Ownest et Visible.digital représentent des start-ups qui ont fait le choix de se spécialiser dans la supplychain. Quant-à Tilkal, elle se veut plus généraliste. Clément Bergé-Lefranc, CEO et co-fondateur de la première, revient d’entrée de jeu sur la définition de la blockchain : « Il s’agit d’abord d’un outil de sécurisation de transactions construit autour d’un registre qui permet de distribuer et de partager des données ». En ce qui concerne Ownest, il déclare : « Nous proposons un outil de traçabilité des responsabilités externes et internes sur la chaîne logistique sans avoir besoin d’un déploiement physique » ; et d’insister sur le rôle des différents protagonistes : « Nos clients sont principalement des industriels ou d’importants distributeurs comme Carrefour (voir encadré p. 34) mais les utilisateurs de nos solutions restent nombreux parmi les transporteurs et les logisticiens. Ceux-ci, à tous les niveaux d’une entreprise, sont moteurs pour la réussite d’un déploiement. Un conducteur a ainsi une fonction aussi importante que n’importe quel autre acteur de la chaîne ». Selon le co-fondateur de Ownest, la technologie blockchain présente aussi l’avantage de déresponsabiliser les transporteurs : « On a pris l’habitude, lorsque qu’un problème survient, de se retourner vers les entreprises de TRM et vers les conducteurs en particulier. La technologie blockchain permet de mieux identifier les responsabilités de chacun, de valoriser les meilleurs acteurs ». Concrètement, la mise en place d’une blockchain passe par trois grandes étapes : « Le contact peut être établi soit par téléphone soit à l’occasion d’un rendez-vous physique. Ce premier jalon permet d’identifier la typologie des flux concernés. Dans un deuxième temps, il s’agit d’évaluer le nombre de transferts de responsabilité du flux considéré. Il est ensuite possible d’accéder au logiciel et de télécharger gratuitement notre application, sachant que notre rémunération est fondée sur un abonnement pour un nombre de transferts donné. L’ensemble du processus nécessite un maximum de trois semaines », explique le CEO. Clément Bergé-Lefranc estime en outre que l’accès à la technologie blockchain est égal pour l’ensemble des sociétés : « Cette technologie a maintenant plus de dix ans d’existence. Elle est très fiable. Son fonctionnement opérationnel n’a pas besoin d’être connu de l’utilisateur qui, grâce à elle, sera en mesure de reprendre le contrôle de ses activités tout en limitant au maximum les conflits potentiels ». Nuançant son propos, il estime toutefois que « le déploiement est plus rapide dans les sociétés de grande taille ».
Chez l’éditeur de logiciel Tilkal, on partage ce point de vue. « L’initiative d’un déploiement de la technologie blockchain revient plutôt, à l’heure actuelle, à de très grandes entreprises même si, de fait, d’innombrables entreprises de toute taille seront impliquées, y compris parfois de très petites », observe Matthieu Hug, son CEO. Pour celui-ci, l’introduction des chaînes de blocs s’inscrit dans une tendance de fond qui vise à assurer tout consommateur final de la traçabilité effective d’un produit : « L’objectif est double : premièrement fournir de la transparence tout au long de la chaîne logistique, deuxièmement détecter tout type de dysfonctionnement, qu’il s’agisse d’une erreur, d’une contrefaçon ou encore d’un vol ». Le CEO de Tilkal tient à insister sur la nature des informations collectées : « Un discours convenu explique souvent qu’une fois une information écrite, elle ne peut plus être modifiée et qu’il est donc nécessaire de collecter d’emblée des données fiables et sûres. Notre optique n’est pas celle-ci. Nous considérons que les anomalies font intégralement partie de l’existant et qu’une donnée fausse constitue en tant que telle une information et, qu’à ce titre, elle est aussi importante qu’une vraie. Il ne faut donc surtout pas chercher à éliminer les données fausses voire incohérentes mais bien à s’emparer de l’ensemble des informations déclarées qui sont le plus souvent fragmentées ou disséminées. Il revient à l’analyse et à l’investigation d’interpréter toutes les données et, le cas échéant, de les modifier ». Sans doute est-ce pour cette raison que Mathieu Hug table sur une durée de mise en place plus longue : « Un déploiement réaliste exige entre quatre et six mois. La mise en œuvre technique est certes rapide, voire très rapide, ne demandant dans certains cas qu’une demi-journée. L’instauration de règles, d’une gouvernance ainsi que l’analyse du métier requièrent en revanche davantage de temps ».
Fondée en décembre 2016, la start-up visible. digital affiche, comme l’explique Patrice Ravaud, vice president value co-creation, la volonté claire de « rééquilibrer les relations entre les acteurs du transport et de la logistique », notamment dans le domaine de l’alimentation puisque l’entreprise s’est constituée à partir d’enjeux liés à la fois au gâchis alimentaire et à la rupture de la chaîne du froid. L’ensemble de l’équipe de direction semble empreinte de la mentalité propre aux start-up. Gilles Hueber, chief customer officer, avance : « Notre objectif vise à challenger le statu quo, à bousculer les habitudes. Nous nous inscrivons dans le mouvement de la frugalité. Parce que énormément d’informations sont déjà disponibles, il est primordial de les croiser, ce qui explique que nous procédions à partir de l’existant ». Patrice Ravaud poursuit : « En proposant des solutions qui utilisent une architecture cloud conteneurisée, nous privilégions toujours la mise en relation de systèmes déjà opérationnels et nous appuyons, pour connecter ensemble de nouvelles fonctionnalités telle que la livraison et la facturation, sur les solutions des leaders du marché ». Par rapport aux sociétés Ownest et Tilkal, les représentants de visible.digital précisent qu’il est tout à fait envisageable d’améliorer la transparence et le transfert de responsabilités à l’intérieur d’une même entreprise : « Si nous ambitionnons d’assurer la traçabilité d’un flux du producteur au consommateur final, il est concevable de mettre en place des solutions fondées sur la technologie blockchain en interne. Typiquement, pour une société de TRM, il est possible de savoir à l’instant “t” de manière impartiale à quel conducteur, à quel tracteur, à quelle remorque ou à quel voyage est associée telle marchandise est possible, ce que ne permet absolument pas l’usage d’outils de gestion plus traditionnels comme les tableaux croisés dynamiques qui sont, qui plus est, modifiables », relève Patrice Ravaud. Dès lors que le schéma implique des entités indépendantes, « le modèle collaboratif devient incontournable parce qu’il faut absolument éviter que la solution soit imposée », remarque Sébastien Lemoine, CEO de visible.digital. D’un point de vue tarifaire, ce dernier assure que l’abonnement mensuel « est entre trois à quatre fois moins coûteux qu’une solution télématique traditionnelle ». Celui-ci est calculé « en fonction d’un volume de transfert effectif et d’un potentiel de croissance à partir d’une base tarifaire identique, quelle que soit la taille du client ou de son secteur d’activité ».