À l’occasion de la SITL, l’Association des utilisateurs de transport de fret (AUTF) prend le pouls de ses membres sur l’évolution du marché des transports et de la logistique. Associant le consultant Bp2r, deux études ont ainsi été réalisées.
La première mesure pour la seconde année consécutive les attentes, craintes et enjeux des chargeurs du transport routier de marchandises. Parmi ses enseignements, on relève « un intérêt croissant pour l’établissement de partenariats durables, l’optimisation des ressources et les solutions organisationnelles ». Comme en 2018, les répondants continuent majoritairement « à prioriser la qualité de service de leurs prestataires à leurs tarifs dans leur sélection ». Si la tension sur les moyens, qui semble moins vive en 2019, justifie encore cette approche, d’autres enjeux l’alimentent aujourd’hui et devraient la porter demain : la transition environnementale avec sa déclinaison en zones urbaines et le développement des distributions multicanales. Ces évolutions structurelles supposent en effet des choix stratégiques en termes de transports et de livraisons, devenus centres de profits et non plus de coûts dans les organisations omnicanales, et des partenariats plus étroits avec les transporteurs pour les encourager à investir dans des solutions adaptées. Et même si elles n’arrivent qu’en 6e et 10e positions, la volonté « de donner de la flexibilité aux prestataires pour s’organiser en assouplissant les contraintes » et « d’améliorer les conditions d’accueil des conducteurs » va dans ce sens. Ce dernier point est d’ailleurs présenté dans l’étude comme « un critère déterminant pour les prestataires lorsqu’il s’agit d’attribuer de la capacité ».
Qu’il s’agisse d’optimiser les ressources, de déployer des solutions organisationnelles ou d’assouplir les contraintes et améliorer les conditions d’accueil des conducteurs, des outils digitaux plus ou moins récents à la disposition des chargeurs contribuent à leur mise en œuvre. La deuxième étude menée par l’AUTF et Bp2r aborde justement ce sujet en sondant les chargeurs sur les plateformes digitales et collaboratives, au sens large, utilisées dans les transports dont routier. Citées par Christian Rose, directeur des relations adhérents et institutionnelles à l’AUTF, on y distingue trois grandes familles : « les commissionnaires traditionnels qui proposent leur propre offre digitale, les plateformes de mise en relation entre transporteurs et donneurs d’ordres pour optimiser les flux de transport, les commissionnaires pure players digitaux ou 2.0 ».
La première catégorie souligne l’investissement digital des acteurs historiques à l’image de Geodis avec sa plateforme de benchmark Upply, de mise en relation chargeurs-transporteurs Saloodo ! conçue par DHL, uShip de Schenker ou le service de commission de transport routier en ligne XPO Connect lancée le 6 mars dernier en Europe par XPO Logistics. Sont susceptibles d’appartenir à la seconde (les noms des membres des trois familles étant gardés confidentiels), les éditeurs de suites logicielles spécialisées et plateformes collaboratives dans le transport ou la traçabilité comme les offres Transporeon et Transwide ou encore celles de Shippeo et PTV. Quant à la troisième, elle regrouperait des commissionnaires digitaux tels que Chronotruck, Fretlink, Everoad, Ontruck, Cargonexx ou encore Waygoo. Point commun à tous ces fournisseurs de solutions digitales, ils respectent la réglementation des transports en vigueur en qualité de commissionnaire ou d’éditeur de logiciels. L’occasion pour Christian Rose d’insister : « Si l’étude n’aborde pas la dimension juridique, il est essentiel que les donneurs d’ordres qui contractent avec des plateformes et fournisseurs digitaux sachent dans quel cadre ils passent leurs transactions et fassent préciser leur statut pour connaître les responsabilités et obligations induites. »
Sur cette base, l’étude relève qu’un tiers des répondants utilisent ou testent ces outils. Cette proportion prouve selon Yvan Keller de Bp2r que « les plateformes digitales n’ont pas créé un raz-de-marée dans le secteur et qu’il n’y a pas eu un transfert massif des flux vers ces dernières. Ces solutions sont un complément, une opportunité par rapport aux organisations en place ».
Ciblées sur les commissionnaires digitaux, les raisons qui justifient leur emploi sont « la réactivité et la capacité à répondre très rapidement à une cotation et à un besoin de transport en période de tension en particulier ». Suivent la traçabilité et la capacité de formuler des heures d’arrivée estimées (ETA), l’approche collaborative, la possibilité de réaliser des appels d’offres, les tarifs obtenus et la gestion documentaire dématérialisée. « Une attente forte apparaît en matière de prévisions et d’approches prédictives sur les capacités et les prix », note Christian Rose. À l’inverse, les chargeurs qui ne les utilisent pas évoquent leur satisfaction vis-à-vis de leur organisation actuelle, des valeurs ajoutées non perçues ou, plus simplement, leur méconnaissance, l’absence de budget et le fait qu’ils n’ont pas été démarchés. La protection des données ne semble pas être un frein ni l’interopérabilité avec les systèmes d’information en place considérée comme « native ».
