« Lorsque les tarifs transmanche ont chuté après l'ouverture du tunnel, nos clients nous ont pressés de réduire également nos prix. Aujourd'hui, ils ne mettent malheureusement pas le même entrain à supporter la hausse », remarque Clive Julian, en charge du transmanche chez Frans Maas UK qui totalise quelque 100 000 traversées par an (soit un chiffre d'affaires de un milliard de francs). Même constat de l'autre côté du Channel. « Bien qu'attendue, l'augmentation est plutôt mal vécue par les clients qui se sentent tout de même obligés de participer. Mais nous n'avons pu la répercuter que pour 70 à 80 % et cela nous a empêché de répercuter la hausse des coûts sociaux », déclare François-Joseph Perrier, directeur général des Transports Perrier (39) qui ont réalisé 3 000 passages de véhicules grand volume en 1998.
« Les négociations ne sont pas évidentes en particulier avec les affréteurs britanniques qui refusent d'augmenter les prix. C'est plus facile avec nos clients directs car, heureuse coïncidence, la Grande-Bretagne autorise les 40 tonnes depuis le 1er janvier dernier. Ce qui nous permet de charger 26 tonnes au lieu de 24, soit une ou deux palettes de plus. Les clients acceptent plus volontiers de payer plus cher un trafic portant sur plus de volume », se félicite David Sagnard, adjoint de direction des Transports Carpentier.
Cette société effectue 2 300 traversées de la Manche par an pour réaliser sur la Grande-Bretagne la moitié de son chiffre d'affaires annuel de 34 millions de francs. « Il sera plus facile de répercuter la hausse des tarifs transmanche sur nos prix de vente si elle est bien appliquée à tous comme l'ont annoncé les opérateurs », espère pour sa part Jean-Yves Pasquier, chargé du transmanche au sein du groupe Graveleau.
Qui paie quoi ? A priori, seules les professions de foi des opérateurs transmanche garantissent une telle égalité de traitement. Mais les transporteurs interrogés affirment tous avoir effectivement subi une augmentation « quasiment non négociable ». Ils restent toutefois aussi discrets sur son montant que sur le prix qu'ils paient. Ils consentent seulement à livrer quelques pourcentages. « A volume de trafic égal, les tarifs des ferries tendent à se niveler. Ils ont augmenté en moyenne de 25 %. Nous n'avons pratiquement pas pu négocier malgré une collaboration de longue date », annonce François-Joseph Perrier qui réalise 80 % de ses traversées par la voie maritime. « Le Shuttle est toujours légèrement plus cher que les ferries. Les tarifs de Seafrance et de P & O sont similaires. Nous ne savons pas encore lequel nous allons choisir », déclare Jean-Yves Pasquier.
David Sagnard considère, en revanche, que « P & O est 30 % plus cher que Le Shuttle dont les tarifs étaient équivalents à ceux de Seafrance jusqu'en avril 1998 avant d'augmenter de 60 % tandis que ceux de la compagnie française n'ont été relevés que de 30 % ». Côté anglais, Frans Maas estime qu'il lui coûte en moyenne 15 % de plus de traverser la Manche par le tunnel que par ferry tandis que Combe Valley Transport (10 à 30 traversées par semaine) évalue cette différence à 200 F. C'est essentiellement le critère tarifaire qui pousse cette petite entreprise britannique (20 MF de chiffre d'affaires) à privilégier les ferries.
« Bien que basés à Douvres, nous avons utilisé le tunnel juste après son ouverture. Puis il est devenu trop cher et nous ne l'empruntons que si un client nous le demande expressément », explique Martin Husk, dirigeant de Combe Valley Transport. Installés à Calais, les Transports Carpentier lui font écho : « Nous travaillions pour moitié avec le tunnel et pour moitié avec Seafrance jusqu'à ce que Le Shuttle augmente ses prix. Aujourd'hui 90 % de nos traversées se font par la mer ».
Time is money. Mais le temps c'est aussi de l'argent. Pour Graveleau, qui traverse le détroit de Calais plus de 1 000 fois par an, le délai est parfois un critère déterminant. « Notre produit Euroday suppose un départ chaque soir de chaque côté. Avec 45 minutes de traversée au lieu de 75 mn par ferry et des fréquences beaucoup plus soutenues, le tunnel nous permet de partir le plus tard possible pour des livraisons le lendemain à Paris ou à Londres ».
Quand le messager utilise les ferries, c'est essentiellement pour les trafics de groupage entre la Grande-Bretagne et le Maghreb ou les pays de l'Est. « Des destinations sur lesquelles se pose le problème des douanes qui allongent de toutes façons les délais », explique Yves Pasquier. Si en 1998, un tiers des véhicules de Frans Maas a emprunté les navettes Eurotunnel, c'est aussi pour des motifs de rapidité : « les délais de fabrication d'un de nos clients constructeur automobile sont très stricts et ses produits susceptibles d'être affectés par les conditions climatiques. Il préfère donc que celles-ci prennent le train », explique Clive Julian.
Plus de qualité. Avec ses confrères, il reconnaît que, bien que « trop irrégulière », la qualité des services d'Eurotunnel comme des compagnies tend à s'améliorer. « Grâce à l'arrivée du lien fixe, les ferries ont fourni de sérieux efforts ces dernières années notamment en simplifiant les formalités d'embarquement », constate François-Joseph Perrier. Côté tunnel, tous les utilisateurs se félicitent de l'augmentation des fréquences des navettes. Restent quelques impondérables. Quand surviennent des incidents techniques qui paralysent le tunnel. « En théorie, il est supposé être plus rapide. Mais nous avons subi de nombreux retards fin 1998 », souligne Clive Julian. Quand surgissent une tempête ou une grève et que les navires restent à quai. « Ces événements ont des répercussions désastreuses dans la mesure où la congestion portuaire qu'ils provoquent touche par ricochet le tunnel », regrette Jean-Yves Pasquier.
Mais des facteurs plus prévisibles qu'une panne, un caprice de la météo ou des revendications sociales posent problème : « le trafic manque de fluidité dès que des navires sont immobilisés pour entretien. Ou encore au moment des vacances ou du week-end quand arrivent les touristes qui restent clairement prioritaires par rapport au fret », déplore François-Joseph Perrier. Puisqu'il est impossible de se fier entièrement au fer ou à la mer, les transporteurs mettent leurs camions dans plusieurs paniers et conservent un compte côté ferry et un autre côté tunnel. « Les Français le font quasi systématiquement en privilégiant généralement un opérateur. Les Anglais sont plus ouverts et travaillent souvent avec Eurotunnel et avec les deux compagnies maritimes », constate Bernard Pages, directeur des ventes fret de Seafrance. Faire appel à tous les opérateurs suppose une répartition des volumes confiés à chacun d'entre eux. Or, moins le trafic apporté est important, plus l'addition est élevée...
> Ils sont majoritairement britanniques. Les poids lourds traversant la Manche sont pour moitié immatriculés en Grande-Bretagne. Les Français ne réalisent que 20 % des traversées.
> Ce sont souvent de grands groupes.
Frans Maas, Norbert Dentressangle, Giraud et l'Italien Transmec totalisent à eux seuls quelque 380 000 passages par an. Soit près de 20 % des trafics.
> Ils transportent tout type de marchandises. Y compris du fret aérien camionné comme le fait TNT en passant par le tunnel pour relier les Pays-Bas et la Grande-Bretagne.