Peut-on encore croire au fer ?

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La réforme ferroviaire va bon train avec le gouvernement tandis que les cheminots promettent une grève suivie. L’actualité risque de porter préjudice à un secteur déjà fragilisé par un manque de moyens, en particulier dans les infrastructures.

Alerte dans le transport de marchandises sur rail. Avec 32,6 Mds de t-km en 2016, il dévisse de 4,9 % après une hausse de 5,1 % en 2015. Dans une récente étude, le Commissariat général au développement durable dresse un bilan plutôt morose de la filière. Le transport combiné a même chuté de 16,6 % en t-km, ne réalisant que 7,5 Md de t-km contre plus de 9 Md l’année précédente. Dans le même temps, les tonnages en transport national enregistrent également un recul de 6,2 % après une croissance de 5,2 % en 2015. Alors à quoi imputer les mauvais résultats et la diminution régulière du fret ferroviaire, malgré l’ouverture à la concurrence en 2006 ? Aux intempéries et aux grèves de la SNCF de juin 2016 ? À une qualité de service insatisfaisante ou à des chargeurs peu confiants dans ce mode ? Ou tout simplement à un manque de soutien des pouvoirs publics ?

Il a été répété maintes fois que la désindustrialisation de la France, depuis trois décennies, a accentué la chute globale des volumes pour le secteur. Quant à la fin du monopole de l’opérateur historique sur le fret, elle n’a fait que diviser les parts du gâteau. Environ une vingtaine d’entreprises privées (telles que Europorte, T3M, VFLI (filiale de SNCF) et Euro Cargo Rail) circulent aujourd’hui sur le réseau. Elles ont pris entre 30 et 40 % de parts de marché à Fret SNCF.

Des sillons trop chers

Les gouvernements des trois derniers quinquennats ont tous tenté de marquer au fer leur volonté de relancer la filière : « engagement national pour le Fret ferroviaire » en 2009 (avec 7 Md€ d’investissement public jusqu’en 2020) en complément du Grenelle de l’Environnement, réforme du système ferroviaire en 2014 destinée à stabiliser la dette et à redonner un rôle à l’État stratège, et enfin présentation d’ici à l’été d’un nouveau projet de réforme à l’Assemblée nationale. Certes, ces plans ont permis plusieurs actions comme la création de l’Araf, devenue Arafer (Autorité de régulation des activités ferroviaire et routière), celle d’Opérateurs Ferroviaires de Proximité (OFP), permis également le renforcement des chères autoroutes ferroviaires (voir p. 46), l’amélioration de dessertes ferroviaires dans les grands ports français, d’un soutien public de l’ordre de 150 M€ annoncé en 2016, dont 90 M€ destinés au gestionnaire d’infrastructures SNCF Réseau et au transport combiné via l’aide à la pince (10 M€ par an jusqu’en 2020). En parallèle, le transfert de l’ex-RFF, le gestionnaire de réseau, sous le même toit que SNCF, n’a fait que plomber les comptes tandis que l’augmentation programmée sur 10 ans des tarifs des sillons risque d’étrangler les entreprises privées, à raison de 4,5 %, voire plus par an. En 2015, Jacques Gounon, président du groupe Eurotunnel (désormais GetLink), Alain Picard, DG de SNCF Logistics et Alain Thauvette, président d’Euro Cargo Rail, exprimaient leur inquiétude dans une tribune publiée dans la presse nationale : « Les entreprises de transport ferroviaire de marchandises sont dans l’attente de décisions publiques claires et pragmatiques qui conditionnent leur avenir. Les dernières décisions prises, telles que l’autorisation des camions de 44 tonnes et l’abandon de l’écotaxe, ne sont pas favorables au fret ferroviaire ». Ils alertaient sur la nécessité de prendre des mesures urgentes pour « sauver le fret ferroviaire ». Ainsi, ils en appelaient l’État à trancher sur la hausse des tarifs de péages afin de la limiter ou de l’indexer sur l’inflation et à trouver des solutions pour assurer l’entretien du réseau, et donc le maintien des circulations sur les petites lignes dédiées aux trains de fret.