S’agissant du marché routier couvert par les commissionnaires digitaux, il se concentre sur les complets, lots et demi-lots spot en France et en Europe, et représente 10 % environ de ces flux gérés par les chargeurs. Si initialement la cible déclarée de leurs plateformes était les TPE et PME, il s’avère que les grands groupes expriment aussi un engouement pour ces dernières. Le statut de commissionnaire est également apprécié pour ses assurances et la fourniture d’une prestation globale incluant la facturation et la gestion des envois de bout en bout. « Comparée au déploiement d’un projet TMS, la facilité d’utilisation des plateformes et l’automatisation des tâches ressortent comme des atouts », relève Yvan Keller. Le consultant constate d’ailleurs que le déploiement de TMS demeure marginal au sein des chargeurs, de l’ordre de 10 % avec l’ensemble de leurs fonctionnalités à 50 % pour des usages partiels.
Avec la capacité d’étoffer leurs offres, services et innovations, l’un des défis des commissionnaires du digital consiste à rassembler un volant de transporteurs capables de répondre aux besoins de leurs clients chargeurs. Et pour se rendre attractifs, ils ne manquent pas d’arguments. En témoigne Chronotruck, qui cible les TPE, PME et ETI sur le segment general cargo « pour des besoins spot ou à la demande souvent tendus en France et, de plus en plus, à l’international », explique son cofondateur Rodolphe Allard. À deux reprises, le commissionnaire numérique a fait constater par huissier le chiffre d’affaires réalisé au moyen de sa plateforme avec un revenu supérieur de 20 à 50 %, soit 3 300 et 4 080 euros par camion en cinq jours d’exploitation. « Chronotruck calcule un prix minimum rentable qui tient compte de tous les coûts de revient et ajoute la marge du transporteur. Chaque jour, des offres sont proposées sur PC ou smartphone à chaque transporteur en tenant compte de critères qu’il peut paramétrer : géolocalisation, destinations et trajets de préférence, type de chargement recherché, etc. Une fois notifié, le transporteur peut réserver en un clic. » Se présentant comme le spécialiste des envois « tendus », « les transporteurs peuvent utiliser notre outil de contre-proposition : soit pour proposer d’autres dates, soit pour augmenter le prix si le chauffeur doit faire un détour important, par exemple. Cette souplesse est bénéfique pour tous car, selon l’urgence de la mission, une solution sera trouvée à une autre date ou à un meilleur prix que le client sera prêt à payer ». Pour concilier besoins et capacités de transport et augmenter les probabilités de réponses positives, Chronotruck géolocalise en temps réel, au moyen d’une application fournie, les transporteurs susceptibles de satisfaire la mission au plus proche des lieux de chargement. À noter aussi la fourniture systématique pour les chargeurs d’une assurance ad valorem avec AXA jusqu’à 50 000 euros par envoi en sus de ses CGV de commissionnaire.
En supplément des besoins spot adressés depuis sa création en novembre 2016 avec fourniture instantanée d’un prix et d’un tableau de bord de suivi, Everoad accroît de son côté son positionnement sur les flux réguliers. « Aujourd’hui, il représente plus de 50 % de notre chiffre d’affaires avec l’ambition d’atteindre 70 % d’ici à la fin de l’année », confie Maxime Legardez, son président et fondateur. Pour réaliser cet objectif, la start-up présente sur le segment general cargo et débutant sur le frigorifique a créé en son sein un bureau d’études proposant des plans de transport optimisés sur la base de tarifs négociés et d’opérations simplifiées. « Avec une remontée d’informations en temps réel et une gestion documentaire dématérialisée, nous garantissons la mise à disposition en France et à l’international [40 % des flux traités, Ndlr] de moyens adaptés aux demandes, que cela soit en termes de capacités, typologie de véhicules ou de variations dues à la saisonnalité, indique Maxime Legardez. Nous ambitionnons de devenir une tour de contrôle et un partenaire stratégique de confiance pour nos clients. »
À l’attention de ses transporteurs, Everoad s’engage à ne leur transmettre que des ordres de transport personnalisés selon leurs offres et attentes (appairage automatisé à hauteur de 50 %). « Nous assurons un règlement en soixante-douze heures dans le cadre d’un partenariat avec La Banque postale », explique le dirigeant. Cette facilité est réservée aux partenaires les plus réguliers qui s’engagent à se connecter sur la plateforme dès la notification d’un lot, à y renseigner les ETA et le déroulé de l’expédition du chargement à la livraison, remplir et télécharger les documents de transport sous cinq jours. Parmi ses développements, après la Pologne en septembre 2018, Everoad annonce de nouvelles implantations en Espagne, Italie et Allemagne cette année. En janvier dernier, la plateforme s’est distinguée avec le lancement d’Asclépios, soit un programme de prédiction des risques fondé sur le traitement par algorithmes de ses données historiques enrichies d’informations collectées quotidiennement selon la technologie machine learning (« apprentissage statistique », champ d’étude de l’intelligence artificielle). « De façon anticipée, nous identifions 50 % des risques d’une mission et pouvons y consacrer davantage d’attention dès sa mise en œuvre », explique Maxime Legardez. Proposant à ses clients une assurance ad valorem avec Helvetia, Everoad annonce pour 2019 un outil dédié aux appels d’offres et une offre Track& Trace avec le concours de Project44-GateHouse Logistics complétée par les systèmes télématiques des constructeurs de véhicules industriels. En projet également, la fourniture de services destinés aux transporteurs pour le financement de camions ainsi que des remises sur entretien et carburants.
