Signé par l'UFT et l'Unostra côté patronal, la CFDT et la CFTC côté syndicats de salariés, l'accord du 12 novembre 1998 fait l'objet d'un arrêté d'extension publié au Journal Officiel du 10 février 1999. Le respect de ses dispositions s'impose dès lors à tous les employeurs et salariés entrant dans le champ de la convention collective qu'ils adhèrent ou non à l'une des organisations signataires. Et ce, en dépit de l'action en nullité déposée par FO devant le tribunal de grande instance de Paris qui conteste le décompte mensuel des heures supplémentaires. Affaire qui sera jugée le 23 février prochain.
Ce texte est venu se substituer au décret Pons après l'annulation de celui-ci par le Conseil d'Etat le 5 octobre dernier. Pour les conducteurs « grands routiers », il remplace par une garantie salariale les limites réglementaires au nombre d'heures de repos, de repas et de coupures non rémunérées posées par le décret du 19 décembre 1996. Cette garantie minimale de rémunération intervient dans les cas où la somme des amplitudes journalières dépasse dans une proportion excessive la somme des temps de service payés. Ainsi la rémunération mensuelle ne peut être inférieure à 75 % de la somme des amplitudes journalières cumulées sur le mois sans pouvoir conduire à diminuer ces dernières de plus de 63 heures. Le cas échéant, elle doit tenir compte des majorations pour heures supplémentaires.
D'un accord à l'autre. Malgré la réaffirmation, par les signataires, de leur attachement au paiement de l'intégralité des temps de service mensuels et à la transparence des temps, certains - l'Unostra notamment - craignaient que cet accord ne porte un coup à ce principe. Bien qu'il se situe aux yeux des négociateurs dans la continuité de la démarche de Contrat de progrès, le texte ne contient en effet aucune référence directe à l'accord social du 23 novembre 1994 qui a récemment été qualifié d'illicite par la Cour de Cassation. Un arrêt qui remet au goût du jour une interrogation : les entreprises peuvent-elles ou non être condamnées pénalement pour appliquer les normes de l'accord dérogatoire en lieu et place de celles du code du travail ? Au delà des questions de pur droit, c'est aussi celle du respect par les entreprises de l'accord social qui est à nouveau posée. Comme en témoigne l'affaire portée devant le tribunal de police de Nîmes, le 3 février dernier.
2000 infractions au code du travail. « Ce n'est pas l'entreprise Decoux SA qui est visée par l'inspection du travail des transports mais l'accord social du 23 novembre 1994 ». Telle est la défense de Denis Jacquin, pdg de la SA Decoux à Beaucaire dans le Gard, qui était appelé à répondre de plus de 2000 infractions au code du travail. « Nous avons toujours joué la transparence voulue par le Contrat de progrès », affirme le transporteur. Lequel a plaidé la relaxe, s'appuyant sur la décision du tribunal de police de Pontivy qui, en juin dernier, a relaxé un déménageur breton sur le fondement de l'erreur de droit (L'OT 2016). Pour le pdg de la SA Decoux - filiale du groupe Tratel depuis 1992 - l'inspecteur du travail en charge du dossier avait, dans son procès verbal dressé en septembre 1997, explicitement qualifié de « hors la loi » l'accord social. « Il s'est alors basé sur le code du travail pour nous sanctionner et faire un exemple ». Ainsi, 1113 infractions ont été relevées au titre de la prolongation excessive de la durée du travail journalier ; 270 pour dépassement de la durée hebdomadaire de 39 heures ; 275 pour non majoration des heures supplémentaires ; 278 pour non repos compensateur accordé au titre des heures supplémentaires ; 96 concernent l'établissement du bulletin de salaire et 63 le dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires. Si Denis Jacquin reconnaît « quelques infractions pour dépassement d'horaire liées à l'activité saisonnière de l'entreprise, notamment en période de vendange », il refuse l'étiquette d'infractionniste patenté. « Nous avons démontré que nous payions et décomptions les temps de service et les heures supplémentaires mensuellement, selon les principes voulus par le contrat de progrès. L'inspecteur s'est lui basé sur des durées de travail hebdomadaires, sans faire le moindre rapprochement avec notre méthode de calcul ». Pour sa défense l'entreprise a souligné que pendant la période de contrôle (22 jours ouvrables), la durée moyenne des temps de conduite des 112 chauffeurs était de 143 heures, pour 209 heures de travail effectif et 229,3 heures de temps de service. En 1998, cette société spécialisée dans le transport de produits pulvérulents en régional et national a réalisé un chiffre d'affaires de 68 MF pour un résultat net déficitaire. Elle emploie 132 personnes et possède un parc de 95 ensembles moteurs.
