Selon Stéphane Eliasu, directeur commercial chez Alpega Group, en charge de Teleroute, « Les bourses de fret et les plateformes numériques sont en pleine mutation dans un contexte où il y a trop de fret et pas assez de camions. Une étude de marché est en cours pour juger de la pertinence d’ouvrir Téléroute aux chargeurs. Cette ouverture aux chargeurs aura probablement lieu en décembre 2017 ou en janvier 2018 car il s’agit d’une tendance du marché. Si Teleroute s’ouvre effectivement aux chargeurs, ceux-ci devront organiser leurs transports en se passant des commissionnaires ». Quant à B2PWeb, il devrait ouvrir un nouveau portail accessible aux chargeurs en mars 2018.
Ces annonces portent en elles une petite révolution car elles mettent fin à la séparation nette entre les bourses de fret ouvertes aux seuls professionnels du transport, et les plateformes numériques accessibles aux expéditeurs. Voilà de quoi animer le TRM français qui pèse 43 milliards d’euros, et l’activité des 35 000 transporteurs français. Ces derniers savent à la fois qu’il n’y a rien de mieux qu’un camion complet à l’aller et au retour, et qu’aucun de leurs clients ne leur assure un fret de retour significatif. D’où le recours aux bourses et aux plateformes.
Une autre rupture réside dans l’implication nouvelle d’une bourse de fret dans les relations commerciales entre professionnels. Ainsi, depuis juillet dernier Timocom propose de se charger des ordres de transport et des contrats.
L’exemple de Timocom n’a pas encore d’effets visibles sur les bourses françaises. Stéphane Eliasu confirme en effet que « les solutions Alpega interviennent comme des facilitateurs en fournissant des outils performants. Parmi elles, Téléroute laisse le donneur d’ordre, le commissionnaire et les transporteurs libres de leurs relations commerciales. En cas d’ouverture de Téléroute aux chargeurs, le service ne fixera pas de prix, n’interviendra pas dans la relation financière, n’émettra pas les factures liées au transport et ne procédera pas à leur recouvrement. » La bourse de fret B2PWeb se tient également en marge de la relation contractuelle entre les acteurs du transport, la transaction n’ayant pas lieu dans un cadre organisé par la bourse.
Pour Rodolphe Allard, cofondateur de Chronotruck, « les plateformes ne prendront pas de parts de marché aux bourses de fret car les transporteurs veulent continuer de travailler entre eux. La difficulté pour les bourses est d’apporter des services sans s’immiscer dans la relation commerciale entre professionnels du transport. Les bourses de fret restent des outils indispensables sans lesquels certains transporteurs ne survivraient pas. Les places de marché ouvertes à tous devraient pouvoir travailler avec les bourse de fret, mais la crainte de l’uberisation freine cette évolution ».
Nicolas Spisser, directeur commercial de Convargo pour les transporteurs, rappelle qu’aujourd’hui « Les solutions ne manquent pas pour remplir les camions, mais le nerf de la guerre, c’est d’être bien payé, et surtout, à temps. A part proposer du fret, il n’y a pas de point commun entre une bourse de fret et une plateforme numérique. Cette dernière va au-delà de la simple mise en relation et ne se résume pas à une simple confrontation de l’offre et de la demande. Elle apporte une garantie en matière de paiement. Elle simplifie le quotidien pour la gestion des litiges et des flux, ainsi que pour la dématérialisation des documents (lettre de voiture, facture) et le suivi des statuts de livraison… Et ce n’est qu’un début ! ».
Pour sa part, Rodolphe Allard précise que Chronotruck assure jusqu’à 50 000 euros et pratique à la fois le machine learning et le big data afin de réaliser des recherches prédictives qui conduiront à des offres ciblées.
En pratique, une plateforme numérique organise le transport comme le ferait un commissionnaire, elle n’en a pourtant pas le statut, à quelques exceptions près comme Chronotruck et FretLink qui sont des commissionnaires de transport. Cette qualification participe à la confiance, sans être réellement obligatoire.
