D’un simple rétroviseur cassé au détournement d’un chargement entier de smartphones dernier cri, le poste assurance constitue un important enjeu budgétaire mais aussi stratégique pour les entreprises de transport. Il se décompose en deux parties : l’assurance de la flotte automobile, dont le coût s’élèvait en moyenne en décembre 2017 à 2 337 € par an et par véhicule ; et la marchandise, estimée en moyenne à 354 € par an et par véhicule, selon le Comité national routier (CNR). « Nous observons une petite tendance à la baisse ces dernières années, liée à la réduction de l’accidentologie. Mais il s’agit d’un poste dispersé et variable d’une entreprise à l’autre », explique Olivier Raymond, responsable des statistiques du CNR.
Plus qu’avec les particuliers, la relation entre l’assureur ou le courtier et le transporteur doit donc reposer sur des bases solides afin d’éviter d’être sous-assuré ou de devoir payer des primes trop chères ou inutiles. Pour déterminer le champ de la couverture, l’agent identifie l’ensemble des risques liés à l’activité de l’entreprise et se base sur le montant du capital, la franchise choisie et l’étendue des garanties ainsi que sur la fréquence et la gravité des sinistres passés. « Notre contrat s’élève à 170 000 € à l’année », témoigne Eddy Filippi, responsable gestion et finances pour les Transports Rollin, basés à Guérins dans l’Ain (CA : 5,5 M€). L’entreprise est assurée par MMA mais a choisi de se faire accompagner par un conseiller en assurances indépendant, rémunéré 5 000 € par an. « C’est lui qui, par exemple, nous a conseillé de résilier notre assurance tierce financement. Laquelle couvre la perte financière d’un véhicule à crédit. Nous sommes alors passés à une assurance de flotte globale. Car les taux de financement sont tellement bas qu’en cas de sinistre, les dédommagements couvrent bien souvent les échéances dues. Cela a dégagé un gain financier de 30 000 € sur la prime d’assurance annuelle totale, même si l’on multiplie par trois le montant de nos franchises à 1 500 € par sinistre responsable. »
Les Transports Premat, basés au Plessis-Pâté (91) qui emploie 450 personnes (CA 2017 : 54 M€), ont quant à eux choisi de faire appel à un courtier travaillant pour plusieurs assureurs : l’un pour la flotte et l’autre pour les marchandises. « Cela nous permet d’être plus précis dans l’évaluation des risques et de mieux maîtriser notre prime, assure Loic Néraudau, directeur des systèmes d’information et du service qualité, hygiène, sécurité et environnement (QHSE). Nos contrats couvrent les responsabilités prévues aux contrats-type, mais il arrive de devoir gérer un transport qui sort de ce contrat de base. Dans ce cas nous demandons des cotations et mettons en place des assurances complémentaires. » Ainsi, en cas de sinistre, le chargeur est-il directement indemnisé pour les dommages et les pertes subies, à hauteur de son préjudice réel.
En ce qui concerne les risques, les entreprises s’accordent à distinguer les sinistres récurrents, qui découlent automatiquement de leur activité, des sinistres exceptionnels, bien plus rares mais dont le coût est plus élevé. « Une grande flotte de véhicules et une forte activité impliquent forcément la survenance d’accrochages ou de divers litiges pouvant impacter la marchandise, des colis manquants ou abîmés, par exemple », explique Guillaume Socias, responsable des litiges au sein du groupe Portmann, basé à Sausheim (67), qui compte 750 collaborateurs et affiche un chiffre d’affaires de 140 millions d’euros en 2017. Il existe aussi une sinistralité variable et atypique, en fonction des années. « Les épisodes neigeux de cet hiver ont, par exemple, provoqué de nombreux accidents de camions ou mis certains d’entre eux à l’arrêt », estime Éric Tichet, responsable de la branche transports chez Axa Entreprises. De son côté, l’entreprise STB, basée à Bray-sur-Seine (77), membre de Gaël Transports (CA 2017 : 2,135 M€), spécialisée dans le transport de céréales par bennes, n’a eu encore à déplorer aucun sinistre en 2018. L’année dernière ainsi qu’en 2016, elle a compté six sinistres, surtout des accrochages. « Au sein du groupe, une personne est en charge du poste assurance. Mensuellement, un entretien a lieu entre l’assureur, le P-dg et cette responsable de service sur les dossiers en cours, explique Mélanie Tanguy, responsable du site. Un système qualité est mis en place. Ainsi tous les sinistres font l’objet de l’ouverture d’un dossier. »
Car pour limiter la sinistralité, les entreprises de transport renforcent leur politique de prévention. « C’est une des clés de la réussite de notre métier, assure Loïc Néraudau des Transports Premat. Nous employons cinq formateurs en interne qui suivent chaque conducteur, lors d’une journée de travail, avec son camion habituel, au moins une fois par an. Dès qu’il y a un incident, nous déclenchons d’autres formations. Chaque accident est analysé pour définir s’il est évitable ou non et quels dispositifs mettre en place pour ne pas qu’il se reproduise. Nous sommes toujours en veille pour améliorer la sécurité sur route. En 20 ans, nous avons divisé par deux notre sinistralité. » Les Transports Premat travaillent également en collaboration avec Risk Partenaire, un cabinet de prévention du risque qui intervient régulièrement dans la société. Quant à l’assureur, il n’exige souvent que le minimum obligatoire, comme les habilitations des conducteurs routiers. Mais il peut également sensibiliser son assuré à la prévention des sinistres. Il revient à ce dernier de mettre en place des mesures complémentaires afin que le risque, et donc la prime, soit le plus bas possible. « Plus l’entreprise est sécurisée, moins elle paie », résume Éric Tichet. Les formations sont ainsi bien vues des assureurs mais aussi les systèmes de géolocalisation, les caméras embarquées, les puces sur la marchandise qui sécurisent l’activité.