Telle est également la voie choisie par Fretlink à travers son programme Premium à l’attention de ses partenaires transporteurs. S’adressant aux PME et grands groupes sur des trajets nationaux et internationaux sur les segments general cargo (80 %) et « spécifiques » (20 % vracs secs et liquides en bennes et citernes, fret sous température dirigée en véhicules frigos…), « nous prônons depuis nos débuts que la sécurisation du fret des chargeurs passe avant tout par la pérennisation de l’activité des transporteurs, majoritairement TPE et PME. Le fait de les accompagner dans leur développement est naturellement au cœur de nos engagements », déclare Paul Guillemin. « Cela passe évidemment par un apport de business pertinent et bien rémunéré, la fourniture d’outils favorisant leur collaboration avec les chargeurs mais pas seulement. L’un des principaux leviers pour pérenniser leur activité est la réduction des écarts de trésorerie et, avec l’aide de partenaires bancaires, nous leur assurons des règlements sous trois jours à la date de facturation », valorise le directeur général et cofondateur de Fretlink. Annonçant des implantations dans l’année en Allemagne, Belgique et Pologne, la start-up ambitionne « une multiplication par quatre de nos résultats en 2019 et un chiffre d’affaires de 60 M€ avec une équipe de 150 à 170 collaborateurs [contre 70 fin 2018, Ndlr] ». Les transporteurs travaillant avec le commissionnaire ont au préalable transmis leurs flux et plans de transport ainsi que leurs attentes en termes de fret. Le suivi, les remontées et la formulation d’ETA sont assurés soit directement sur sa plateforme soit au moyen d’une application mobile et, bientôt, via de possibles interfaces avec les systèmes d’information des transporteurs. À venir, l’accès à des services carburants, pneumatiques, maintenance, parkings sécurisés, location de remorques…
En réponse à des besoins à la demande et à des flux réguliers, Fretlink défend l’idée d’un « sourcing dynamique » selon les capacités disponibles sur le marché en optimisant ses offres par l’automatisation des process, la mutualisation et l’amélioration du service guidé par la gestion des données et l’intelligence artificielle. « Chez nos clients chargeurs, nous nous adressons aux opérationnels chargés de mettre en œuvre les plans de transport mais aussi à leurs fonctions tactiques et stratégiques pour sécuriser et piloter leur schéma transport pour satisfaire leurs clients », explique Paul Guillemin.
Force est de constater que le marché de la commission transport du digital attire les nouveaux entrants. En témoigne la création l’an passé de Waygoo, qui se présente comme un « commissionnaire hybride. Cela nous distingue du commissionnaire purement numérique ou classique, explique Fabien Lelièvre-Oudin un de ses cofondateurs. Notre outil digital mis à disposition des expéditeurs et des transporteurs traite les ordres de transport standards, banalisés. Le client dépose sa demande de transport transmise uniquement aux transporteurs susceptibles de pouvoir y répondre, puis fait son choix sur la base des réponses reçues. Les missions à plus forte valeur ajoutée sont gérées par nos équipes. Nous acceptons donc tous les types de fret en spot et à la demande sur le territoire national. » Pour se démarquer, Waygoo garantit le recours à des transporteurs avec flotte et, si stipulé, des transports sans rupture de charge. « La lettre de voiture dématérialisée est remplie directement à partir des éléments de commande du client, en toute transparence, et transmise au transporteur qui a accepté la mission », détaille l’entrepreneur. Les prix proposés « sont ceux formulés par les transporteurs à partir de la demande du chargeur. Waygoo ne se positionne pas sur le prix mais sur la garantie d’un service de qualité », insiste Fabien Lelièvre-Oudin. La plateforme donne en outre la possibilité aux chargeurs comme aux transporteurs de se noter.