Sur une plateforme numérique, le chargeur obtient un prix pour son transport immédiatement après l’avoir défini en précisant masses, dimensions, délai, rendez-vous, contraintes de chargement et de manutention, marchandises dangereuses et toutes autres informations utiles. Parallèlement, ces données sont mises à profit pour choisir le transporteur le mieux adapté, qui pourra accepter le lot en un clic. Chronotruck a l’originalité de laisser les transporteurs faire des contre-propositions à des tarifs qu’ils déterminent.
Nicolas Spisser rappelle que « les lots placés par Convargo le sont par des expéditeurs, les affréteurs étant exclus, à l’exception de ré-affrètements avec des tractionnaires réguliers. Les chargeurs ont ainsi un accès direct à une large base de transporteurs qui obtiennent en retour un prix correct pour leur transport, ainsi que la certitude d’être payé. Le but n’est pas de proposer le prix le plus bas puisque la grille de tarifs Convargo est bâtie avec les transporteurs. Son algorithme évolue fréquemment afin de tenir compte des disparités régionales et saisonnières, ou encore, de celles liées à l’urgence ou à la manutention ».
L’accès à une bourse de fret comme B2PWeb, Téléroute ou Timocom est soumis à un abonnement mensuel ou annuel. Dans le cas d’une plateforme numérique, celle-ci se rémunère par une prestation de service côté chargeur, la plateforme ne représentant aucun coût direct pour le transporteur. En pratique, Chronotruck achète une prestation 100 € au transporteur qu’elle vend 115 € au chargeur, conformément à un activité de commissionnaire.
Lucie Freyburger, directrice de Timocom pour la France, constate : « Il y a de plus en plus de fournisseurs de bourses de fret sur le marché. Mais cela ne peut pas fonctionner à long terme. Les utilisateurs souhaitent une réduction de la complexité des affaires. Personne ne veut travailler avec une centaine de plateformes et utiliser de nombreuses applications. On peut donc imaginer que le marché reviendra de nouveau aux plateformes jugées essentielles. » Elle poursuit : « Tous les acteurs du transport profitent de l’utilisation d’une plateforme de numérique qui, à l’avenir, sera indispensable. Nous vivons un tournant technologique et nous ne pouvons pas faire machine arrière. Les rythmes des commandes sont irréguliers. La planification à long terme est de plus en plus difficile car les clients prennent en charge leurs achats de transport et ont plus de contrôle sur la supply chain qu’ils peuvent optimiser comme ils le souhaitent. A la recherche de fret, Timocom ajoute la recherche rapide d’espaces de stockage et de prestataires de transport qui correspondent à une demande précise. »
Le transporteur serait en moyenne payé à 43 jours quand il l’est par un autre transporteur. Ce délai passe à 49 jours en cas de paiement par un intermédiaire. Pour sa part, la plateforme Chronotruck paye les transporteurs à 15 jours si toutes les opérations de remontées d’informations sont réalisées sans délai. Convargo s’engage à payer à 30 jours, mais Nicolas Spisser a pour objectif de contracter ce délai jusqu’à 2 ou 3 jours.
Pour garantir le délai de paiement, tous les chargeurs clients de Convargo sont prélevés automatiquement, via carte bancaire pour les petits, ou par prélèvement SEPA pour les gros. Selon Benoît Aujay, directeur général de B2PWeb, il est impossible de prélever un groupe de grande distribution.
Nicolas Spisser confirme que « les aléas ne peuvent pas tous être traités par une machine. Convargo dispose donc d’une cellule opérations avec astreinte permanente. Elle est composée de professionnels du transport afin d’organiser les affrètements et flux difficiles, et de résoudre les litiges. » Rodolphe Allard rappelle pour sa part le besoin d’informations de la plateforme quand le transport se passe mal.
