Comment la profession prépare son avenir

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L'opération de transport n'est pas reconnue dans la passation des marchés publics. De fait, les transporteurs de matériaux sont considérés comme de simples fournisseurs et soumis à la « dictature » des entreprises de travaux publics. Toutefois, considérant que la prestation de transport fait partie du processus de réalisation d'un chantier, les professionnels s'organisent : une charte destinée à assainir le secteur tout en rééquilibrant les relations entre donneurs d'ordres et transporteurs pourrait voir le jour prochainement.

« Les transporteurs spécialisés en bennes travaux publics ont vraiment l'impression d'être considérés comme la dernière roue du carrosse. Malgré leur rôle prépondérant sur un chantier, ils sont traités comme des moins que rien. » Sylvie Plotton est secrétaire de la commission spécialisée Bennes Travaux Publics de la FNTR. Elle évoque, avec beaucoup d'amertume, la situation actuelle des transporteurs de matériaux. « Le problème numéro un des spécialistes du secteur, c'est de ne pas avoir directement accès aux marchés publics et de ne pas être reconnus comme sous-traitants agréés. »

Fournisseurs avant d'être sous-traitants. « Les transporteurs de matériaux sont simplement considérés comme les fournisseurs des entreprises de travaux publics. Or, sur les chantiers, les besoins de transport varient souvent d'un jour à l'autre. Le transporteur, qui doit s'adapter et travailler avec souplesse, devrait donc être reconnu comme un sous-traitant à part entière », reprend Sylvie Plotton. « Un tel statut permettrait de résoudre une grande partie des maux des spécialistes de la benne TP », reconnaît Jean-Claude Fariney, P-dg de la société Carminati Fariney (25 millions de francs de chiffres d'affaires en 1998), situé à Belfort (90) et président de la commission benne TP à la FNTR. Toutefois, Sylvie Plotton avoue rencontrer de nombreuses embûches sur le chemin de la reconnaissance des transporteurs. A commencer par les pouvoirs publics, à qui incombe l'attribution des marchés. « Leur demander de prendre en considération le travail des transporteurs, serait une charge supplémentaire. D'où leur réticence », explique Sylvie Plotton. Mais surtout, les difficultés les plus sérieuses proviennent des entreprises de TP. Ces dernières - maîtres d'oeuvre sur les chantiers - incluent couramment le prix de transport dans leurs offres sans toutefois le faire clairement apparaître. Elles jouent ainsi la politique du moins-disant, sachant pertinemment que certains prestataires seront toujours prêts à travailler, même en dessous de leur prix de revient. L'obtention de l'agrément permettrait d'informer le maître d'ouvrage - l'État ou les collectivités locales - des prix pratiqués et des conditions d'exécution des prestations. Cette procédure permettrait de vérifier que les prestataires de transport sont effectivement inscrits au registre des transporteurs, ce qui n'est pas toujours le cas. « Paradoxalement, l'État, chargé de veiller au respect de la réglementation, se positionne également comme donneur d'ordres. Il devrait alors être irréprochable », enchaîne Sylvie Plotton. L'agrément offrirait également aux transporteurs un paiement par le maître d'ouvrage à 45 jours. Alors que les entreprises de TP, pour réaliser des gains de trésorerie « sur le dos des transporteurs », paient à 100 jours en moyenne. Aujourd'hui, les spécialistes de la benne vivent encore dans l'angoisse de la faillite des entreprises de TP, titulaires des marchés publics. Beaucoup n'ont pas oublié l'année 1974 où la Société française de travaux publics (SFTP) déposa le bilan et entraîna un grand nombre de ses sous-traitants dans son sillage. Un an plus tard, une loi garantira au sous-traitant agréé le paiement de ses prestations même en cas de défaillance du maître d'oeuvre.

Il existe enfin un autre frein, culturel celui-là. « Beaucoup de petites entités qui ne sont pas toujours dans les clous de la réglementation ne souhaitent pas voir leur prestation agréée », explique Sylvie Plotton. « Ce sont généralement des artisans qui jouent la politique du moins disant et ont toujours plus ou moins trouvé leur compte dans les carences réglementaires. La mise en place d'un agrément les écarterait du marché ».

Comment obtenir un paiement direct ? Il existe, en revanche, quelques entreprises qui ont réussi à obtenir des agréments : c'est le cas des Transports Récipon (30 millions de francs de chiffres d'affaires en 1997) de Ferrières-en-Brie (77). « Pas de problème pour se faire agréer », indique Jacques Récipon, P-dg de l'entreprise, « il suffit d'avoir une société saine et de présenter un dossier d'agrément comportant les pièces administratives nécessaires : inscription au registre des transporteurs, obtention de la Fimo et de la Fcos pour les conducteurs, attestations de règlement de l'Urssaf et de l'impôt... Cela nous permet d'obtenir un paiement direct par le maître d'ouvrage et de ne pas subir la dictature des prix. Aujourd'hui, dans 90 % des cas, ce sont généralement les donneurs d'ordres qui fixent les tarifs alors que ce rôle devrait revenir au transporteur ».

