Quel business model ?

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Disruptive, la maintenance prédictive est, et sera à l’origine de nouvelles offres de service après-vente. Avec la formation des réseaux SAV et l’embauche de compétences nouvelles, sa valorisation est appelée à devenir un enjeu concurrentiel stratégique entre les constructeurs de véhicules industriels.

La disponibilité des technologies est une condition nécessaire à la maintenance prédictive mais non suffisante. Pour en révéler le potentiel, il faut que les services après-vente des constructeurs se l’approprient et se structurent en conséquence. Son succès réside par exemple dans la communication des informations entre des techniciens SAV formés sur le terrain et les data scientists chargés d’analyser les données collectées du véhicule. Dans le cas de la solution Mercedes-Benz Uptime, lorsqu’une anomalie est constatée, « ces analyses sont transmises de façon informatique en quelques minutes au service SAV concerné par la maintenance du véhicule avec des plans d’actions recommandés », explique Mehdi Dupuis, responsable après-vente Systèmes télématiques de la marque en France. Formé à cette nouvelle offre depuis 2014, son service SAV contacte alors le transporteur par le portail FleetBoard, mail, sms ou par téléphone et, selon l’urgence de l’intervention détectée, lui propose un rendez-vous. « Lorsqu’un camion est exposé à un risque aigu de panne, notre centre d’assistance à la clientèle (CAC) de Maastricht, aux Pays-Bas, est immédiatement informé. Il alerte le contact spécifié par le transporteur, l’informe du plan d’actions recommandé et des options proposées pour éviter la panne. Si des réparations immédiates sont nécessaires, un arrêt dans un atelier situé le long de l’itinéraire du camion est convenu. Le CAC identifie les centres les mieux placés et vérifie leurs ressources disponibles ainsi que le stock en pièces détachées requises », indique le responsable après-vente. Ce service intervient aussi pour prendre ou informer des mesures correctives face à une négligence ou défaillance dans l’entretien courant du véhicule : pression des pneus, appoint des fluides comme l’AdBlue, régénération du filtre à particules…

Nouvelles compétences et formations

Dans le cas de Mercedes-Benz Uptime, le service est facturé selon un abonnement mensuel de base fixé à 22 € par véhicule. « Lorsqu’il est couplé avec un contrat de maintenance “Complete”, ce tarif est ramené à 12 € et pour les transporteurs déjà utilisateurs de la plateforme FleetBoard Management pour le suivi de la flotte, le coût est abaissé de 1 à 4 € par mois. À défaut, le service est accessible via un portail dédié MB Uptime », précise Mehdi Dupuis. Chez Scania, le déploiement progressif des plans de maintenance dits « flexibles » s’est accompagné d’un programme de formation de son réseau SAV dès 2015 et se poursuit selon les pays. « L’un des enjeux est l’adaptation du réseau à de nouvelles façons de travailler plus proactives et le recrutement de nouvelles compétences sur un marché de l’emploi tendu. Cette pénurie de ressources humaines ralentit le déploiement de nos nouvelles solutions de maintenance », reconnaît Philippe Menot, coordinateur méthode après-vente de la marque en France. Depuis son data center à Södertälje, « l’atelier SAV concerné par l’entretien du véhicule qui a besoin, le cas échéant, d’une intervention est informé et se charge de prévenir son client. Le transporteur n’a plus besoin de se préoccuper des interventions, le moment venu c’est son point Scania qui prend directement contact avec lui. Cette évolution est un changement radical d’approche » précise le coordinateur Scania. Aux quatre modules initiaux (S, M, L, X), la maintenance flexible du constructeur se décline en une trentaine de prestations. Si le transporteur a souscrit un contrat d’entretien, ce service est gratuit à sa demande, autorisant alors la collecte de données sur ses véhicules.