Au sein du groupe Alpega, la bourse de fret Téléroute est déjà largement représentée chez les transporteurs tandis que le TMS Transwide l’est chez les chargeurs. Stéphane Eliasu déclare : « Nous allons utiliser l’audience de la bourse de fret afin de mettre en place des demandes de cotation qu’il ne faut pas confondre avec des appels d’offres. Réservé dans un premier temps aux transporteurs et aux commissionnaires, ce nouveau service de Téléroute sera lancé en novembre 2017. En complétant sa présentation de lots par des demandes de cotation, Téléroute permet aux transporteurs de se positionner en amont et d’éviter des pertes de temps au téléphone. Ces demandes de cotation peuvent imposer un délai de réponse et être réservées aux partenaires déjà connus par l’utilisateur du service où chacun peut constituer sa propre communauté. Si les sous-traitants habituels n’ont pas répondu après un certain temps, la demande de cotation peut devenir visible par l’ensemble des utilisateurs de la bourse de fret. Cela peut donner l’occasion de découvrir de nouveaux partenaires adaptés à la demande formulée. D’autre part, la mise en place de demandes de cotation clairement présentées comme telles devrait éliminer les demandes de cotation actuellement déguisées sous forme de faux lots. Il est ainsi courant que trois ou quatre lots soient générés à partir de villes proches de la ville d’expédition, dans le seul but d’obtenir une cotation, mais sans révéler exactement la ville de départ lorsque l’expéditeur semble trop facilement identifiable. Pour autant, la demande de cotation n’est pas un système d’enchères à l’envers avec attribution au moins-disant. Celui qui exprime la demande peut sélectionner l’une des cotations à sa convenance, libre à lui de fonder son choix sur le seul prix. En pratique, le service de demande de cotation est un outil pour les commissionnaires. Il considère que les transporteurs ne peuvent actuellement pas répondre à toutes les demandes et cherchent à remplacer des coups de fil stériles par un clic utile. Il s’agit donc de fluidifier les transactions. ».
Principale bourse de fret française, B2PWeb travaille avec 11 000 commissionnaires et transporteurs (325 000 camions), dont 96 à 98 % sont français. Créée en mai 2016, la plateforme Convargo a dû commencer son activité par un important démarchage des transporteurs avant le dépôt d’une première offre de transport en septembre 2016. Aujourd’hui, la plateforme serait davantage sollicitée qu’elle ne sollicite, selon Nicolas Spisser. Elle continue cependant d’employer cinq personnes pour la prospection tout en exploitant les ressources de Google et des réseaux sociaux (LinkedIn). Aujourd’hui, Convargo peut prétendre : « en un seul clic, on vous ouvre à 2 000 transporteurs » puisque la plateforme réunit 4 000 chargeurs inscrits et 2 100 transporteurs dont une centaine d’étrangers. C’est vingt fois moins que Teleroute. Pour éviter de prendre des clients à ses partenaires transporteurs, Convargo ne répond pas aux appels d’offres, mais met en place un service innovant d’apporteur d’affaires.
B2PWeb filtre les candidats à l’inscription sur sa bourse de fret par un contrôle des documents. Les professionnels étrangers doivent par ailleurs être parrainés par un commissionnaire ou par un transporteur français. Sur Teleroute, les utilisateurs sont libres de communiquer, ou pas, les documents qui contribuent à démontrer leur existence et leur sérieux. Les cartes grises, Kbis, et licences de transporteurs sont ainsi bienvenues.
GedTrans est la solution de gestion documentaire de B2PWeb. Elle vérifie que l’entreprise est assurée et permet le suivi des documents légaux, leur mutualisation et leur échange. Par GedTrans, les donneurs d’ordre communiquent les informations relatives à leurs sous-traitants. Contrairement à GedTrans, Teleroute n’oblige pas à actualiser les documents, mais permet la création d’une communauté de contacts fondée sur la disponibilité de documents à jour. Teleroute est par ailleurs en mesure d’envoyer des alertes quand les documents arrivent à échéance. Deux fois par an, la base de Teleroute est nettoyée afin de n’y conserver que des adhérents sains et actifs. Pour aider à la résolution de litiges ou plutôt, pour éviter leur multiplication, Teleroute sanctionne les commissionnaires qui ne paient pas leurs transporteurs en les excluant de la bourse de fret.
Afin d’établir la confiance, tous les transporteurs présents sur Convargo doivent être inscrits à la DREAL et fournir un Kbis de moins de trois mois, une assurance responsabilité civile professionnelle et une licence de transport. Nicolas Spisser insiste sur le redoublement de prudence de Convargo vis-à-vis des transporteurs étrangers qui font l’objet d’un audit complet, évidemment plus simple quand ils sont relativement importants. Cette plateforme se constitue par ailleurs un groupe de transporteurs référents avec lesquels la confiance est bien établie. Elle leur garantit un volume de transport.
