«On était une quinzaine, on se connaissait tous, on arrivait à regrouper certaines courses par quartiers. A l'époque, en1986-1991, la course était facturée vingt-sept francs dans Marseille intra muros. On roulait vite, mais on était chacun notre propre patron, et on gagnait notre vie, en travaillant une dizaine d'heures par jour ». Un jour, Patrice Affergan s'est cassé le pied. Et puis, deux de ses copains sont morts dans des accidents, en deux ans. C'est à ce moment qu'il a décidé d'arrêter la course, d'autant qu'il venait de rencontrer des représentants de Colirail qui s'implantait dans les régions, et cherchait des sous-traitants pour « faire de la position ». D'où la création d'Aixport.
« Très vite, j'ai senti qu'il me fallait choisir une vraie logique d'entreprise, et diversifier mes activités pour ne pas dépendre d'un seul donneur d'ordres. Avoir, en fait, ma propre clientèle qui me permette d'avoir de vraies négociations de prix, dans un dialogue d'entrepreneur à entrepreneur. » Au bout d'une dizaine d'années à persister dans cette démarche, l'entreprise compte aujourd'hui neuf conducteurs et deux employés administratifs, sans oublier Patrice Affergan, gérant chargé du secteur commercial et de la qualité. Aixport travaille environ à 40 % pour Colirail, 15 % pour Dilipaq, le reste du chiffre d'affaires étant réalisé dans la course courte et longue distance. « Mais toujours à des prix normaux, qui tiennent compte à la fois de la réglementation et de la qualité du travail. L'an dernier, Aixport a réalisé six millions de francs de chiffre d'affaires. »
Le réveil de la fibre syndicale. En une douzaine d'années de métier, le gérant d'Aixport a cependant constaté la dégradation du métier. « Les monocolistes ont rendu notre profession accessible sur une seule de ses facettes, le transport, en embauchant des gens en situation précaire, et avec des aides d'accompagnement. C'est un sous-prolétariat du transport qui s'est créé, en excluant ces gens de toute démarche commerciale autonome. Les enseignes ont intégré les louageurs à leur politique, et pas à leur métier. La corporation a été créée à la marge. » En observant ce qui existait en matière syndicale, il s'est intéressé aux activités du SAPMEF (Syndicat Autonome des Petites et Moyennes Entreprises de Fret), auquel il a adhéré suite à une expérience un peu plus parlante encore que les autres. « Il y a quelques semaines », raconte Patrice Affergan, « je me suis arrêté à une station-service, à côté d'un gars d'une enseigne connue qui voulait faire le plein. Je voulais juste discuter avec lui. J'en ai eu le temps, puisque c'est moi qui ai rempli son réservoir. Il avait la jambe cassée. Il roulait quand même parce qu'il n'avait pas les moyens de se faire remplacer, ni de s'arrêter. Son contrat aurait été cassé de suite ».
Démarche d'entreprise. « Si notre profession doit être durable, il nous faut absolument différencier les métiers », affirme-t-il. « Soit les grandes enseignes définissent l'employabilité dans le salariat, soit ils abordent des discussions de prix avec de vrais sous-traitants, formés à leur métier et évoluant dans une structure syndicale apte à négocier les grandes lignes des rapports de commerce dans la profession. La démarche de Guy Fontana, le responsable du SAPMEF, est très bonne. Il défend des hommes, dans un métier ». Patrice Affergan défend le sigle, inventé par lui, de la TPEP, la Très Petite Entreprise Performante. Un sigle qui recouvre un concept très précis, qui prend en compte des sous-traitants à qui on impose une vraie démarche d'entreprise. Lui-même, considérant qu'il a atteint son seuil optimal de développement et de rentabilité, pratique l'essaimage en aidant certains de ses conducteurs à s'installer. « Faire émerger leur talent en les rendant autonomes et performants me fait gagner plus d'argent, et me donne plus de satisfactions personnelles. Pourquoi je m'en priverais ? »