Chalon sur Saône). D'appel en recours hiérarchique, jusqu'au tribunal administratif, la bataille juridique a duré plus d'un an. Me Cussac, qui a défendu l'entreprise devant chacune des instances concernées, relève en premier lieu un élément qu'il juge choquant : « Dans les instances pénales, le parquetier a fini son travail une fois l'audience terminée. En CSA, la personne qui vous poursuit participe aux délibérations. » Un élément souvent évoqué par les responsables d'entreprises, mal à l'aise pour défendre des dossiers devant les administrations qu'ils côtoient tous les jours. En revanche, l'avocat reconnaît, à chacune des étapes, la qualité de l'écoute prêtée à la défense qui a voulu montrer que l'entreprise ne prenait pas l'affaire à la légère. Une attitude qui illustre parfaitement les propos de la plupart des responsables administratifs concernés par les CSA, au sens où une citation devant la CSA est généralement plus incitative à un retour à la norme qu'une simple volonté supplémentaire de répression. Poursuivie pour des infractions répétées à la durée du temps de conduite, l'entreprise bourguignonne était à l'époque en pleine réorganisation suite à une fusion entre Georges Cayon et Géant Cayon : « Elle avait de ce fait pris un retard administratif considérable. Par ailleurs, l'inspection du travail contestait la manière dont nous appliquions le contrat de Progrès », poursuit Me Cussac. « Le passage en CSA était d'autant plus agaçant que les choses avaient beaucoup changé depuis l'époque des infractions. Nous nous sommes présentés avec un bilan social, un récapitulatif des accidents affichant une nette régression. Bref, les preuves que la rénovation de l'entreprise était en cours et qu'un travail considérable avait été effectué dans le bon sens. Malgré tout, il est toujours un peu difficile de se faire entendre dans ces instances. Aussi le pouvoir de l'administration engendre-t-il des inquiétudes ». La suppression des quarante autorisations de transport, ne serait-ce que par le biais du remplacement par les licences communautaires, n'ont pas grevé outre mesure le potentiel de l'entreprise. Depuis, aucune menace d'une nouvelle convocation n'est, semble-t-il, venue perturber son fonctionnement.
Les Directions Régionales de l'Equipement assurent le secrétariat des commissions de sanctions administratives, qui siègent par spécialités (voyageurs, marchandises, commissionnaires de transports) : montage et rédaction des dossiers, propositions aux préfets des citations d'entreprises, convocations, rédaction des projets de décisions préfectorales, accès aux dossiers pour les entreprises, etc. Au cours de la réunion, les avocats peuvent plaider. C'est le préfet de Région qui prend la décision, qu'il peut moduler après avis des corps de contrôle. L'entreprise peut faire appel auprès de la commission nationale, mais cette procédure n'est pas suspensive. Un autre recours est possible, devant le juge des référés administratifs, qui peut considérer que le préjudice est suffisamment important pour que la décision soit suspendue en attente du recours en commission nationale.