Lucie Freyburger conseille : « Parce que je réalise une prestation pour mon partenaire avant paiement, je dois me demander pour chaque nouveau courant commercial créé, que ce soit en ligne ou hors ligne : qu’ai-je fait afin de contrôler mon partenaire commercial ? Cette entreprise existe-t-elle vraiment ? Les données sont-elles cohérentes ? Ai-je une garantie concernant la solvabilité de mon partenaire ? »
Les sites d’enchères en ligne ou de réservation d’hôtel intègrent des systèmes de notation. Il en est de même dans le monde du transport. Convargo dispose déjà de son système de notation interne. Il deviendra prochainement visible par les chargeurs qui pourront noter les transporteurs. Sur Chronotruck, chaque prestation est notée par le client. Rodolphe Allard remarque que les petits transporteurs obtiennent les meilleures notes grâce à leur qualité de service. Il rappelle également qu’actuellement, seul le transporteur est noté. Le chargeur ne l’est pas alors qu’il mériterait parfois une remise en question de ses méthodes.
Au cours du premier trimestre 2018, un nouveau système de notation devrait apparaître sur Teleroute. Il considérera de multiples paramètres tels que l’ancienneté sur la bourse et la fréquence d’utilisation, le paiement des prestataires et la tenue à jour des documents justificatifs.
Partout, la tendance est à l’imbrication des TMS dans les bourses et plateformes. Ce n’est pas nouveau, Lucie Freyburger rappelle que « Timocom établit des passerelles avec les systèmes de ses clients depuis plus de dix ans pour permettre la transmission des offres en un clic. Timocom est ainsi interfacé avec 230 types de solutions tierces dont les remontées d’informations peuvent être présentées en même temps sur une carte. »
B2P Web et Teleroute disposent des API (Application Programming Interface) grâce auxquelles leurs utilisateurs peuvent « en un clic » déposer des lots sur les bourses depuis leurs TMS. Depuis la rentrée, TAS-tms, le TMS d’Alpega destiné aux transporteurs, récupère automatiquement depuis Teleroute les lots qui pourraient correspondre à un fret de retour sur un itinéraire.
Dans le bouquet de services associés à B2PWeb, on trouve GedMouv, outil de traçabilité mutualisée par et pour les acteurs du transport. Il permet notamment le suivi des informations de livraison, ce qui permet de déclencher la facturation et donc, de réduire les délais de paiement. Teleroute envisage de lancer en 2018 un service d’envoi automatisé de CMR numérique (lettre de voiture internationale). L’évolution va naturellement vers la dématérialisation et l’automatisation des flux avec de plus en plus d’intégration et de moins en moins de saisie d’information.
Certains services complémentaires, par exemple le tracking, sont en open source. Ils complèteront donc naturellement les offres actuelles. B2PWeb intègre déjà un calculateur d’itinéraire selon les critères poids lourd et un simulateur des coûts des péages.
Une tendance forte est la réunion en une même solution d’outils jusqu’à maintenant séparés. Parmi les projets de Convargo, on trouve un outil qui permettrait d’organiser toute l’activité d’un transporteur, qu’elle soit ou non générée par la plateforme. Il s’agirait d’un véritable outil de pilotage du transport. Cet outil communautaire complet leur simplifierait le quotidien en leur communiquant, grâce à leur smartphone, l’information routière et les alertes en temps réel, l’optimisation des trajets, la disponibilité du parking surveillé le plus proche, la notation des stations-services, la présence d’un confrère aux alentours ou encore, les bons plans dans les restaurants routiers.
L’appli Chronotruck fait appel à la géolocalisation en temps réel afin de donner la priorité à la proximité. Disponible sous Android et iOS, l’appli Convargo assure également la localisation des chauffeurs, leur envoie leurs missions de transport, leur permet de recevoir les lettres de voiture et d’envoyer les statuts d’expédition. Le chargeur est informé des chargements et déchargements, mais la localisation du véhicule en temps réel ne lui est pas communiquée.
Teleroute est actuellement très impliqué dans le groupe de travail Nextrust de la Commission européenne qui développe des solutions d’optimisation de la chaîne logistique avec tous les acteurs du secteur. Benoît Aujay annonce que « les bourses de fret vont devoir évoluer car il faut fluidifier et re-normer ». Du côté de Convargo, la levée de fonds annoncée le 25 octobre est le prélude à une internationalisation et… à un changement de nom !
