La génération qui prend aujourd’hui la tête des entreprises de TRM semble très différente des précédentes. Ayant grandi avec l’informatique, ces jeunes s’appuient sur elle pour faire évoluer le secteur. « Désormais, on doit aller toujours plus vite et plus loin. Les clients demandent beaucoup de réactivité, témoigne Arnaud Ageneau, 32 ans, dirigeant de l’entreprise familiale. Il faut absolument avoir les outils qui suivent. »
Le changement du logiciel TMS a été sa « porte d’entrée » dans la société, en 2014. Après une formation bac + 3 à l’Isteli et plusieurs années chez Schenker Joyau, il a apporté sa « connaissance de toute la chaîne, de la saisie à la facturation jusqu’à l’aspect commercial »… et son goût pour l’informatique. Mais il a adopté l’état d’esprit participatif de la PME en élaborant le cahier des charges avec les 15 responsables de services. « Ceux-ci ont par exemple fait remonter leur besoin de ne plus avoir à téléphoner à chaque chauffeur, le vendredi, pour lui confier sa mission du lundi, rapporte-t-il. Désormais, nous envoyons donc des SMS depuis le logiciel. Un grand nombre de tâches ont ainsi été automatisées. »
Pour ces diplômés de grandes écoles d’ingénierie, de commerce, de finance ou de formation supérieure du transport, l’informatique et le numérique sont les clés pour industrialiser et faciliter les process. À 32 ans, Grégoire Panon, titulaire d’un master en logistique industrielle et administration des entreprises, a doté la PME familiale, Orléans Transports, de son premier TMS. « Il permet de gérer les plannings et de suivre la rentabilité de chaque chauffeur, au jour le jour, explique-t-il. Par ailleurs, dès la livraison effectuée, celui-ci scanne la lettre de voiture signée par le client, ce qui déclenche immédiatement la facturation. » Finie par ailleurs l’époque où « papa lisait les disques ». Le service paie reçoit directement les données sociales. « Quand nous sommes arrivés, avec mon frère, en 2010 et 2013, l’entreprise en était au papier-crayon », se souvient-il. Aujourd’hui, elle suit jusqu’aux missions de ses sous-traitants via une application mobile : « Cela nous a permis de pérenniser notre partenariat avec des clients de la cosmétique, notamment, particulièrement sensibles à la sécurité », ajoute l’entrepreneur.
Lors de son arrivée dans l’entreprise familiale, Centre Express Limousin (CEL), Rodolphe Hugon, lui, a trouvé un TMS. Mais depuis son achat, l’entreprise s’était déployée sur plusieurs sites, le groupage technique s’était développé, et les commandes étaient passées de quelques centaines à plusieurs milliers de palettes. Il fallait s’adapter : « Le secteur du transport a un vrai retard technologique en matière d’outils de gestion, de progiciels, constate cet ingénieur passé par l’industrie automobile. Bien sûr, il ne s’agit pas de transformer une PME en grand groupe, mais il faut s’en inspirer. » Après deux ans de travail, un TMS nouvelle génération est en cours de déploiement. « Le client saisit directement sa commande, qui est alors envoyée sur le smartphone du conducteur, avec l’heure de rendez-vous, les quantités, etc., détaille-t-il. Cela évite les pertes d’information. »
Âgée de 31 ans, Émilie Rosec est à la tête de la société familiale, et a procédé, elle aussi, par observation, avant d’introduire des nouveautés. Titulaire d’un master en agri-business préparé à Angers et aux Pays-Bas, puis passée chez un transporteur néerlandais, elle a repéré que le TMS de Rosec Transports devait être assorti d’informatique embarquée. Ce qu’elle a fait, avec les mêmes objectifs que ses confrères : « Éviter les erreurs et gagner du temps. »
Aujourd’hui, elle étudie aussi les solutions qui permettraient de recevoir les informations de pression des pneus des véhicules, afin de prévenir les éclatements, et limiter les retards et les coûts induits par les dépannages. En effet, ces transporteurs du XXIe siècle attendent toujours plus d’outils d’aide au pilotage de l’entreprise.
