« Dans le transport routier de marchandises pour compte d’autrui, elle est au cœur du métier des transporteurs par la mise à disposition d’une capacité de transport au service de plusieurs chargeurs », rappelle Elisabeth Charrier. Pour la déléguée aux régions de la FNTR, « il n’y pas de transport routier pour compte d’autrui sans mutualisation qui vise à saturer et à rationaliser les capacités des transporteurs en massifiant les envois ». Au sein de la profession, un des moyens pour soutenir cette optimisation est le recours aux bourses de fret. « Entre professionnels du transport, elles demeurent indispensables en permettant la rencontre de l’offre et de la demande, et limiter ainsi les trajets à vide », soulignent Aline Mesples, présidente de l’OTRE et Jean-Marc Rivéra son secrétaire général.
Depuis les années 2000, d’autres mutualisations transport ont vu le jour. Avec le même objectif d’optimiser les capacités et les coûts de transport, elles sont supportées par des chargeurs. Appelées aussi pooling, ces organisations ont pour objectif de regrouper plusieurs chargeurs dans un même camion pour livrer un point unique. Avec le concours d’organisateurs de transport, de transporteurs et/ou de consultants, ont été créés sur ce principe le GIE Pointe de Bretagne, à l’initiative notamment du groupe Hénaff, ou les pools Sphinx dans l’agroalimentaire et Changes dans les produits cosmétiques. « Après avoir travaillé sur l’optimisation logistique et des stocks, le transport est devenu une priorité pour les chargeurs avec un triple objectif : économique, environnemental et d’amélioration de la qualité de service », déclare Christian Rose, le directeur des relations adhérents et institutionnelles de l’AUTF. « La finalité de ces mutualisations n’est pas d’abaisser les prix de transport au détriment des transporteurs mais bien de réaliser des gains partagés au travers d’une meilleure organisation des flux », précise-t-il. « Pour les transporteurs, la création de ces pools comporte le risque de devenir un exécutant sans valeur ajoutée mais aussi l’avantage d’accéder à un marché composé de plusieurs clients, et de pouvoir se différencier en intégrant de nouveaux schémas logistiques », analyse élisabeth Charrier.
L’intérêt croissant des chargeurs pour l’organisation des transports s’accompagne de nouveaux outils tels que les plateformes d’intermédiation. Lesquelles interpellent toutefois la profession et l’interrogent sur une éventuelle ouverture aux chargeurs des bourses de fret « classiques » et l’affichage des prix de transport qui y sont proposés. « La première question que posent les plateformes d’intermédiation est sous quel statut juridique elles opèrent », soulèvent Christophe Schmitt et Philippe de Clermont-Tonnerre de TLF. Convaincue qu’une partie des flux de transports de lots en spot sera captée à terme par ces outils digitaux, l’Union rappelle que « si ces plateformes endossent la qualité de commissionnaire, elles doivent en respecter les obligations et les responsabilités auprès des chargeurs ». Pour les mêmes raisons, la position de l’OTRE est vent-debout. « La fixation des prix de transport par ces plateformes au moyen d’algorithmes fondés, en général, sur le référentiel du Comité national routier (CNR) enrichi d’approches de yield management tenant compte des trajets, des jours et horaires, a pour conséquence de tirer les tarifs vers le bas », alerte Aline Mesples. Sans compter le risque de supprimer la liberté contractuelle en appliquant de facto, les contrat-types. « Un autre risque concerne la gestion et la protection des données professionnelles, dont de géolocalisation, traitées par ces plateformes. Il s’agit de données commerciales sensibles sur un marché du transport où la concurrence est vive et loin d’être loyale entre ses acteurs », ajoute Jean-Marc Rivéra. De son côté, élisabeth Charrier adopte une approche plus consensuelle : « Ces plateformes peuvent être opportunité dans la recherche de nouveaux clients spot pour les TPE voire les PME. Il est toutefois essentiel qu’une clarification réglementaire soit apportée pour préciser leur périmètre, obligations et responsabilités ».
Dans des démarches communes ou non, les trois syndicats ont engagé des demandes dans ce sens auprès de la DGCCRF, la DGITM et l’autorité de la concurrence. Cette question apparaît d’ailleurs dans la mission « VUL » confiée au député de la Sarthe, Damien Pichereau, dont les conclusions seront rendues fin mars. Un focus particulier est attendu en matière de logistique urbaine où le développement de ces plateformes entre en conflit avec la profession des coursiers. « Plusieurs actions en justice ont été lancées par le Syndicat national du transport léger membre de TLF pour exercice illégal de la profession de coursiers », évoquent Christophe Schmitt et Philippe de Clermont-Tonnerre. « Le message véhiculé par les web marchands sur la livraison rapide et gratuite va à l’encontre de notre profession et de son modèle socio-économique », ajoute Aline Mesples. Moyen de contrer cette évolution, des transporteurs ont créé leur propre plateforme à l’image de Gégé par VIR Transports ou de Fifty Truck autour d’IDEA et de plusieurs transporteurs des Pays de la Loire.
Au-delà, l’augmentation des flux urbains, e-commerce en particulier, interroge sur l’organisation de la mobilité fret dans les villes. « La mutualisation prend ici tout son sens », selon Christophe Ripert. « Sa mise en œuvre est toutefois complexe en raison de la diversité des flux de transport pour compte d’autrui mais aussi pour compte propre », reconnaît le directeur général adjoint de Sogaris en charge du pôle Innovation et Développement. En témoignent les tests subventionnés dans plusieurs villes françaises soldés par des échecs une fois les aides publiques arrêtées. Peu tentée à ce jour, la mutualisation par une mixité des activités sur un même espace foncier semble aujourd’hui l’une des voies privilégiées par Sogaris dans les villes. « Il s’agit de saturer les surfaces disponibles au moyen de plages de location attribuées à des opérateurs aux métiers différents selon les heures de la journée ». Parmi les autres solutions, confier la mutualisation aux transporteurs publics, dont c’est le métier, est avancé par TLF, OTRE et FNTR. Ce choix supposerait notamment d’autoriser l’accès aux villes à des véhicules « verts » de plus gros tonnage, et d’encadrer les livraisons à horaires décalés. Cette piste défendue aussi par l’AUTF est expérimentée avec succès depuis plusieurs années par le Club Demeter avec le concours de Certibruit.