Valorisation du service

Sur demande du client également, le service de maintenance prédictive Uptime Care de Volvo Trucks est proposé gratuitement durant vingt-quatre mois pour tous les véhicules neufs en sus ou non d’un contrat d’entretien. « Dans cette phase de déploiement, l’atelier SAV Volvo Trucks chargé de l’entretien du véhicule et son client sont informés dès qu’une intervention est nécessaire, déclare Laurent d’Arnal, directeur commercial du constructeur en France. Sachant que depuis 2012, toutes nos solutions de maintenance s’appuient sur la connectivité de nos véhicules et la remontée automatique de leurs données, la formation de nos ateliers à ces nouvelles approches remonte à cinq ans déjà. » Dès qu’un transporteur opte pour l’offre Uptime Care, un complément de formation ponctuel sur site est en outre réalisé. Chez Renault Trucks, la formation aux services de maintenance connectée remonte à l’introduction de la gamme Euro 6, soit depuis 2013. « Après le test technique passé avec succès en 2017 et 2018, nous évaluons actuellement la façon de commercialiser et de valoriser notre nouvelle offre de maintenance prédictive que nous présenterons cet été », confie Laurent Javey, directeur après-vente de la marque. Auprès d’une trentaine de transporteurs, cette étape est menée avec la collaboration étroite de ses 310 points SAV répartis sur le territoire. « Le conseil et la proximité seront au cœur de cette nouvelle offre. Dans le monde de la vente de camions comme dans celui de la réparation et de l’entretien, ce sont les hommes qui font la différence quel que soit le degré de technologie utilisé. Les transporteurs ont besoin de services simples, compréhensibles et accessibles sachant que selon leurs activités ou leur taille, leurs attentes en termes de maintenance diffèrent. » Sur ce principe, l’atelier SAV chargé du véhicule piloterait le contact transporteur pour l’alerter d’une anomalie ou d’un risque de panne ou pour l’informer de façon régulière de l’état de ses véhicules. « D’ores et déjà, près de la moitié de notre réseau SAV a reçu une formation sur notre prochaine offre de maintenance prédictive, d’autant que la pénurie de main-d’œuvre impacte nos activités après-vente. » Suivant la logique de son offre MAN Service Care, la future solution de maintenance prédictive de MAN Truck& Bus annoncée également pour cette année serait gratuite pendant les deux premières années sur demande du transporteur.

Bénéfices pour les points SAV

De l’avis de tous les constructeurs, l’évolution vers une maintenance prédictive suppose un reporting précis en matière de suivi et d’analyse des données. Elle exige du coup des compétences à la fois technique, informatiques mais aussi commerciales, afin de relancer ou capter le client pour lui indiquer les recommandations émises par le système ou juger de l’urgence de la réparation. Au sein des ateliers, les approches prédictives offrent par ailleurs l’opportunité d’une meilleure organisation par l’optimisation des plannings en abaissant les interventions non programmées, l’anticipation des commandes de pièces ou la combinaison d’opérations. Deux ans après l’introduction de Mercedes-Benz Uptime, ces résultats sont probants, confirme Mehdi Dupuis via « une planification nettement améliorée des visites en atelier dont les temps de diagnostic sont divisés au moins par trois et une disponibilité accrue des véhicules ». Sur une période de cinq ans, la maintenance prédictive permettrait de supprimer au moins deux entretiens en atelier selon Scania. Pour tous les constructeurs, cette nouvelle approche de l’entretien des véhicules devrait augmenter le taux des contrats de maintenance associés aux ventes et fidéliser leur clientèle en après-vente. Reste encore à préciser sous quelle forme la maintenance prédictive aidera et sera proposée aux ateliers intégrés et garages indépendants… De nouveaux enjeux réglementaires et organisationnels apparaissent aussi avec elle, liés notamment au partage et à la sécurité des données collectées sur les véhicules et, indirectement, leurs conducteurs. Ses procédures doivent se conformer au règlement général sur la protection des données en vigueur depuis le 25 mai 2018 dans toute l’Union européenne. S’appliquant aussi aux transporteurs routiers, le RGPD vise à renforcer la protection des données personnelles traitées par les entreprises et distingue plusieurs types d’informations dont celles dites « sensibles ». Lesquelles recouvrent par exemple « les prises de décision automatisées, la surveillance systématique de personnes » ou encore, « le croisement d’ensembles de données, les usages innovants et l’application de nouvelles technologies ». Lorsqu’au moins deux des neuf critères qui déterminent si un traitement est sensible sont remplis, des procédures spécifiques dont une analyse d’impact sont à respecter. Tel est le cas des traitements induits par la maintenance prédictive. En matière de sécurisation, le règlement impose par exemple lorsque les données sont, de manière accidentelle ou illicite, détruites, perdues, altérées, divulguées ou qu’un accès non autorisé a été constaté, de prévenir la Cnil sous soixante-douze heures. Loin d’être anodines, les sanctions « plafonds » prévues en cas d’irrespect du RGPD vont jusqu’à 20 M€ ou 4 % du chiffre d’affaires annuel de l’exercice précédent ! Pour collecter des informations à partir des véhicules, les constructeurs et/ou leurs réseaux SAV doivent enfin être autorisés par leur client. Dans la maintenance prédictive, cette autorisation prend la forme d’un Digital Management Agreement. À faire signer par le transporteur (censé informer ses conducteurs concernés et leur demander leur autorisation), ce « DMA » précise les conditions générales d’utilisation des services télématiques ainsi que celles sur le traitement des données à caractère personnel et les mesures prises par le constructeur pour les protéger. Dans le cas de Volvo Trucks, ce document dont l’émargement peut être dématérialisé compte neuf pages et une centaine d’items !

