Le rapport d'étape de l'enquête administrative et technique sur l'incendie du tunnel du Mont Blanc, rendu public le 13 avril dernier, confirme ce que tout le monde pressentait depuis le drame. Les deux enquêteurs, Michel Marec, ingénieur-général des Ponts et Chaussées et Pierre Duffé, inspecteur-général de l'administration, mettent tout d'abord en cause la conception de l'ouvrage qui remonte au début des années soixante. Parmi les nombreux points noirs, le rapport mentionne les moyens « limités » dont était pourvu le Mont-Blanc pour l'extraction de l'air vicié. « Le débit des gaines d'extraction de fumées était très largement inférieur aux normes actuelles », avancent les experts. Ceux-ci pointent également les absences conjuguées de galeries d'évacuation pour les usagers et de puits d'aération intermédiaire ainsi que l'inefficacité des refuges pressurisés, insuffisamment visibles en cas de fortes fumées et surtout pas assez auto-suffisants en air frais.
Conditions extrêmes. Dans un second temps, le rapport souligne les conditions « extrêmes » du sinistre qui ont considérablement « freiné la pénétration des secours dans le tunnel ». « Les déclarations obligatoires établies par les transporteurs n'ont pas fait état de la présence de matières dangereuses », précise Michel Marec. Pourquoi le tunnel s'est-il alors embrasé aussi vite ? « Deux explications peuvent être avancées. La première est bien connue des sapeurs pompiers. En cas de fort potentiel calorifique, le feu est en quelque sorte transporté par la fumée brûlante. Il se propage donc très rapidement. La seconde explication est liée à la présence ce jour-là dans le tunnel d'un fort courant d'air longitudinal qui a accentué la propagation de la fumée. »
Accablant. Fort de ces constats, le rapport se montre beaucoup plus accablant sur l'organisation des secours dans le tunnel, concédé pour moitié à une société italienne, SITMB, et française, ATMB. L'organe commun de gestion sert seulement à répartir équitablement les recettes de péage. Quant à la Commission intergouvernementale franco-italienne, qui a un rôle de suivi et de contrôle en matière de sécurité, elle ne se réunit qu'une fois par an. Aussi, la différence entre les dispositifs de secours de première urgence des deux côtés des Alpes est criante. Côté français, un pompier et un motocycliste sont mobilisables en permanence ; du côté italien, il n'y a pas de dispositif intégré au tunnel. Plus grave, seules deux simulations de lutte contre le feu se sont déroulées depuis l'ouverture du tunnel, en 1975 et en 1989. « Les deux sociétés exploitantes ont été réticentes pour procéder à de nouveaux exercices qui auraient nécessité l'arrêt du trafic et la mise en place de lourdes procédures », indique Michel Marec. Enfin, les autorités locales, le département de Haute-Savoie et la région italienne d'Aoste ont attendu 1996 pour engager une réelle coopération.
Pas étonnant dans ces conditions que de nombreuses fautes aient été relevées. Du côté ATMB, si l'alarme a été déclenché à temps, une erreur de lecture du listing des véhicules engagés dans le tunnel a fait croire aux sauveteurs pendant pratiquement toute la première journée du sinistre que très peu de véhicules étaient concernés.
SITMB égratignée. Le rapport égratigne plus encore la SITMB. Les moyens matériels et humains de secours sont jugés insuffisants. La détection incendie s'est avérée défaillante. Plus inquiétant, les responsables de la société italienne auraient commis une erreur en envoyant massivement de l'air frais en haut de la voûte au lieu d'aspirer l'air vicié. « Cet élément important explique certainement l'envahissement du tunnel par la fumée et la propagation rapide de l'incendie aux autres véhicules », souligne un rapporteur. La SITMB s'est empressée de dénoncer « les inexactitudes » du rapport gouvernemental français.
Les conclusions définitives de l'enquête technique, prévues fin mai, apporteront certainement d'autres éclaircissements. Reste que l'on peut s'attendre à une bataille juridique lorsqu'il s'agira de déterminer les responsabilités. L'incendie s'est en effet déclenché sur une portion de tunnel située sur le territoire français mais concédée à l'Italie.