Détendre les flux : tel est l’un des trois axes du programme de prévention des risques et d’optimisation de la performance Perspectiv’Supply(1), lancé en janvier 2016 par la Carsat et la Dirrecte Auvergne-Rhône-Alpes, avec le Pil’es, Pôle d’intelligence logistique(2). Les deux autres concernent la palettisation et le packaging. Début 2018, le programme s’est classé en deuxième position des Rois de la Supply Chain, organisés par Supply Chain Magazine. « Une trentaine d’industriels, de transporteurs et distributeurs se sont mobilisés, ensemble, se félicite Cécile Michaux, déléguée générale de Pil’es. C’est rare. »
Pour Cédric Fernandez, de la Carsat, il fallait impliquer toute la filière : « Jusqu’ici, la prévention ciblait les risques maillon par maillon, à l’entrepôt, au chargement. C’est important, mais certaines problématiques concernent plusieurs maillons. Nous avons élargi notre champ à toute la chaîne du frais, de l’usine au magasin. » Pas évident tant la détente des flux, par exemple, est un sujet central et sensible. « Certes, note Laurent Rouault, directeur supply chain de Bonduelle Frais, qui a participé à l’une des expérimentations de Perspectiv’Supply, la logistique du secteur est très performante, avec un taux de service de 98 %. Mais c’est au prix d’une forte tension pour l’organisation, les hommes et les coûts. » David Saussay, directeur commercial des transports Jammet, groupe qui a participé à la réflexion de la Carsat, parle d’un « effet ciseau » dans l’évolution des flux : « Il y a vingt ans, le A pour B était un peu la norme, alors que les technologies de conservation étaient moins performantes. Aujourd’hui, les process se sont améliorés et la DLC a augmenté. Nos conditions de transport sont plus sécurisées. Pourtant, il faut livrer plus vite, à des horaires toujours plus stricts. »
Il arrive ainsi qu’une commande intervienne à 10 heures chez un industriel, pour une livraison à 17 heures sur une plateforme de redistribution – du A pour A – afin de mettre en rayon le lendemain. Si aux transports Jammet, le délai moyen de livraison est plutôt en A pour B, avec une minorité de A pour A, David Saussay estime que « même le A pour B s’est resserré aujourd’hui. Lorsque, par exemple, il faut prendre le produit à 18 heures dans l’ouest de la France pour le livrer avant 6 heures du matin en Rhône-Alpes… » Les flux en A pour A, qui limitent la massification et la productivité, se compliquent d’autant plus qu’ils s’effectuent souvent à des horaires de bureau, au trafic chargé. Au Comptoir savoyard de distribution, qui a participé à un test de « détente » avec Bonduelle, Bruno Cagnon, responsable des flux de produits frais et QSE, estime aussi que « la tension des flux génère un manque de sérénité qui menace la qualité et la sécurité ».
Face à cette situation complexe, la « méthode » Perspectiv’Supply : le dialogue, essentiel. « Nous courons tous après le temps et oublions de parler des problèmes que nous partageons pourtant », résume le responsable de CSD. C’est une révolution de la parole pour Jean-Michel Ros, responsable logistique France de Bonduelle Frais, où l’on tente depuis dix ans de détendre les flux avec certains clients pour « mieux livrer ensemble plutôt que chacun, en tension, dans son silo ». David Saussay croit que « cette réunion est rare… L’initiative du seul transporteur ou du seul producteur ne suffit pas. Il faut forcément associer les enseignes ». Parallèlement aux échanges, six expérimentations se sont déroulées en 2017-2018, dont celle qui a associé le site d’ensachage de salades de Bonduelle Frais à Genas (69) et CSD, plateforme qui approvisionne 70 magasins dans les deux Savoies. Résultat : les commandes sont plus précoces, passées à Bonduelle le matin, pour une livraison le lendemain à la plateforme, plutôt que le soir même. Avec la même DLC (11 jours pour les salades), dit Jean-Michel Ros, « j’ai sept heures dans l’usine pour calibrer la présence de personnel, programmer la fabrication le lendemain, jour du départ, préparer les commandes. Je fais du A pour B, mais j’anticipe, je gagne du temps et de la qualité ».
CSD charge plus tôt avant que ses chauffeurs, tous en interne, ne distribuent le lendemain dans les magasins, des salades fabriquées la veille. « Nous planifions mieux », dit Bruno Cagnon. Pour Jean-Michel Ros, « la distribution gagne en sérénité, en fraîcheur, en ponctualité… Reste à convaincre tout le monde ». Serein, David Saussay l’est, qui travaille déjà de manière informelle avec certains clients pour « faire avancer les choses de manière qualitative. Détendre des flux permet d’anticiper, de gagner en visibilité pour gérer le parc de véhicules et les effectifs humains ».
(2) La Carsat, Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Rhône-Alpes, la Direccte, direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Pil’es est une association professionnelle créée en 2007 qui réunit 500 logisticiens, distributeurs ou transporteurs autour de questions de RH ou de sécurité.