Pour les spécialistes du secteur, l'érosion des prix est un des facteurs responsables de la dégradation du secteur. « Les tarifs que l'on applique sont ceux d'il y a huit ans. Comment s'étonner ensuite de la disparition d'un grand nombre de transporteurs en benne TP ? », interroge Alain Lassalle, P-dg des Transports Lassalle (37 millions de francs de chiffre d'affaires en 1998), basés à Varennes-sur-Allier (03). Face à la stagnation des prix et, en parallèle, à l'augmentation des charges - taxe à l'essieu ou budget formation par exemple - les marges se rétrécissent constamment. « Puisque les chargeurs n'acceptent aucune concession, nous travaillons, en quelque sorte, au chantage », indique, pour sa part, Jean-Louis Pernet, P-dg de Voies Ferrées Transports. « L'hiver, en raison notamment des conditions météorologiques, les chantiers sont plus rares et l'offre de transport est largement supérieure à la demande. De fait, les prix sont tirés vers le bas par les maîtres d'oeuvre. En revanche, à partir du mois d'avril, on se venge : la demande est alors supérieure à l'offre et c'est le moment pour nous d'augmenter nos tarifs ».

Les commissionnaires montrés du doigt. Les transporteurs ne sont pas exempts de responsabilité face à ces prix perpétuellement revus à la baisse : pour rentabiliser leur parc et engranger des volumes, nombreux sont ceux qui ne regardent plus le prix proposé et travaillent largement en dessous de leur coût de revient. les affréteurs et les commissionnaires de transport sont également montrés du doigt. N'ayant que peu de charges, ils peuvent afficher des tarifs défiant toute concurrence et même prendre une copieuse commission au passage. Jean-Louis Pernet, de Voies Ferrées Transports, affrète, en période de pointe, une vingtaine d'artisans transporteurs. Sa commission s'élève à 7 %. « Le montant est indiqué sur la facture que je remets à l'affrété, après m'être personnellement chargé des tâches administratives. Certains commissionnaires de transport s'octroient une commission de 15 % au minimum. Il ne faut pas s'étonner des prix dérisoires qu'ils proposent ensuite. Le problème, c'est qu'il y aura toujours des prestataires pour accepter. » En outre, du fait de l'atomisation de la profession, peu de structures peuvent, aujourd'hui, mettre une centaine de véhicules sur un chantier. Les commissionnaires de transport se le permettent, eux, sans toujours savoir comment ils établirons leur organisation et leurs tarifs. « Les affréteurs travaillent selon un prix de marché et non selon un prix de revient comme les transporteurs. Ils se tournent alors vers des sous-traitants qui ne se préoccupent pas du social », renchérit Jean-Louis Pernet. Une attitude que déplore Sylvie Plotton : « La valeur ajoutée de la prestation, notion qui tient à coeur aux transporteurs, est malheureusement réduite à sa plus simple expression dans ce secteur. Au final, il n'y a que le prix qui compte pour les maîtres d'oeuvre. »

Une charte nationale de bonne conduite. Pour endiguer ce genre de pratiques, Sylvie Plotton mise sur une information et une sensibilisation des donneurs d'ordres. Sa pugnacité à défendre les transporteurs en benne TP est en passe d'être récompensée. La dernière mouture d'un projet de charte sur le transport routier de matériaux a été relue le 29 mars dernier au cours d'une réunion au ministère des Transports. « La charte sur le transport routier de matériaux de construction » sera signée entre l'État - le ministère de l'Équipement et des Transports - d'une part, et, d'autre part, l'Union nationale des industries de carrières et matériaux de construction (Unicem), l'Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF), la FNTR, l'Unostra et TLF. L'objectif de ce document est d'assainir les pratiques en tentant de fixer des règles du jeu pour rééquilibrer les rapports entre donneurs d'ordres et transporteurs. Les producteurs de matériaux s'engagent, par exemple, à « sensibiliser les entreprises de bâtiment et travaux publics aux contraintes liées à la réglementation routière ». Ils promettent également de « vérifier la régularité de l'inscription de l'entreprise de transport au registre des transporteurs, de limiter à un seul niveau la sous-traitance au sein de la prestation transport, et de convenir avec le transporteur d'une prestation compatible avec la réglementation sociale ». De leur côté, les fédérations représentatives du transport ou de la location s'engagent à « promouvoir l'adhésion de leurs membres aux principes de la charte en matière de sécurité routière dans les domaines des poids totaux en charge autorisés, de la vitesse autorisée pour les poids lourds, du temps de conduite et de repos des conducteurs routiers, du temps de travail. Mais également en matière de contrôle technique des véhicules et de l'inscription au registre des transporteurs et des loueurs de véhicules avec conducteur ». La signature du document définitif devrait intervenir au cours du deuxième trimestre 1999. La charte sur le transport routier de matériaux de construction sera accompagnée de fiches techniques relatives à la réglementation des transports. « Les entreprises de travaux publics ont peu de connaissances en la matière », affirme Sylvie Plotton, à l'initiative de cette opération. « Il s'agit de fiches explicatives qui reprennent la législation en matière d'exercice de la profession, de temps de conduite et de repos, de code de la route, de poids et dimensions ». La responsabilité des donneurs d'ordres pour des infractions et le cadre contractuel de l'opération de transport sont également des thèmes abordés dans ces fiches. La charte du transport routier de matériaux ressemble à celle qui fut signée en 1996, mais « elle va plus loin », corrige Sylvie Plotton. « La Charte Rhône-Alpes ne fut jamais mise en application faute de suivi et d'engagement de la part des professionnels ». Autre signe d'assainissement du secteur : au milieu de l'année 1998, une charte, intitulée « du mieux-disant », a été signée par la Fédération du bâtiment et des travaux publics de l'Isère et le Conseil général. Elle vise à conduire les maîtres d'ouvrage à examiner attentivement les offres des entreprises de travaux publics - en comparant qualité de service et prix - et à ne plus choisir systématiquement les propositions tarifaires les plus basses. Même si cette charte n'associe pas les transporteurs et les autres sous-traitants présents sur les chantiers, peut-être est-ce un premier pas vers la fin d'une certaine opacité des marchés.

