Le gouvernement avait, le 5 janvier dernier, confié à Nicole Notat, présidente de Vigeo-Eiris (société de notation extra-financière) et à Jean-Dominique Sénard, le président du groupe Michelin, le soin d’établir un diagnostic et de faire des propositions sur la manière dont les statuts des sociétés et leur environnement, notamment juridique, pourraient être adaptés et, ainsi, permettre de renforcer le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ses parties prenantes. Les responsables de la mission « entreprise et intérêt général » viennent donc de rendre leur copie dans laquelle ils s’interrogent notamment sur la manière de favoriser une prise en compte sur le long terme des intérêts des actionnaires, des salariés et des parties prenantes de l’entreprise, ainsi que sur les statuts et les modalités de gouvernance, qui permettraient de poursuivre des buts plus larges que la réalisation du profit.
Le rapport fait le constat des divers maux qui pèsent sur les entreprises en partant du fait que le détenteur provisoire de capital n’a plus grand-chose à voir avec la figure de l’associé, visé par le Code civil de 1804. Il relève que le droit français des sociétés apparaît aujourd’hui comme l’un des plus désuets, et comme l’un des plus favorables aux actionnaires. Selon les auteurs, « la présence de fonds anglo-saxons au capital des entreprises françaises, le “benchmark” systématique de leurs performances financières avec celles d’entreprises soumises à ces exigences de maximisation, et le recours aux bonus en fonction de critères principalement financiers, ont renforcé, de l’avis des personnes auditionnées, une certaine “dictature” du court terme et des résultats financiers ».
S’agissant de l’image de l’entreprise, la mission évoque le sondage « À quoi servent les entreprises ? » de janvier 2018, effectué par Elabe pour l’Institut de l’entreprise. Il en ressort que la « méfiance » reste le premier mot cité par les Français sondés sur leur état d’esprit vis-à-vis des entreprises, même si la majorité en possède une bonne image.
Selon le rapport, l’entreprise contribue à un intérêt collectif et possède une « raison d’être » qui se définit comme « ce qui est indispensable pour remplir l’objet social, c’est-à-dire le champ des activités de l’entreprise ». La première recommandation consiste à ajouter un alinéa à l’article 1833 du Code civil qui officialise la considération des entreprises pour leurs enjeux sociaux et environnementaux. Ainsi, le texte qui, actuellement, dispose que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés » serait complété par « La société doit être gérée dans son intérêt propre, en considérant les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Pour les auteurs, cette modification consacrerait un mouvement enclenché par les entreprises elles-mêmes, et la référence à l’intérêt propre clarifierait les interprétations de l’intérêt social qui ne peut se réduire aux intérêts particuliers des associés.
Cette « raison d’être » revient également dans la 11e recommandation qui prévoit de donner la possibilité de la faire figurer dans les statuts d’une société, quelle que soit sa forme juridique, notamment pour lui permettre de devenir une entreprise à mission (futur 1835 du Code civil).
Cette notion figure également dans la 2e recommandation concernant les conseils d’administration et de surveillance, auxquels serait confiée la formulation d’une « raison d’être » visant à guider la stratégie de l’entreprise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux (futur article L 225-35 du Code de commerce).
Développer les labels RSE sectoriels fait l’objet de la 3e recommandation, notamment destinée aux PME. La RSE deviendrait alors un outil de renforcement du dialogue social dans les branches professionnelles.
Le changement de la vision de l’entreprise passerait également par les normes comptables. Ainsi, la recommandation n° 10 prône la mise en place d’une étude concertée sur les conditions auxquelles les normes comptables doivent répondre pour servir l’intérêt général et la considération des enjeux sociaux et environnementaux.
En principe, les propositions figurant dans le rapport devraient alimenter le projet de loi du Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte) qui sera présenté au printemps 2018. Affaire à suivre donc.