La solitude du dirigeant : bien que le phénomène soit connu depuis longtemps, 45 % des patrons de PME et d’ETI se sentent, encore aujourd’hui, isolés, assure une étude de BPI France(1). Ses auteurs rappellent le « caractère anormal » de ce ressenti, qui signifie « être vulnérable ». Il naît d’un isolement dans les prises de décision, dans une difficulté à recruter pour (bien) s’entourer, et dans l’imprévisibilité de l’environnement concurrentiel, économique et réglementaire. Pour y faire face, 39 % des dirigeants ont recours à des conseils extérieurs, dont l’apport est triple : un regard neuf, un discours de vérité et des modèles éprouvés. Dans le TRM, cette culture du conseil se développe récemment, selon Jean-Christian Vialelles, consultant spécialisé dans le transport (par ailleurs délégué régional TLF Sud-Est) : « La nouvelle génération de transporteurs – ceux qui ont entre 35 et 45 ans – acceptent cette aide extérieure, voire en sont demandeurs », assure-t-il.
Celle-ci peut intervenir lors d’un événement imprévu. « Lorsque mon père est décédé, il y a dix ans, se souvient Gregory Piegay, président de Piegay Frères (Rhône), nous, les nouveaux dirigeants, avons fait appel à un consultant. La transmission ayant été plus rapide que prévu, nous manquions d’expérience ». Ce consultant était déjà intervenu auparavant pour aider à préparer la répartition du capital entre frères, cousins et cousines. « Il était intéressant d’avoir une tierce personne, commente Gregory Piegay, car certaines choses n’étaient pas simples à se dire entre nous ». Auprès des jeunes dirigeants, le consultant est venu « en appui pour quelques rappels à l’ordre ou aux règles, pour réorganiser les services, liste Gregory Piegay. Mais il nous a aussi beaucoup aidés sur les achats, en nous accompagnant ou en renégociant des contrats. Il n’intervenait pas comme co-dirigeant, mais en nous apprenant à voler de nos propres ailes ». De nombreuses autres occasions peuvent justifier l’aide d’un cabinet conseil. « Le nez dans le guidon, les transporteurs ont du mal à anticiper, note Jean-Christian Vialelles. Aussi, le besoin émerge souvent quand il y a un problème, comme un contrôle Dreal ou Urssaf, un contentieux… Ou en cas de besoin ponctuel d’un audit commercial ou de la sous-traitance ». Mais cela peut aussi être en phase de développement : il peut alors s’agir d’une politique tarifaire à construire, d’une organisation hiérarchique à revoir, d’un développement à anticiper, etc. Selon BPI, le recours à un conseil en organisation et en stratégie diminue particulièrement le sentiment de solitude des dirigeants, car c’est une aide qui leur est dédiée. Parfois, le besoin est très ciblé. Ce peut être la nécessité d’élaborer et mettre en oeuvre une stratégie de communication autour d’une nouvelle prestation, un changement de nom, etc. « Faire alors appel à un expert en relations presse permet de gagner du temps, explique Silviane Dubail, attachée de presse spécialisée dans le transport. Les entreprises méconnaissent encore ce métier et sa valeur ajoutée, d’où leur crainte de communiquer. Pourtant, pour un transporteur basé en région, par exemple, organiser une conférence de presse sur site a été le meilleur moyen de faire connaître rapidement sa nouvelle implantation en région parisienne ». Autre exemple : la vérification des déclarations foncières, pour laquelle Emmanuelle Blanchet, dirigeante de la société éponyme (également présidente du groupement Flo), n’hésite pas à faire appel à un cabinet spécialisé. « Il vérifie s’il n’y a pas d’erreur dans nos calculs, précise-t-elle. Certaines charges sont tellement complexes, que le chef d’entreprise n’est pas en mesure de les calculer et les contrôler ». En matière d’informatique également, le jeu en vaut la chandelle. « La réussite de l’implémentation d’un logiciel de TMS tient à l’étude qui est faite en amont, assure Didier Aivazoff, co-gérant du groupe Smart Log, dont l’une des sociétés propose ce type de prestations. Seuls un bon ciblage de l’organisation et une rédaction précise du cahier des charges permettent une bonne compréhension par l’éditeur du besoin de l’entreprise et un bon paramétrage ». Selon lui, un projet TMS se prépare « au moins un an avant et l’investissement est négligeable par rapport au risque d’avoir un logiciel qui ne fonctionne pas : problèmes techniques, service clients dégradé, salariés déçus et stressés… ». De même en est-il lorsqu’un transporteur lance une activité logistique : « Bien souvent, cela vient d’une demande d’un client, constate Didier Aivazoff, dont le groupe intervient aussi sur ce sujet. Mais on ne s’improvise pas logisticien du jour au lendemain. Ce ne sont pas les mêmes leviers que dans le transport ». Un expert logistique peut donc travailler en amont avec le dirigeant sur l’organisation à mettre en place, l’accompagner sur un premier dossier, puis l’aider à déterminer des indicateurs de performance, voire l’assister dans le recrutement d’un responsable logistique.