Vers un contrat-type ? La commission spécialisée bennes TP de la FNTR travaille, enfin, sur un projet de contrat-type propre au transport de matériaux. L'objectif est ici de préciser les spécificités du secteur et de travailler sur les conditions générales de l'organisation du métier. « Tout ce qui peut être source de litiges doit être examiné, comme le remplacement d'un transporteur par un autre du jour au lendemain. Les délais de règlement pourraient également être concernés. En bref, il s'agit des conditions générales de vente », commente Sylvie Plotton. « L'important est de faire enfin sortir le transporteur de la logique dominé/dominant dans laquelle il s'est laissé enfermer depuis de nombreuses années. Nous sommes sur la bonne voie ».

Une charge supplémentaire
L'obligation de bâchage

Face aux nuisances générées par les chantiers, fleurissent des arrêtés préfectoraux imposant le bâchage des bennes. Alain Lassalle, P-dg des Transports Lassalle (03), souligne en effet que cette opération est de plus en plus souvent exigée par les donneurs d'ordres. « Pour les enrobés et le sable, imposer un bâchage des véhicules se conçoit tout à fait. Mais, il faut aussi que l'on puisse, en partie, répercuter l'augmentation des coûts et la perte de poids engendrée. Une installation de bâchage/débachâge revient en moyenne à 8 000 F et pèse environ 400 kg par véhicule. » Jean-Louis Pernet, P-dg de Voies Ferrées Transports (38), confirme : « Beaucoup de donneurs d'ordres exigent le bâchage des véhicules, sans doute poussés en cela par les autorités. Mes conducteurs ont ainsi mis au point un système avec un enrouleur latéral qui revient à 4 000 F l'unité. Mais ne nous leurrons pas. Nous ne pourrons jamais répercuter cette charge supplémentaire dans nos prix ». Chez Ablo Coop, en revanche, moins d'inquiétude : « Nous facturons nos clients à l'heure », explique Dominique Laure, président du groupement breton. « S'ils nous imposent un bâchage, nous ferons moins de tours, tout simplement ».

Pour sa part, la Commission spécialisée bennes travaux publics de la FNTR accepterait de voir imposer un bâchage en dessous d'un certain niveau de granulométrie (0,6 mm) sous réserve qu'une certaine distance soit parcourue.

Travaux publics
Légère baisse du CA 1998

L'activité « travaux publics » a généré en 1998 un chiffre d'affaires de 134 milliards de francs contre 135 milliards en 1997, selon la Fédération nationale des travaux publics. Depuis le point culminant de 1991, à 171 milliards de francs de chiffre d'affaires, la production des entreprises de travaux publics n'a cessé de diminuer pour se stabiliser, depuis trois ans autour de 134 milliards de francs. Huit régions ont enregistré en 1997 une hausse de leur activité supérieure à 2 %. Provence-Alpes-Côte-d'Azur (+ 11,5 %) a connu une très forte croissance d'activité en raison des travaux du TGV Méditerranée. En Languedoc-Roussillon, le chiffre d'affaires a progressé de 11,1 % du fait notamment de la construction du tramway de Montpellier. L'activité a crû également de manière importante en Bretagne (+ 7,8 %), Midi-Pyrénées (+ 5,5 %), Centre (+ 4,7 %), Alsace (+ 3,4 %), Basse-Normandie (+ 3,2 %) et Auvergne (+ 2,8 %). En Bretagne, le début de construction du VAL de Rennes explique cette augmentation. Les travaux autoroutiers ont été à l'origine de la hausse du chiffre d'affaires en Basse-Normandie (A28), Midi-Pyrénées (A20) et Centre (A77). L'Ile-de-France, première région d'activité des travaux publics, a connu en 1997 une légère baisse (-0,7 %). L'achèvement de l'A14 n'a en effet pas été relayé par de grands chantiers routiers.

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