En mars 2018, la bourse de fret B2PWeb, ses services associés GedTrans et GedMouv, ainsi que deux nouveaux services encore confidentiels, fusionneront sur un même portail web accessibles aux transporteurs et aux chargeurs. Les solutions des constructeurs (RIO, Fleetboard, Dynafleet) pourraient être accessibles depuis ce portail.
Pour Rodolphe Allard, « les plateformes vont continuer de grossir en consolidant leurs modèles et en s’ouvrant à l’étranger alors que les bourses vont ajouter de nouveaux services. »
Enfin, Uber Freight va arriver des États-Unis. Face à ce nouvel outil, Stéphane Eliasu anticipe « Il va falloir être prêt. Il faut que nous utilisions notre savoir-faire, notre histoire, notre communauté. » C’est en effet toujours en s’appuyant sur ses points forts que l’on réussit.
Le chargeur, ou expéditeur, est celui qui exprime le besoin de transport initial, il est donc le premier donneur d’ordre et n’est généralement pas un professionnel du transport. Le commissionnaire est un professionnel du transport spécialisé dans l’organisation du transport. Il travaille donc au profit d’un expéditeur en faisant appel à des transporteurs.
L’affréteur a un rôle proche de celui du commissionnaire, mais n’en est pas un. Il travaille habituellement pour une entreprise de transport qui est autorisée à intervenir comme commissionnaire dans la limite de 15 % de son activité.
Des affrètements en cascade sont possibles, mais généralement interdits par les bourses de fret. Ils créent une chaîne de donneurs d’ordre successifs depuis l’expéditeur jusqu’au transporteur qui réalise effectivement le transport, en passant par le commissionnaire et les éventuels affréteurs.
Estimé entre 5 et 8 % du TRM, le fret spot est celui qui compose les lots présents sur les bourses de fret. B2PWeb annonce capter 60 à 70 % du spot en France. Les plateformes numériques se présentent comme des outils parfaitement adaptés aux demandes spot.
Les bourses de fret ne voient passer qu’une faible proportion des marchandises transportées. Avant de proposer un lot sur une bourse, un transporteur tente d’abord de le transporter. S’il ne le peut pas ou ne le veut pas, il fera appel à ses contacts habituels avant de proposer le lot sur une bourse. Celle-ci est donc le dernier recours.
Chronotruck, Convargo, FretLink et les plateformes équivalentes fixent le prix du transport et ne permettent pas de choisir précisément le transporteur. Avec elles, le donneur d’ordre et le transporteur ne se connaissent pas. Par ailleurs, les chargeurs ne paient pas les transporteurs, mais les plateformes. En cela, elles agissent comme Uber vis-à-vis des VTC et ont un rôle régulateur du marché. Les effets de ce rôle doivent être acceptables par les transporteurs. Pour Nicolas Spisser, « La concurrence entre les plateformes est saine. Elle va dans le sens d’une modernisation du transport ».
Dans un monde du transport alors animé par les bureaux de fret, Gérard Lamy crée, en 1985, la première bourse de fret, Teleroute. Initialement, elle exploite le Minitel, premier système télématique grand public massivement utilisé. Le succès est fulgurant puisque Teleroute enregistrait 100 000 connexions et 25 000 à 30 000 dépôt d’offres par jour en 1999.
Créé en 1996 par France Télécom, la société Nolis propose un système concurrent utilisant d’abord la communication par satellite avant de s’adapter à l’internet terrestre à partir de 2003. Nolis est ensuite acquis en 2005 par Wolters Kluwer, déjà propriétaire de Teleroute depuis le rachat de l’éditeur Lamy en 1989.
A l’étranger, des bourses de fret voient également le jour, avec la création de Wtransnet en 1996 et de Timocom en 1997. Alors que Wtransnet est présent en Europe du Sud, Timocom l’est en Allemagne et en Europe du Nord.
