Certes, tout est question d’échelle et de contexte. La multinationale française qui achète une entreprise au Brésil n’adoptera pas la même stratégie d’intégration des salariés que la PME de transports bretonne qui acquiert un confrère de Saône-et-Loire. Restent les mêmes questions de fond : comment transmettre sa culture d’entreprise aux nouvelles équipes en respectant leurs habitudes ? Faut-il reprendre la culture de A ? Celle de B ? Fusionner les deux en une nouvelle ?
« À l’international, il s’agira d’abord de s’initier à la culture du pays concerné, relève Jean-Luc Durrieu, responsable fusions et acquisitions dans le groupe de conseil en RH Mercer. Au national, les différences sont plus subtiles et sensibles. Il faudra s’intéresser à la façon dont le travail est fait, aux modes de décision et de communication, aux attendus d’un travail, aux attentes de la hiérarchie en termes d’autonomie. »
Le consultant dénombre trois phases à ne pas manquer dans une opération : une analyse en amont, une préparation de l’événement du rachat juste avant le jour J puis, sur le long cours, l’intégration elle-même jusqu’au moment où l’on ne distingue plus les acquéreurs des acquis. « Sachant, ajoute-t-il, qu’il existe des outils pour analyser la culture, sous couvert d’anonymat, des entretiens avec les dirigeants au focus group qui rassemble une douzaine de personnes de différents services pour échanger sur leurs valeurs et la culture d’entreprise. Ensuite, on peut utiliser des leviers qui font avancer l’intégration : rémunération plus attractive, bien-être, perspectives de carrière… »
Aux Transports de Savoie, à Chambéry (400 salariés), le P-dg Philippe Jeanjean a mené quatre projets d’intégration depuis 2011, tant par acquisition des titres de société que rachat à la barre d’un tribunal : « Chaque dossier se distingue des autres. L’intégration est un sujet délicat, parce qu’il faut trouver le bon équilibre entre le transfert de nos process et de notre culture et le respect d’un certain degré d’autonomie des équipes intégrées. Pas facile de trouver le bon curseur… »
Pas facile, mais « essentiel », ajoute le dirigeant, « ce sont des hommes qu’on intègre ». Le groupe y consacre beaucoup de temps et le dg, en première ligne avec Philippe Jeanjean, est aussi l’ancien DRH : il gère des réunions collectives et des entretiens individuels avec les nouveaux salariés. Le P-dg prône la clarté de l’information auprès du nouveau personnel, « pour éviter les non-dits et incompréhensions qui risquent de se transformer en sujets de friction. Il est capital, par exemple de répondre aux questions des conducteurs : est-ce que mon tracteur me sera affecté ? Vais-je changer d’activité ? Pourquoi installer de l’informatique embarquée ? Toutes les règles d’organisation doivent être annoncées assez tôt pour montrer qu’on n’est pas dans la défiance. Et se donner un cap de mise en place, à six mois ou un an ».
Malgré tout, les résistances existent, comme inhérentes au processus de croissance externe. Il n’est pas rare qu’une petite partie du personnel quitte l’entreprise après le rachat. Mais, estime Philippe Jeanjean, « il faut trouver des chemins intermédiaires, ne pas brusquer les organisations pour faire comprendre les choses dans le temps […] La « culture de TDS » ? « Nos prestations sont relativement généralistes, avec deux clés de différenciation, le souci de l’environnement, de la sécurité et un système d’information très personnalisé pour nos clients. » Au final, la croissance externe aurait apporté environ 15 M€ en croissance à TDS (pour un CA 2017 de 50 M€) et, ajoute le P-dg, « des compétences nouvelles – logistique, fonds mouvants, frigo – qui comptent de plus en plus dans le développement ». Pour Alain-Stéphane Oberson, président des transports éponymes, la croissance externe apporte autant de croissance qu’un « enrichissement des cultures ». « Mais il faut les apprivoiser, souligne le dirigeant. Sinon, on risque de perdre de l’énergie et de l’expérience. Ça s’apprend ! Pour notre premier rachat, nous avions laissé beaucoup d’indépendance à l’équipe dirigeante en place et nous avons dû rapatrier la direction à notre siège, à Moirans, l’an dernier. » Face à cette complexité, Alain-Stéphane Oberson estime qu’« il importe de positionner très tôt un responsable en interne, un homme ou une femme-clé. Et expliquer très tôt aux équipes, les intentions et les objectifs ».