Les trois dirigeants plaidaient également pour « l’accélération de la mise en place de normes techniques et communes à tous les pays européens », qui permettrait sur le long terme une optimisation des coûts de production. « Les obstacles techniques sont encore lourds et pénalisants par rapport au transport routier », dénonçaient-ils.

Le spectre de 2016

Deux manifestations d’envergure (Cop 21, Assises de la mobilité) et des centaines de pages de rapports commandés (Duron et Spinetta) plus tard, les problématiques restent les mêmes. Les pannes successives de début d’année à la SNCF ont encore pointé du doigt la vétusté des infrastructures et la nécessité de l’entretien du réseau. Le fret ferroviaire, lui-même utilisateur de ce réseau, reste au banc du transport. Point de mesures pour encourager le transport alternatif au routier malgré des messages réguliers sur les enjeux environnementaux et la réduction des gaz à effet de serre. Le gouvernement cristallise les sujets essentiellement autour des voyageurs et d’une réforme pour les cheminots. Alors qu’une grève dure se profile, les acteurs du secteur ferroviaire restent encore marqués par le spectre de 2016, rappelait récemment Dominique Denormandie, président du GNTC et dirigeant des Transports Labouriaux. Entreprises ferroviaires, opérateurs et chargeurs craignent d’être pénalisés une nouvelle fois quand leurs maîtres mots demeurent fiabilité, ponctualité et qualité de service. Les prestataires déplorent que, lorsqu’un client insatisfait part, il est vraiment difficile ou même impossible de regagner sa confiance.

« Nous considérons que le transport ferroviaire de marchandises peut et doit à nouveau se développer. Pour cela, nos entreprises doivent évoluer dans un environnement clair, prévisible, et favorable », écrivaient le trio de patrons en 2015. Trois ans après, l’histoire se répète avec des opérateurs de transport combiné rail-route. Les dirigeants de Froidcombi, T3M, et VIIA ont envoyé en début d’année une tribune à l’adresse des pouvoirs publics et des décideurs. Ils dénoncent une politique de prix de sillons toujours défavorable et l’idée d’une tarification à la tonne. Ce choix pénaliserait les trains les plus lourds, or c’est par la massification que le transport devient vertueux. « La nouvelle grille tarifaire de SNCF Réseau entrave les efforts de compétitivité déployés par les entreprises ferroviaires et les opérateurs de transports combinés pour capter des flux à la route », déplorent-ils. Faute d’être entendus ou d’obtenir des réponses officielles rapides, les professionnels du secteur se sont habitués à prendre leur destin en main. Ils misent désormais sur des offres innovantes, des outils digitaux et une optimisation de l’utilisation de ressources d’infrastructures ferroviaires pour attirer les clients et livrer une meilleure qualité de service.

60 Md de t-km

c’est le trafic du fret ferroviaire en 1980, contre la moitié aujourd’hui

Cinq mesures de « bon sens »

Pour Rémy Crochet, PDG de Froidcombi, Jean-Claude Brunier, PDG de T3M, et Thierry Le Guilloux, Président de VIIA, tous trois signataires de la dernière tribune commune, cinq propositions peuvent soutenir la compétitivité du fret ferroviaire et du combiné rail-route :

• la pérennisation et l’amplification de l’aide au coup de pince au profit du TCRR, compte tenu de ses qualités environnementales et sociétales, en faisant agréer la faisabilité de ces actions par les instances européennes.

• l’adoption d’une tarification des sillons encourageant l’exploitation de trains efficaces, tant en termes de productivité que d’encombrement des réseaux, en favorisant les trains les plus lourds et les plus longs.

• le développement des incitations financières au report modal par l’instauration d’une recette dédiée au report modal, la valorisation de la tonne de CO2 économisée par le TCRR, ainsi que la confirmation et l’élargissement de la compensation fret de l’État pour les sillons.

• l’arbitrage en faveur des investissements nécessaires à la remise en état et à l’amélioration des performances des infrastructures dédiés au fret (grande ligne de transport combiné, terminaux rail-route terrestres et maritimes).

• la mise à niveau de l’infrastructure ferroviaire pour supporter des trains à 850 m et 1 800 t, et porter à 1 000 m, voire à 1 500 m, la longueur des trains du combiné.

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