Malgré les tensions sur le marché, Fast-road, qui compte 130 salariés à travers ses différentes filiales, ne rencontre aucune difficulté de recrutement. L’entreprise adaptée (EA) Fastroad, la première dans le secteur du transport, a été créée en 2010 par trois associés issus de la filière, dont deux d’entre eux connaissaient des problématiques de handicap dans leur entourage familial. Pour intégrer Fastroad, un seul critère s’avère nécessaire : détenir le permis de conduire depuis au moins deux ans. « À nous ensuite de former, d’informer de manière à accompagner le salarié sur son parcours d’intégration dans l’entreprise, précise Manuel Bonnet, directeur et cofondateur de la société. Une fois par mois, nous rencontrons le salarié, et une fois par an, il a son entretien individuel d’évaluation. » L’agrément d’État étant octroyé par la Direccte de la région, Fastroad a dû créer une autre entreprise pour l’obtenir également en province, lorsqu’elle a souhaité se développer à Strasbourg et Mulhouse. « Nous dépendons donc d’un autre groupe, un bureau d’étude et de développement, qui est un service support pour l’ensemble des Fastroad sur le territoire national », précise Manuel Bonnet. Outre la franchise de Strasbourg et Mulhouse, l’entreprise adaptée est présente à Toulouse, Lyon, Nice ainsi qu’à Clermont-Ferrand, et planifie une nouvelle création en Aquitaine.
Aujourd’hui, les personnes en situation de handicap représentent 94 % de l’effectif de production de l’entreprise et 85 % de l’effectif global (avec les services supports). Une entreprise adaptée devait, jusqu’à janvier, être composée à 80 % de personnes handicapées dans la production. La loi avenir professionnel a revu cette proportion à la baisse, avec un effectif général de 55 % de personnes en situation de handicap au minimum et 75 % au maximum. « Nous dépassons le plafond, indique Manuel Bonnet. Nous n’aurons évidemment pas de pénalité à payer. En revanche, nous ne percevrons pas de subventions sur les 10 % d’excédents. » Ces subventions visent à compenser les surcoûts liés à l’emploi de personnes handicapées à efficience réduite. Au départ uniquement spécialisée dans le transport de marchandises, l’entreprise s’est également tournée vers le transport de personnes, qui représente 60 % de son chiffre d’affaires. « Certains de nos chauffeurs s’avèrent polyvalents. Ils peuvent par exemple détenir une licence marchandise comme une licence voyageur ou une inscription au registre VTC. »
La plupart des handicaps du personnel de Fastroad sont physiques, comme des maux de dos ou des débuts de myopathie. Des investissements s’avèrent parfois nécessaires en fonction de la pathologie pour adapter le poste de travail, autant dans le véhicule – planchers bas ou hauts, boîte automatique… – que dans l’exploitation – bureaux ou fauteuils adaptés. Par ailleurs, certains salariés ont été exclus du monde du travail pendant un certain temps. Dans ce cadre-là, des réorganisations de travail, comme une adaptation du temps de travail, ont lieu très fréquemment selon la pathologie du candidat et de ses examens médicaux. « Ce n’est plus le candidat qui s’adapte à l’entreprise mais l’entreprise qui s’adapte au salarié, résume Manuel Bonnet. Le style de management doit aussi s’adapter. » En tant qu’EA, Fastroad met l’accent sur la formation, et des modules ont été développés en interne sur les troubles musculo-squelettiques au volant, l’écoconduite ou encore la prévention des risques routiers. Via les deux garages acquis par l’EA en 2017 et 2018 sous la franchise Speedy, des passerelles de formation peuvent être organisées pour les salariés entre le métier de chauffeur et celui de mécanicien automobile. La société forme aussi par des stages afin de donner envie à des jeunes de s’intégrer via un métier manuel. « Nous avons reçu une personne autiste en stage de mécanique, rapporte Manuel Bonnet. La formation s’est très bien passée et nous allons rééditer ce type d’expérience. » Le développement des compétences fait partie de la stratégie de la société. « La grande majorité des salariés sont des conducteurs, indique le codirigeant. Certains ont évolué vers l’exploitation située à Montreuil. Et nous avons un premier conducteur qui est devenu responsable adjoint de l’exploitation. » Quatre conducteurs sont également devenus formateurs au sein du groupe.
Jusqu’à récemment, les salariés conduisaient uniquement des VUL. Un récent partenariat de cotraitance conclu avec le groupe Paprec, spécialisé dans le recyclage, a permis à l’entreprise une innovation sociale en intégrant trois chauffeurs poids lourd pour réaliser des collectes en Île-de-France. Autre évolution proposée par l’EA, la possibilité de se mettre à son compte. « En 2014, un salarié fortement motivé souhaitait créer son entreprise et nous a demandé si nous pouvions l’accompagner, indique Manuel Bonnet. Nous avons alors développé le réseau Clik-Road, pour donner la possibilité de se mettre à son compte. » Proposé aux anciens salariés Fastroad ainsi qu’aux personnes les plus volontaires, ce parcours d’accompagnement permet aux bénéficiaires d’accéder au conseil en création d’entreprise d’un cabinet d’expertise comptable, à un banquier pour financer son investissement mais également aux clients de Fastroad. « Le premier salarié qui en a bénéficié emploie aujourd’hui sept personnes et peut intervenir en sous-traitance par rapport à notre activité », souligne le directeur.
Alors que 500 000 personnes en situation de handicap sont inscrites à Pôle emploi, la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, a fait part le 26 avril du souhait du gouvernement de développer les entreprises adaptées pour passer de 40 000 à 80 000 places d’ici à 2022. « Pour les autres entreprises, embaucher une personne implique d’obtenir directement la productivité nécessaire pour accompagner les clients, estime Manuel Bonnet. On peut donc comprendre que ce soit plus compliqué pour elles d’embaucher des personnes qui ont besoin d’un accompagnement. Les entreprises adaptées atteignent environ 63 % de la productivité d’une entreprise classique. Notre démarche est tout autre, nous avons le temps de former. » Et si les autres entreprises peinent à trouver des candidats, ce n’est pas le cas de Fastroad. « Pourquoi dans ce cas ne pas cotraiter avec Fastroad ?, suggère Manuel Bonnet. D’autant que leur pénalité Agefiph sera réduite. » Avec la loi Avenir professionnel, les sous-traitances avec les EA ne peuvent plus être prises en compte lors du calcul des effectifs. En revanche, les dépenses engendrées peuvent être déduites de la côtisation à verser. Manuel Bonnet est membre du conseil d’administration de l’Union nationale des entreprises adaptées (Unea), composée de 800 entreprises et 35 000 salariés. À ce titre, il participe à l’élaboration de la réglementation sur le sujet, notamment avec la loi Avenir professionnel. Laquelle prévoyait sur la période 2018-2019 l’expérimentation d’un contrat de travail dans les EA, le CDD tremplin.
Fastroad a mis en place ce contrat : « Nous créons l’emploi, accompagnons, professionnalisons afin qu’au bout de vingt-quatre mois maximum, la personne soit prête à rejoindre le monde “classique” de l’emploi. » Fastroad a créé fin 2017 un club RH inclusif, spécialisé dans les entreprises adaptées, qui intervient sur l’ensemble du territoire dans différents secteurs. « Il rassemble des grands comptes, des entreprises adaptées, des personnes impliquées. On affine des démarches, notamment liées aux informations et à la professionnalisation. »