Montée en compétences numériques

Conscients des enjeux liés à la transformation numérique qui impacte les services aux véhicules motorisés, l’Association nationale pour la formation automobile (Anfa) et ses partenaires* sont à l’origine d’un projet pédagogique dans le cadre de l’action « Partenariat pour la formation professionnelle et l’emploi » du Programme d’investissements d’avenir (PIA) labellisé par l’Anfa. Baptisé « Développer les compétences numériques au service de l’automobile », il vise à réunir les conditions favorables à la montée en compétences des professionnels autour de deux objectifs : « créer une plateforme de dialogue entre industrie et service autour de l’innovation réunissant les différents acteurs du secteur (constructeurs, équipementiers, concessions, garagistes indépendants et acteurs de la formation professionnelle initiale et continue), concevoir des programmes de formation permettant une diffusion de l’innovation intégrant les avancées technologiques générées par la transition numérique ». Défini fin 2017, son périmètre couvre plusieurs chantiers dont « l’après-vente connectée » des véhicules industriels, en première et seconde montes, et l’arrivée à moyen terme des véhicules autonomes. Après l’étude et la recherche des besoins en formation initiale et continue (en présentiel ou à distance) ainsi que la rédaction des cahiers des charges, l’année 2019 sera consacrée à la définition des contenus et à la formation des formateurs avant une phase d’expérimentation. De juin 2019 à février 2020, ces dernières seront menées dans trois Régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Bretagne et Île-de-France) avant un déploiement sur l’ensemble du territoire dès 2022. Ces travaux doivent aboutir à l’adaptation des référentiels diplômes, titres et CQP de la branche.

Quid de l’atelier intégré ?

Selon le Groupement interprofessionnel de l’automobile (Gipa) et l’Association nationale pour la formation automobile (Anfa), la gestion de l’entretien des flottes déléguée pour le compte des transporteurs progresse. Cette évolution est liée « au développement exponentiel des technologies sur les véhicules, qui rendent les outils de diagnostic et les habilitations électriques et électroniques des personnels incontournables », selon le Gipa et l’Anfa. Sur un marché aux marges tendues et « face à des pannes moins fréquentes mais plus complexes, certains transporteurs cherchent à réduire les ressources financières affectées à leur atelier intégré. En 2016, seuls 3 % de ces derniers étaient équipés d’une valise constructeur, et 12 % d’une valise de diagnostic multimarques », indique l’Anfa. Les réseaux constructeurs traiteraient aujourd’hui plus de la moitié des « entrées atelier » contre 10 % pour les ateliers intégrés limités de plus en plus à des opérations courantes : vidange, graissage, entretien des systèmes de freinage… Le solde des entrées atelier se ventile entre les réseaux de pneumaticiens et les garages indépendants pour les interventions sur tachygraphe notamment.

* Partenaires industriels : Actia Automotive, Autodistribution, Robert Bosch France, Electroclim, GETE Automobile, Bernier, Bodemer, Jean Lain Automobiles, Mercedes-Benz Trucks France, Olympic Garage, Périssoud Automobiles, PFA (Plateforme de la filière automobile), PGA Motors, PSA Automobiles, Renault. S’ajoutent 9 établissements de formation.

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