Mathieu Tschupp, par exemple, à la tête de TCP, en a acquis plusieurs, afin d’avoir la vision globale que lui a enseignée sa formation en écoles supérieures de commerce et de transport (un double bac + 5). « Outre l’informatique embarquée classique, explique-t-il, j’ai mis en place un système spécifique aux remorques, pour suivre le système de freinage, mais aussi, en cas de tracteur relais, pour savoir si nos moyens sont bien utilisés. » En parallèle, un logiciel de gestion de parc lui permet de planifier les immobilisations et d’anticiper les problèmes techniques. Quant au logiciel WMS gérant la logistique, il est relié au TMS dans une interface commune qui permet au client de n’avoir qu’un seul interlocuteur.
De son côté, Arnaud Ageneau apprécie les tableaux de bord hebdomadaires. « Chaque mardi, nous avons les chiffres de rentabilité de la semaine précédente. Auparavant, il fallait attendre un mois et demi. Cela permet de repérer plus rapidement qu’un plan de transport n’est plus adapté, par exemple, et de réagir plus tôt », explique-t-il.
Certains commencent par créer leurs propres tableaux de bord grâce à Excel, à l’image d’Émilie Rosec : en attendant de trouver l’outil global qui lui conviendrait, elle collecte, grâce à ce logiciel de bureautique, des données issues de la comptabilité, du TMS, de l’informatique embarquée et de la gestion sociale, et suit la rentabilité mensuelle par activité et par véhicule. De son côté, Rodolphe Hugon a créé une base documentaire interne des tarifs et de leurs modifications, qui doit éviter les erreurs. « La meilleure façon de connaître son besoin, c’est de commencer à travailler sur Excel, assure l’ingénieur. Au bout d’un moment, on voit qu’on n’arrive pas à traduire certaines choses dans ce logiciel et c’est là qu’on peut rencontrer des prestataires informatiques », reconnaît-il.
Igor Miellet, dirigeant de Norlog, a la même démarche progressive, « pragmatique, comme l’est la programmation informatique ». Analyste programmeur de formation (avant une autre en management), il est entré dans l’entreprise, en 2003, à 22 ans, pour s’atteler à cette question. Il a alors développé son propre « soft ». « C’est un outil d’aide à la décision, explique-t-il. Il permet de voir, par exemple, que tel conducteur est plus productif sur telle tâche ou pour tel client, et pas sur tels autres, s’il a une baisse de productivité un jour… On peut alors échanger pour rechercher les causes. » Mais la croissance de l’entreprise a poussé le logiciel maison à ses limites. « En 2008, je l’ai fait développer en mode professionnel, avec un serveur attitré, une interface Web et une possibilité d’exporter sur tous les sites », commente Igor Miellet.
Pour tous, la prochaine étape sera la dématérialisation totale, y compris de la lettre de voiture (lire l’encadré). « Dès que notre TMS sera 100 % opérationnel, nous proposerons à tous nos clients des factures dématérialisées, prévoit Rodolphe Hugon. Ils ne le demandent pas, mais l’idée est d’avoir un coup d’avance. » Arnaud Ageneau confirme et s’impatiente : « On voudrait encore simplifier les process et aller vers le zéro papier, mais toutes les solutions n’existent pas encore. Or, plus personne n’utilise le papier ! ».
« Les entreprises de transport passent actuellement du tout-papier à la dématérialisation. La lettre de voiture électronique restait compliquée à mettre en œuvre, mais depuis décembre 2017, elle est légale et elle va être possible. Tous ces outils présentent un avantage partagé : pour l’entreprise, pour ses clients, et pour les conducteurs, plus impliqués dans le process.
Les dirigeants de la nouvelle génération sont friands de ces nouvelles technologies, s’intéressent, visitent plus les salons que leurs prédécesseurs… mais ils sont aussi plus exigeants et montent des cahiers des charges pointus, car ils connaissent les technologies et leurs pièges. Enfin, pour le déploiement, ils sont attentifs à bien former leur personnel. Leurs parents, parfois, se faisaient plaisir en achetant un outil mais ne l’utilisaient qu’à 25 % de sa capacité. Eux, au contraire, veulent aller au bout des possibilités. »
V. V. L.