L’évolution du transport combiné français est loin d’être un long fleuve tranquille. Alors même que ce mode de transport peut supporter des croissances de trafic à deux chiffres tant ses potentiels de développement sont importants, les trois dernières années écoulées n’ont assurément pas été de tout repos pour les opérateurs de transport combiné. Les grèves ont impacté l’année 2016, 2017 marquant un retour à la normale. Mais 2018 a vu la croissance à nouveau sapée par des mouvements sociaux. Il y a donc eu mécaniquement un ralentissement de la hausse des trafics, ceux enregistrés au cours de la période 2009 à 2015 ayant été supérieurs à 30 %.
En prolongement d’un optimisme retrouvé au sein des chargeurs, l’année 2018 était, pourtant, partie sur de bonnes bases. Malheureusement, la croissance a largement été érodée du fait de l’impact des grèves perlées du printemps. Des opérateurs comme Novatrans ainsi que des entreprises ferroviaires comme Fret SNCF ont, ainsi, connu des baisses d’activité respectives de 12 et 10 %. T3M a, pour sa part, subi un tassement au niveau ferroviaire (TAB étant en hausse de 2 %). « Globalement, la perte de résultat estimée pour l’ensemble de la profession se situe aux alentours de 15 millions d’euros du fait de la grève », indique Dominique Denormandie, président du GNTC (Groupement national des transports combinés). Certains opérateurs ont, néanmoins, réussi à tirer leur épingle du jeu l’année passée. C’est en particulier le cas de Naviland Cargo, qui a réussi à préserver une hausse de 12 % de ses trafics au cours de l’année écoulée. VIIA a également terminé en hausse même si elle est beaucoup plus modérée que les 20 % prévus initialement. Au sein des transporteurs, l’année 2018 a été pour le moins contrastée avec, d’un côté, des entreprises qui n’ont subi que peu de perturbations comme SMTRT, voire pas du tout comme les Transports Jacquemmoz et d’autres qui ont été contraintes de repasser provisoirement à la route longue distance en raison des mouvements sociaux. Cela a, en particulier, été le cas pour le groupe Lahaye Global Logistics, ainsi que l’explique son président-directeur général, Patrick Lahaye : « Nous avons été contraints, durant cette période, d’employer des chauffeurs routiers en intérim et de faire circuler des camions la nuit en remplacement de la desserte ferroviaire Rennes-Lyon. »
2019 devrait donc être l’année de la pleine reconquête commerciale, certains clients qui avaient provisoirement délaissé la solution ferroviaire étant revenus dès le second semestre de l’exercice écoulé. Ce retour à meilleure fortune prend aussi pour assise le lancement de nouveaux services. VIIA se distingue incontestablement en la matière avec la création d’une cinquième autoroute ferroviaire (Bettembourg-Barcelone) opérationnelle depuis le 19 février. Elle présente la double particularité d’être la seconde liaison empruntant le réseau ferroviaire français à admettre des matériels au gabarit P400 (4 mètres de hauteur pour les semi-remorques) et la première au départ d’Espagne. Elle générera, par ailleurs, une économie de 23 070 tonnes de CO2 chaque année.
Naviland Cargo n’est pas en reste puisque l’opérateur ajoute des trains supplémentaires sur les lignes existantes. « Nous passons de six à sept allers-retours par semaine entre Fos-sur-Mer et Lyon à neuf cette année et de cinq à sept rotations hebdomadaires entre Bordeaux et Le Havre. De fait, et avec la mise en place de deux liaisons quotidiennes certains jours de la semaine, nous créons de véritables tapis roulants ferroviaires dont le but est de permettre aux transporteurs routiers de se repositionner très rapidement lorsqu’un camion transportant un conteneur manque un rendez-vous », explique Charles Puech d’Alissac, président de Naviland Cargo.
Même si elle représente un progrès indéniable, cette avancée n’est pas suffisante aux yeux de certains transporteurs comme SMTRT. « Alors que tout le monde évoque la possibilité de multiplier les trains longs, nous serions, pour notre part, plus intéressés par une nouvelle augmentation des fréquences sur les lignes existantes avec des trains courts. L’existence de ces trains entre Paris et Marseille avec des vitesses moyennes commerciales plus élevées pourrait nous permettre de livrer nos clients plus rapidement », explique Thomas Pellegrin, directeur général de SMTRT.
Fret SNCF devrait, de son côté, concrétiser le retour des conteneurs frigorifiques sur longues distances courant 2019. « Cela fait deux à trois ans que nous travaillons dessus. Mais pour assurer la pleine réussite de ce nouveau flux à mettre en place entre les Pays-Bas et l’Espagne via la France, il conviendra d’être dans un bon dosage entre une qualité de service irréprochable et un temps de transit inférieur à celui de la route malgré les passages aux frontières toujours délicats dans le transport ferré », souligne Stéphane Derlincourt, directeur de Combi Express au sein de Fret SNCF.
