« Dans quelle économie vivons nous ? ». C'est le thème de la première « réunion débat » organisée le 25 mars dernier par TLF. La question posée est dans l'air du temps à l'heure où, dans une économie réputée libérale, des acteurs publics (comme les postes ou les compagnies ferroviaires) s'attaquent aux secteurs privés (comme le transport routier de marchandises). Conviés à venir s'exprimer sur le sujet, les représentants des entreprises « nationales » ont préféré s'abstenir laissant le micro à Elie Cohen, économiste et directeur de recherches au CNRS, Christian Gérondeau, président de l'Union Routière de France ainsi qu'à des membres de TLF.
Le prix de la dérèglementation. Si l'arrivée des entreprises publiques, « en situation, malgré tout, de monopole », sur des marchés concurrentiels suscite des « réactions négatives », Elie Cohen explique que c'est « le prix à payer pour gérer la transition qui, à terme, doit conduire l'ensemble de ces quasi administrations à se transformer en entreprises ». Cette phase s'inscrivant dans un mouvement plus vaste et plus profond de « dérèglementation ». En France, cet anglicisme se traduit par « une profonde déligitimation de la logique du secteur public et au renoncement de l'Etat à gérer le devenir économique du pays ». Phénomène qu'Elie Cohen considère comme une des « trois tendances fondamentales et interdépendantes qui gouvernent l'économie mondiale » avec « la mondialisation » et « la révolution des technologies de l'information ». Deux évolutions également profitables au transport puisqu'elles favorisent notamment le développement des échanges, l'externalisation, une nouvelle gestion des stocks et des flux tout en générant de nouveaux besoins.
S'il admet, lui aussi, que « la privatisation est en marche », Christian Gérondeau regrette qu'elle soit « extrêmement lente ». « La transparence a du bon. Il est des secteurs (comme les télécommunications) où elle est arrivée en France. Mais le moins qu'on puisse dire c'est que dans le domaine des transports, on en est très loin dans ce pays. (..) Je doute fort que le ministre actuel des Transports soit le ministre d'une réforme extrêmement libérale des chemins de fer », déclare-t-il. « Aux Etats-Unis, règne un libéralisme presque pur où les taxes sont très faibles et les subventions très rares. Conséquence : la route occupe 88 % du marché (en valeur) », constate le président de l'Union Routière de France.
60 MdF pour la SNCF. En Grande-Bretagne au contraire, les taxes sur les carburants sont extrêmement élevés, mais c'est sur le terrain des chemins de fer que Christian Girondeau juge « la situation exemplaire » grâce à la privatisation. « Si les trains sont en retard, c'est que la clientèle a augmenté de 14 %. (Un rêve pour la SNCF !). S'ils sont en mauvais état, çà ne va pas durer puisqu'un programme d'investissement de 70 MdF est prévu. Tout cela sans rien faire payer au contribuable britannique... », souligne-t-il en rappelant que « la SNCF coûte chaque année plus de 60 MdF en subventions ». Une somme que, selon Elie Cohen, « les Français ne semblent pas indignés de verser à cette entreprise, car elle est associée à l'idée de service public ».
Privatisation de la SNCF ou pas, Christian Gérondeau affirme que « toutes les politiques officielles qui veulent rééquilibrer les transports au profit du fer échoueront, car on ne va pas contre la nature des choses, contre le développement du juste à temps, contre les progrès de la logistique ».
« Au delà de toute évolution politique et réglementaire, c'est l'évolution de la demande qui est en train de façonner l'offre de nos entreprises », confirme Alain Fauqueur, directeur général du Groupe Giraud et vice-président de TLF qui n'oublie pas que « la dérèglementation c'est aussi, pour le client, une occasion de faire baisser ses coûts en faisant jouer la concurrence ».
Une concurrence déloyale? Une concurrence venue en particulier du secteur public. Ce n'est qu'en conclusion de la réunion que Jean Chabrerie, président fédéral de TLF, revient sur ce thème qui devait à l'origine être celui de la réunion. « Je me pose une question fondamentale à l'issue de ce débat. Comment les entreprises publiques qui perdent leur situation de monopole peuvent-elles accéder au secteur privé ? Comment une entreprise largement financée par l'argent des contribuables peut-elle faire emplette des plus belles entreprises de transport ? »
Ce sont peut-être les instances européennes qui répondront lorsqu'elles statueront sur la plainte déposée par TLF contre le Sernam pour concurrence déloyale et « demandant que soient éclaircies les conditions dans lesquelles les entreprises postales acquièrent des entreprises privées de messagerie avec l'argent du contribuable ».