Si plusieurs commissionnaires du digital français s’implantent dans d’autres pays ou sont sur le point de la faire, inversement, de nouveaux concurrents étrangers ont décidé de proposer leurs services numériques en France. Tel est le cas de l’allemand Cargonexx. Sur le segment general cargo en complet et un peu sous température dirigée sur des trajets nationaux et internationaux longue distance spot et réguliers pour le compte d’ETI et grandes entreprises, la plateforme se distingue par ses services prédictifs en termes de capacités et de prix avec une vision sur cinq jours. « Grâce à nos traitements de données basés sur l’intelligence artificielle et le machine learning, nous associons ces deux critères pour optimiser les combinaisons de trajets et augmenter les taux de chargement. Dès que le client dépose un lot, il obtient instantanément un prix. Il en résulte une meilleure visibilité et une relation win-win entre les clients et les transporteurs », présente Lucas Lefèvre, son directeur France. La gestion en direct d’un parc d’une quarantaine de camions dédiés mis à la disposition par des partenaires est une autre force valorisée par la société hambourgeoise. « En toutes circonstances, cette capacité propre permet de garantir l’exécution des transports en sus des capacités des transporteurs enregistrés sur notre plateforme. » À ces derniers, Cargonexx déclare un règlement sous quarante-huit heures et leur assure des missions sélectionnées au moyen d’un assistant de recherche selon les informations qu’ils ont notifiées sur la plateforme. « 50 % des appairages sont réalisés automatiquement », indique le responsable. Revendiquant de solides positions en Allemagne et dans les pays d’Europe de l’Est, après la France, le commissionnaire annonce des implantations cette année en Italie et en Espagne. D’ici à juin 2019 est prévue la fourniture d’une application mobile pour les transporteurs, sachant que le tracking, la remontée d’informations et la formulation d’ETA sont aujourd’hui réalisés via les exploitations des transporteurs. Autre nouveauté annoncée par Cargonexx à partir de ses outils d’intelligence artificielle et de machine learning : « la fourniture de chargements retours aux transporteurs dès l’acceptation d’un lot aller », confie Lucas Lefèvre.
Originaire d’Espagne et déjà présent au Royaume-Uni, Ontruck s’est également implanté en France récemment. À la différence de l’essentiel des commissionnaires du digital, sa plateforme cible les trajets régionaux courte distance. En France par exemple, « nous démarrons nos opérations sur l’Île-de-France pour des flux general cargo palettisés. Le transport régional s’avère être le plus inefficace pour les expéditeurs et les chargeurs en Europe car plus de 40 % des kilomètres parcourus le sont à vide », précise Nicolas Lubeth, responsable des opérations en France. Pour l’envoi des lots avec prix proposés, la remontée des informations dont de tracking et les preuves de livraison, Ontruck fournit une application mobile et une formation courte aux transporteurs. Lesquels renseignent au préalable les caractéristiques de leur offre et les flux attendus. « Les règlements sont assurés au début de chaque mois pour toutes les opérations réalisées le mois précédent », explique Lucas Lefèvre.
Sans présager de l’avenir de plateformes digitales, il est indéniable que leur business model attire les investisseurs. La plupart ont mené avec succès une à plusieurs levées de fonds de quelques dizaines de millions d’euros.
Sur un panel de transporteurs français exploitant des ensembles articulés 44 tonnes, le Comité national routier a évalué le taux de pénétration du numérique. Ainsi, 93 % d’entre eux déclarent exploiter les données informatiques à leur disposition avec, en tête, celles en matière de géolocalisation (83 %) suivies des temps de service (80 %). « En revanche, certaines fonctions attendent d’être plus largement développées telles la traçabilité des marchandises (20 %) et le suivi des parcours à vide (16 %). » note le CNR. Quant à l’échange de données informatiques automatisé avec leurs partenaires, il est pratiqué par 33 % des transporteurs interrogés. « La taille des entreprises discrimine clairement les résultats : 6 % chez les moins de 20 salariés contre 61 % chez les 100 salariés et plus », relève le comité. Sept natures de données ont été mesurées : bon de commande, avis d’envoi, référence du lot, bon de livraison, lettre de voiture, réserves et factures. « C’est le bon de commande qui passe le plus souvent par EDI pour 84 % des pratiquants, et la transmission des réserves qui est le moins souvent automatisée (36 %). »