C’est un même vent d’optimisme qui souffle chez T3M. « Au-delà du fait que nous n’avons pas perdu de clients en 2018, nous recommençons à avoir des dossiers très importants qui auront des implications en fin d’année 2019 [lors du changement de service annuel, Ndlr]. Ce sont, en particulier, des clients qui ont des objectifs sur la RSE (responsabilité sociétale des entreprises). Ils sont dans l’urgence et nous sommes justement une des principales solutions qui peuvent être mise en œuvre assez rapidement », précise Jean-Claude Brunier, président de T3M. Enfin, Novatrans s’inscrit dans un dispositif d’industrialisation de transport des semi-remorques au gabarit P400. Cela pourrait aboutir à la création de deux nouvelles liaisons Dourges-Vénissieux et Dourges-Miramas d’ici à la fin de l’année 2019. L’opérateur a, par ailleurs, entamé une réflexion pour la mise en œuvre de ses premiers trains mixtes. Associant à la fois du combiné et du conventionnel, ces convois développant les relations domestiques pourraient commencer à circuler à partir de 2020. En attendant, Novatrans entend « simplifier la potentielle issue d’un Brexit dur. C’est la raison pour laquelle nous mettons en place des liaisons ferroviaires entre Dunkerque et Zeebrugge, et entre Dourges et Zeebrugge. Cette solution permet d’éviter la congestion routière des ports », explique Thibault Fruitier, directeur général de Novatrans et de Greenmodal. Ce tour d’horizon des acteurs du transport combiné ne serait pas complet sans les projets développés par le groupe Lahaye Global Logistics. En partenariat avec les Transports MGE (Vosges), le groupe breton entend concrétiser dès le premier semestre 2019 la création d’une liaison de transport combiné entre Rennes et Nancy. La seule pierre d’achoppement réside dans le fort déséquilibre de flux existant entre l’Ouest et l’Est. « C’est là-dessus que nous devons travailler pour trouver l’équilibre des flux », indique Patrick Lahaye, avant d’ajouter : « Nous avons beaucoup de demandes dans le sens est-ouest pour des acheminements qui ne concerneront que des caisses uniquement ». Toutes ces nouvelles positives s’inscrivent dans une tendance de fond favorable au développement du transport combiné, comme le confirme Dominique Denormandie : « Nous sentons un vrai engouement pour le rail/route avec des convictions qui se vérifient par ailleurs. Aux conséquences du manque de conducteurs et de l’augmentation du gazole vient s’ajouter une prise de conscience collective des atouts environnementaux du transport. Nous voyons aussi apparaître des nouveautés comme la création d’un arrêt à Mâcon sur l’autoroute ferroviaire Calais-Le Boulou. C’est la première fois qu’elle ne va pas faire que traverser la France au bénéfice essentiellement des transporteurs étrangers. Il convient de souligner tout l’apport que peut amener la nouvelle direction Services et Clients de SNCF Réseau. Désormais, et cela constitue une autre nouveauté, des arbitrages sont faits en faveur du fret ferroviaire. »
Un changement de paradigme est, par ailleurs, en train de s’opérer. Jusqu’à présent, la distance de pertinence du transport combiné concernait plutôt des distances supérieures à 600 km. Mais en prolongement d’un nombre toujours plus important de demandes des chargeurs, une distance intermédiaire de 300 à 400 km semble devoir se dessiner. Selon un rapport de l’UIC (Union internationale des chemins de fer), elle existe déjà au sein de l’Union européenne, la distance moyenne étant de 400 km en transport combiné et de l’ordre de 100 km sur les pré– et postacheminements par la route. Toutes ces nouvelles positives ne doivent pas occulter de nombreux points à améliorer. Ainsi en est-il du délicat sujet du 46 t. Avec le passage aux 44 t, le transport combiné a perdu un avantage concurrentiel de 4 t, lequel venait en compensation de la rupture de charge de ce mode de transport. L’ensemble de la profession est donc vent debout pour que cet avantage soit restauré au plus tôt, d’autant que, comme le souligne Patrick Lahaye, « les parcours terminaux réalisés par ces ensembles routiers sont très courts, de l’ordre de 20 à 100 km maximum ».
Au-delà des mesures prolongées et… appréciées comme l’aide au coup de pince (27 M€ par an sur les cinq prochaines années), les pouvoirs publics pourraient, et c’est le sentiment partagé par l’ensemble des acteurs du secteur, faire plus. Comme celui de créer un mécanisme – en sus de celui existant du CEE (certificat d’économie d’énergie) pour l’acquisition de caisses mobiles – qui rapprocherait les coûts du transport combiné de ceux de la route. Des rencontres entre le GNTC et l’Ademe feraient avancer ce dossier, étant entendu que ce dispositif ne devrait pas s’accompagner de la moindre nouvelle taxation. Résoudre cette quadrature du cercle ne sera assurément pas aisée. En attendant, le monde du fret ferroviaire s’est pris en main avec la création toute récente de la coalition Rail Freight Forward et de son non moins emblématique train de Noé. Cette initiative constitue, peut-être, l’amorce de la mise en place d’un lobby européen du fret ferroviaire. Mais il ne saurait être dirigé contre les intérêts de la route, ces deux modes de transport étant plus que jamais complémentaires.