Mais plus que les simples accrochages, les entreprises craignent la montée de nouveaux risques, comme les cyberattaques, occasionnant des rackets à la donnée via des rançongiciels (Ramsonware). Selon une étude de Vanson Bourne pour Sophos, la moitié des sondés français (48 %) ont indiqué que leur organisation avait été victime d’au moins une attaque par Ransomware l’an passé. Les cybercriminels déploient de nouvelles techniques et ciblent les PME plutôt que les grands groupes, car elles sont souvent moins bien protégées. « Auparavant, c’était le camion qui était détourné à son arrivée dans l’entrepôt. Aujourd’hui, ce sont les lettres de voiture qui sont détournées par les pirates qui font livrer la marchandise à une mauvaise adresse où la marchandise disparaîtra », explique Éric Tichet. À ce titre, Axa France enregistre sur son nouveau produit assurantiel contre les cyberattaques une demande grandissante.
Les assureurs proposent ainsi des contrats visant à couvrir de nouveaux risques, dans la lignée du Règlement général sur la protection des données personnelles (RGPD) qui entrera en vigueur le 25 mai prochain dans toute l’Union européenne. « Notre contrat dédié et labellisé, que nous avons négocié avec quatre assureurs, comprend cinq volets : la responsabilité civile à l’égard des tiers en cas de détournement de données, la couverture des frais de remise en état du système informatique, la protection juridique, le paiement des amendes administratives (qui peuvent atteindre jusqu’à 4 % du CA dans la limite de 20 M€) et les frais d’information des personnes dont les données ont été détournées (coût minimum pour chaque client : 6 euros), décrypte Souhaila Messaoudi, responsable de la branche transports du cabinet de courtage marseillais Auxilia, qui a réalisé 520 000 € de chiffre d’affaires en 2017 et emploie six salariés. Si la souscription à une assurance spécifique permet de garantir les dommages subis ou causés du fait d’une atteinte des systèmes informatiques, la mise en place d’une véritable politique interne de prévention demeure le moyen le plus efficace pour se prémunir de cette menace. « Outre la sécurisation de nos données grâce aux antivirus et pare-feux les plus récents ainsi que la réalisation régulière d’une sauvegarde externalisée, le personnel reçoit des lettres d’information énumérant les techniques de fraude employées. De même une charte du bon usage d’internet a été élaborée », dévoile Guillaume Socias du groupe Portmann.
Du côté d’Axa France, tous les efforts de l’assureur visent à adapter ses produits aux nouvelles problématiques des transporteurs. Ainsi le préjudice écologique a-t-il été ajouté dans ses contrats car l’entrée en vigueur de la nouvelle loi biodiversité en août 2016 instaure désormais une responsabilité environnementale accrue pour les sociétés françaises. « Depuis plusieurs années, nous offrons à nos clients un service en cas de crise environnementale majeure qui accompagne les entreprises en cas de gros sinistres médiatiques, avec une assistance juridique, une assistance en communication, un soutien psychologique et des plateformes téléphoniques », précise Eric Tichet. Axa France a également mis au point un nouveau contrat de protection et d’assistance notamment pour soulager les chefs d’entreprise de leur veille juridique.
Concernant le vol de fret, la France était déjà le pays d’Europe le plus touché avec 2 703 actes recensés en 2016, selon l’Office central de lutte contre la délinquance itinérante (OCLDI) de la gendarmerie nationale. De nouveaux modes opératoires, bien plus sophistiqués que la simple « découpe de bâche », apparaissent. La méthode consiste à s’enregistrer pendant quelques semaines sur des bourses de fret et des plateformes de mise en relation entre transporteurs ou entre transporteurs et chargeurs. Pour cela, les malfaiteurs fournissent de faux documents, créent ou rachètent des TPE existantes. « Sur ce terrain, la prévention est une priorité et une nécessité, argue Guillaume Socias du groupe Portmann. Nous avons mis en place une véritable politique de contrôle dans le choix de nos sous-traitants. Notamment à travers la diffusion en temps réel des sociétés ayant commis un détournement ou encore le rappel constant de procédures simples mais efficaces visant à éliminer le risque. Comme le fait de ne jamais affréter un transporteur s’il a moins de six mois d’inscription sur une bourse ou une plate-forme. Ou encore la vérification sur internet des coordonnées téléphoniques et mails transmis par l’affrété. »