Le principe « à travail égal, salaire égal » existe depuis quarante-six ans et l’obligation pour les entreprises d’établir un rapport de situation comparé depuis trente-six ans… Et pourtant, l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes est loin d’être une réalité. C’est pourquoi l’État passe à la vitesse supérieure, en instaurant une obligation de résultat en la matière.
La loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel adoptée le 5 septembre 2018 oblige ainsi les employeurs à calculer chaque année leur « index d’égalité »(1) et à obtenir au moins 75 sur 100. Ils doivent transmettre ce score à la Direccte, mais aussi le publier en interne et sur leur site Internet. Cette obligation est en vigueur depuis le 1er mars 2019 pour les entreprises de plus de 1 000 salariés et le sera à partir du 1er septembre pour des effectifs compris entre 250 et 1 000 personnes, puis au 1er mars 2020 pour les PME de plus de 50 salariés.
L’index porte sur cinq indicateurs, à commencer par l’écart de salaires entre les femmes et les hommes, noté à lui seul sur 40 points. Certains s’en étonnent, comme cette dirigeante du TRM : « L’égalité est automatique, puisqu’on applique la convention collective ! » Claire Morandeau, consultante spécialisée, entend souvent cette idée préconçue : « En matière de rémunération, le diable est dans les détails, c’est-à-dire dans tout ce qui est accessoire. » S’il ne faut pas compter les primes liées à des sujétions particulières (comme le travail au froid), toutes les autres primes doivent être prises en compte.
Troisième indicateur : la comparaison entre les nombres respectifs de femmes et d’hommes ayant obtenu une augmentation dans l’année (20 points). « Celles-ci ne sont parfois attribuées qu’à ceux qui ont l’assurance suffisante pour en faire la demande », explique Claire Morandeau. À cela s’ajoute, pour les entreprises de plus de 250 personnes, une comparaison du nombre de promotions pour chaque genre (15 points).
Quatrième indicateur, également sur 15 points : le nombre de salariées ayant fait l’objet d’une augmentation à leur retour de congé de maternité, à titre de rattrapage des augmentations attribuées collectivement en leur absence. Bien que cette obligation existe depuis 2006, une mère de trois enfants gagne encore en moyenne 10 % de moins qu’une femme sans enfant occupant le même poste(2). « Bien sûr, les PME qui n’auraient eu aucune salariée en congé maternité n’ont pas à coter cet indicateur et ne perdent pas les points qui y sont attachés », rassure Claire Morandeau. Enfin, un dernier indicateur est la présence d’au moins quatre femmes parmi les dix plus hautes rémunérations de l’entreprise. Marielle Bleton, assistante RH chez TBH (Rhône), s’est ainsi plongée dans les rémunérations brutes annuelles : « Les plus hautes sont liées à l’ancienneté des salariés concernés, conclut-elle. Mais on part de loin ! Avant qu’une conductrice ait la même ancienneté qu’eux, il se passera encore du temps. » Pour le DRH, Arnaud Froment, cette information est « structurante » pour les recrutements à venir. « À compétences égales, on va parfois privilégier une femme », indique-t-il.
Cette entreprise de TRM a reçu une mise en demeure de se mettre en conformité par des actions, alors même qu’elle s’attelait au calcul de l’index et qu’elle avait un accord sur l’égalité… « Mais il aurait déjà dû être renouvelé, reconnaît Arnaud Froment. J’ai pu expliquer à l’inspecteur que je venais d’effectuer des démarches auprès de l’OPCA pour me faire aider sur ce sujet. » Il bénéficie de l’accompagnement de Claire Morandeau, mandatée par la délégation Auvergne-Rhône-Alpes de l’Opca Transports et Services pour conseiller les transporteurs à ce sujet.
« Les entreprises ne font pas forcément le lien entre la nouvelle obligation de calculer l’index d’égalité et celle, ancienne, de négocier un accord sur le sujet avec les partenaires sociaux, observe celle-ci. Ce sont deux éléments à la fois différents et liés. » En effet, si une entreprise obtient un index d’égalité inférieur à 75, elle a trois ans pour se mettre en conformité en conduisant des actions dans le cadre de son accord égalité professionnelle ou d’un plan d’action. Actuellement, seules 31 % des entreprises de plus de 50 salariés sont dotées d’un tel accord, pourtant obligatoire. Désormais, celui-ci doit être renégocié chaque année. « Mieux vaut calculer l’index avant de renégocier, conseille Me Blandine Allix, avocate spécialisée. Car ainsi, on sait sur quels points on devra agir. » Claire Morandeau confirme : « On entre dans une démarche d’amélioration continue. Une entreprise appelée à se mettre en conformité doit progresser chaque année jusqu’à atteindre 75 la troisième année. »
À défaut, elle encourra une sanction jusqu’à 1 % de la masse salariale. Celle-ci sera applicable au 1er mars 2022 pour les plus grandes et au 1er mars 2023 pour celles de 50 à 250 salariés. « Mais il est laissé aux Direccte un pouvoir d’appréciation des efforts fournis par l’employeur », remarque Me Allix. Une année supplémentaire peut par exemple être accordée aux PME. Cependant, en cas de « mauvais » index ajouté à une inaction manifeste, cette sanction pourra être cumulée avec celle, déjà prévue auparavant pour l’absence d’accord et qui peut également atteindre 1 % de la masse salariale. Et pas question d’échapper aux contrôles ! Depuis mars dernier, les inspecteurs du travail, partout en France, interviennent dans toutes les entreprises de plus de 1 000 salariés n’ayant pas publié leur index d’égalité et, dans les trois ans, ils vont contrôler toutes celles de 250 à 1 000 salariés. Leurs contrôles sur l’égalité professionnelle passent ainsi de 1 730 à 7 000 par an, soit quatre fois plus. Des transporteurs appellent déjà Claire Morandeau « dans l’urgence, pour se mettre en conformité ». Elle ne désespère pas de les convaincre que « l’égalité professionnelle est aussi un levier économique et un projet d’entreprise porteur de sens ».
Toutes les entreprises peuvent être le théâtre d’un harcèlement sexuel : 20 % des femmes actives disent en avoir été victimes* au moins une fois. Mais comme seules 30 % en ont parlé à un interlocuteur, la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel oblige désormais le entreprises à nommer, au sein du Conseil social et économique (CSE), un référent « harcèlement sexuel et agissements sexistes ». Les entreprises de plus de 250 salariés doivent en nommer un second, qui conduira des actions de sensibilisation et de formation, et mettra en œuvre des procédures internes de signalement et de traitement des situations. Ces deux référents doivent être formés, et leurs coordonnées affichées dans les lieux de travail et sur la porte des locaux d’embauche. Le décret d’application ne donne pas de consigne quant à leur profil, ni si la mission implique une décharge totale ou partielle, ou une rémunération spéciale. TBH, par exemple, en a même fait une mission collégiale : « Avec le DRH, le président de l’entreprise, le trésorier et la secrétaire du CSE, nous avons eu l’occasion de discuter d’une situation dans l’entreprise, témoigne Arnaud Froment, directeur des ressources humaines. Nos échanges ont donné lieu à un bilan efficace et mesuré. » Quoi qu’il en soit, seul l’employeur reste responsable de la santé et de la sécurité de ses salariés.
V. V. L.
* Ifop 2014
(2) Données du ministère du Travail.