L'accord social détourné ? Lors de l'audience, l'inspecteur du travail Paul Ramackers notait pour sa part l'absence de négociation collective prévoyant la mise en oeuvre de l'accord social alors que quatre organisations syndicales étaient représentées dans la société (FNCR, CGT, CGDT et FO). Il reprochait l'application du contrat de progrès à l'ensemble du personnel roulant, sans distinction entre courte et longue distance. Une accusation que le pdg n'a pas démentie, arguant que « pour des raisons d'organisation, il arrive que des régionaux effectuent du national ». Pour Paul Ramackers, « cette entreprise n'appliquait pas loyalement l'accord social et se trouvait de fait assujettie au code du travail, avec des limitations à 48 heures par semaine en matière de durée et au paiement de toutes les heures supplémentaires en respectant le contingent légal de 195 heures ». Ainsi, le décompte des heures supplémentaires présenté par l'inspecteur et calculé par année civile fait apparaître un dépassement de 12 000 heures. « La totalité des heures à 50 % n'apparaissaient pas sur les bulletins de paye ou bien étaient déguisées sous forme de primes dont on ignorait le mode de calcul ou les modalités d'application ». L'ensemble des infractions relevées a été transmis au Parquet de Nîmes. « Ceci pour démontrer qu'il ne s'agissait pas de simples infractions concernant quelques conducteurs, mais bien d'une pratique généralisée visant à la fois à enfreindre les dispositions légales de l'accord du 23 novembre et faire pratiquer des durées de travail largement excédentaires ». Selon lui cette affaire met en lumière que des « entreprises utilisent les principes de l'accord dérogatoire pour se soustraire à la fois au projet de réduction des temps de services et aux règles de transparence permettant aux salariés d'être rémunérés pour toutes les heures ». Il précisait qu'il n'y avait pas eu volonté de sa part de se servir du contrôle pour dénoncer au plan national l'accord social. « Selon les directives de l'inspection générale du travail des transports, chaque inspecteur doit apprécier la démarche individuelle des employeurs à condition qu'ils s'inscrivent honnêtement dans un processus de réduction des temps de service ».
La CFDT, FO et la FNCR se sont constituées partie civile dans cette affaire. Pour Alain Heyraud, délégué sud-est de la FNCR, « ce dossier démontre toute la complexité d'application du contrat de progrès et de l'accord social. La société Decoux - comme beaucoup d'autres entreprises de transport - appliquait ce qu'elle voulait. Elle avait une méthode de calcul qui s'articulait entre le contrat de progrès, la convention collective et la rémunération globale garantie. ». Le jugement a été mis en délibéré et sera rendu le 7 avril prochain.
L'accord du 12 novembre 1998 stipule que :
> la mise en oeuvre de la garantie minimale de rémunération « ne peut avoir pour effet de verser au personnel concerné une rémunération inférieure à celle résultant de l'application des obligations relatives au paiement de l'intégralité des heures de temps de service »;
> la manipulation du sélecteur de temps du chronotachygraphe, ou de tout autre appareil d'informatique embarquée, est la règle pour décompter les temps de service et apprécier les durées d'amplitude;
> les informations relatives à la durée des amplitudes journalières cumulées au cours du mois considéré et au montant, en francs, en résultant, doivent figurer distinctement sur le bulletin de paye.
> Signé par l'UFT et l'Unostra côté patronal, la CFDT et la CFTC côté syndicats de salariés, l'accord du 12 novembre 1998 fait l'objet d'un arrêté d'extension publié au Journal Officiel du 10 février 1999.
> L'extension est intervenue alors que l'action en nullité déposée par FO à l'encontre des dispositions de l'accord sera jugée le 23 février prochain.
> Conclu dans la continuité de la démarche de Contrat de progrès, l'accord ne contient aucune référence directe à l'accord social du 23 novembre 1994. Dont l'application par certaines entreprises est contestée par l'inspection du travail.