En 2006, Benoît Aujay crée BdFWeb, bourse de fret sur le web. Cependant, face au quasi monopole du couple Teleroute-Nolis, les groupements prennent en main BdFWeb en octobre 2009. Ils le transforment le 8 janvier 2010 en B2PWeb qui devient « leur » bourse de fret. Il est vrai que B2PWeb appartient aujourd’hui à 300 transporteurs. Elle est donc peu chère, française et développée par ou pour les transporteurs. B2PWeb parvient ainsi à prendre l’avantage et à devenir leader du marché français en 2012. Ceci contribue à la disparition de Nolis en 2015, ses clients étant repris par Teleroute.
Aujourd’hui, les deux principales bourses de fret françaises sont B2PWeb, particulièrement active sur les petits lots, et Teleroute qui voit passer davantage de lots complets. Benoît Aujay confirme que B2PWeb participe à compléter les chargements, et à massifier le transport au fil de l’itinéraire. Teleroute, grâce à sa longue histoire, réunit aujourd’hui 40 000 professionnels du transport, y compris des étrangers. Timocom annonce jusqu’à 750 000 offres de fret par jour et s’adresse à 120 000 utilisateurs dans toute l’Europe. Il en résulte de nombreuses données qui permettent d’analyser en temps réel la situation du marché.
Dans les faits, les transporteurs qui ont recours aux bourses de fret en utilisent couramment plusieurs, y compris d’origine étrangère. Wtransnet et Timocom sont naturellement disponibles en versions françaises.
L. F.
Les bourses de fret intéressent autant les patrons chauffeurs que les groupes internationaux. Il en est de même pour les plateformes. Cela surprend Nicolas Spisser qui pensait que Convargo n’intéresserait que les petits. Ce sont toutefois les entreprises exploitant 10 à 20 camions qui manifestent le plus d’intérêt vis-à-vis de Convargo. Sur cette plateforme, les chargeurs occasionnels proposent du fret spot qui est transporté par les TPE et PME tandis que les grands groupes donnent du complet et commencent par tester Convargo sur une ligne. Rodolphe Allard constate pour sa part que la proportion de chargeurs qui confient l’intégralité de leurs flux à Chronotruck augmente rapidement.
La bourse de fret reste un monde de palettes transportées en semi-remorques à rideaux coulissants. Les frigos y sont également courants dans le cadre de « retours à sec » avec des palettes. Quant à l’emploi de fourgons rigides, il témoigne en général de la valeur des marchandises transportées. L’ADR passe par les bourses et plateformes quand il est palettisé.
Les messagistes, généralement actifs sur des lignes régulières et dépourvus de marge sur leurs horaires imposés, sont habituellement absents des bourses de fret. D’autre part, les transports qui exigent un matériel particulier, qu’il s’agisse de citernes ou de porte-voitures, sont réalisés par des spécialistes. Ces derniers sont relativement peu nombreux et se connaissent entre eux. Ils n’ont donc pas besoin de passer par une bourse de fret. Ceci dit, le transport en bennes lié aux travaux publics pourrait dans certains cas trouver un intérêt aux bourses de fret, mais n’y est pas représenté. Convargo annonce son arrivée en 2018 dans le transport frigorifique et dans la benne. Le commissionnaire numérique Chronotruck progresse en lots complets, mais réalise actuellement l’essentiel de son activité en régional avec des lots de 3 à 12 palettes en traitant 12 000 à 14 000 palettes par mois avec 2 500 transporteurs. Il va s’ouvrir au vrac liquide, aux porte-engins et aux porte-voitures qui sont des activités pénalisées par de nombreux retours à vide.
Parmi les bourses spécialisées, certaines sont réservées aux déménageurs. Par exemple, EuroTransFret leur propose de compléter leurs camions avec des petits lots.
A l’origine, les bourses de fret ont justifié leur existence par la mise à disposition de lots de complément et de fret de retour afin d’éviter les chargements partiels et les retours à vide. Leur utilisation participe à la création d’activités de groupage dont Benoît Aujay (B2PWeb) souligne le développement. Pour optimiser une activité de ramassage, il existe des solutions spécialisées, par exemple celles de PTV Group.
Les difficultés de recrutement de chauffeurs français et la chute à 11 % des parts de marché des transporteurs français sur les flux entre la France et l’étranger imposent le recours à des transporteurs étrangers.
Il existe des bourses de fret ouvertes aux particuliers. Cependant, B2PWeb impose une licence intracommunautaire. Celle-ci exclut les acteurs du marché qui n’exploiteraient que des utilitaires légers.