En effet, le recrutement, mais aussi nombre d’autres sujets RH, nécessitent le recours à des spécialistes. Avec deux objectifs : la limitation d’erreurs coûteuses et l’optimisation financière. Emmanuelle Blanchet ou encore Arnaud Froment, DRH du groupe BH Développement, par exemple, n’hésitent pas à faire pratiquer des audits de leurs taux d’accidents du travail. Ce dernier s’est aussi fait aider pour créer un livret d’accueil des nouveaux salariés, pour élaborer l’accord sur l’égalité femmes-hommes au travail, pour le calcul de l’allègement Fillon ou encore pour constituer la base de données économiques et sociales. « Nous faisons de la traction, une activité où les marges sont faibles, commente Arnaud Froment. Avec des amendes qui pourraient s’élever à 1 % de la masse salariale, nous avons intérêt à sécuriser l’entreprise ! ».
Ce DRH préfère avoir des aides extérieures ponctuelles et ciblées plutôt qu’une, globale, « pour garder la liberté de renouveler les contrats ou pas », explique-t-il. Mais pour Sébastien Huyghe, gérant de STS, société spécialisée dans la paie transport, il s’agit d’une hérésie. Si certains de ses clients se contentent d’un conseil trimestriel, la plupart ont externalisé leur paie auprès de lui. « De nombreux cabinets d’audit proposent une intervention “one shot”, mais c’est comme si, au lieu de confier sa voiture à un garagiste, on la donnait à réparer à un spécialiste du pneu, puis à un autre pour le carburateur, etc. Il y a dix ans, cette manière de faire pour la paie transport pouvait être efficace. Mais à présent, du fait de l’inflation et de la complexification de la réglementation, ce n’est plus le cas ». Cette prestation globale permet au DRH, selon Sébastien Huyghe, de « se centrer sur son coeur de métier » et apporte des économies : « En reprenant le process de recueil des données depuis le chronotachygraphe, et en associant gestion des temps et paie, on fait gagner une semaine de saisie à une entreprise de 100 personnes et on lui évite quelque 150 000 euros de redressement, assure-t-il. Le gain moyen est de 7 % de la masse salariale ».
Pour les aspects juridiques aussi, conseil ponctuel et accompagnement au long cours sont possibles. Ainsi, pour des questions du quotidien (litiges à réception, protocoles de sécurité, opérations de cabotage…), Jean-Paul Meyronneinc(2), enseignant en filières universitaires transport et consultant, a monté une offre de « micro-conseil » payé à l’heure. « C’est une sorte de SVP sur abonnement, explique-t-il. Les SAV des transporteurs sont débordés et n’ont pas toujours la formation suffisante. Je leur apporte les réponses juridiques mais surtout la pratique : envoyer un courrier recommandé à un client, par exemple, peut être conseillé par la loi mais plus compliqué commercialement ! ». Certaines situations, cependant, nécessitent le recours à un avocat : assignation en justice, projet de développement, croissance externe, procédure devant le tribunal de commerce… Même lorsqu’il existe un service juridique interne, l’aide d’un avocat est utile en cas de contentieux ou lorsque le juriste « maison » est « un peu hors de sa zone de compétences, explique Sophie Déchelette-Roy, associée du cabinet Archibald Avocats. Certaines entreprises ont même le réflexe de faire valider tous leurs contrats. Dans un contrat de sous-traitance, par exemple, on vérifie toutes les clauses pour négocier un équilibre des relations contractuelles ». Enfin, la récurrence du recours à l’avocat est souvent liée à l’obligation d’approuver les comptes en assemblée générale annuelle. De la même façon, c’est l’obligation de déclarer un conseil en sécurité auprès de la Dreal en cas d’agrément ADR, qui conduit certains transporteurs à déléguer cette mission à un cabinet extérieur. Celui-ci assure les visites annuelles des sites et rédige les rapports d’audits et un rapport global. « Nous intervenons aussi parfois pour apporter une vision critique, explique Christian Boucard, co-gérant d’ADR Conseils en sécurité. La question peut être, par exemple : quelle faisabilité et quelles contraintes pour livrer deux palettes de peinture conditionnée en bidons de 5 l de Paris au Gabon ? Ou encore : comment intégrer le risque radiologique au Document de prévention des risques professionnels ?… Certes, la prestation d’un cabinet a un coût, mais une personne recrutée spécialement aussi : elle doit être formée pour voir son agrément renouvelé, tous les cinq ans, et elle peut quitter l’entreprise ». Dans un contexte de plus en plus complexe et mouvant, le maître-mot reste bien : fiabiliser.
des patrons de PME et d’ETI se sentent, encore aujourd’hui, isolés, assure une étude de BPI France(1).
(1) Vaincre les solitudes du dirigeant. BPI France Le Lab. Octobre 2016.
(2) ancien délégué général de l’UNTF