Valérie Lasserre : Il y a eu une grande participation, ce qui démontre la vitalité du secteur. Au niveau des thématiques, celle de la livraison urbaine est au cœur de nos inquiétudes. Le transport va devoir s’adapter aux demandes des consommateurs qui sont de plus en plus exigeants. Pour séduire, certaines entreprises disent par exemple que la livraison sera gratuite. C’est faux, c’est un hold-up ! Nous payons toujours les services.
Jean-Marc Platero : les exigences de la livraison urbaine se mettent en place dans les grandes villes européennes. Deux éléments intéressants ont été abordés. D’abord, les schémas logistiques actuels. Sont-ils suffisants si l’on tient compte des contraintes réglementaires liées par exemple aux évolutions technologiques ? Il y a encore quatre ou cinq ans, on parlait de véhicules diesel. Désormais, on discute essentiellement de véhicules hybrides, gaz, électriques, et demain on abordera la question des véhicules à combustibles. Aujourd’hui, nous avons des moyens de transport qui fonctionnent à la fois en thermique et en électrique. Les schémas logistiques des villes nous confrontent à des contraintes en termes de gabarit de véhicules et d’horaires. Nos habitudes depuis une vingtaine d’années sont complètement remises en cause en raison des attentes de la clientèle par rapport aux typologies de livraisons qui ont changé. On ne va plus forcément dans les supermarchés ou dans les restaurants puisqu’on ne mange plus de la même façon. Les schémas logistiques associés aux contraintes techniques obligent les logisticiens à revoir leurs méthodes, ce qui représente de nouveaux coûts. À l’échelle européenne, on se rend compte qu’il n’y a aucune uniformité. C’est très contrariant pour tous les acteurs logisticiens.
V. L. : Beaucoup de mesures ont été prises, il faut le reconnaître. Je pense par exemple aux règles sur les émissions environnementales comme le fameux règlement F-gasqui est appliqué dans plusieurs États membres. Tous les États membres ont-ils les mêmes exigences et la même vérification de la réglementation ? Sur certains chapitres, on peut difficilement appliquer les mêmes règles partout. La géographie d’une ville, comme Naples, Saint-Malo ou encore Hambourg, fait que la réglementation locale ou nationale sur la livraison urbaine ne peut pas être harmonisée. On peut émettre des objectifs de résultat sur la diminution des émissions mais on doit s’adapter à des schémas de vie et des configurations de villes qui ne sont pas identiques.
J.-M. P. : En France, nous recevons des aides notamment pour accompagner les transporteurs à exploiter les nouvelles technologies. Toutefois, les gouvernements devraient travailler à uniformiser l’approche minimale de leur propre pays. En Italie, par exemple, on se bat pour l’accès au centre-ville, les différents critères mettent les transporteurs sous contrainte et ne permettent pas d’avoir une exploitation globale continue. Comment les villes et les collectivités peuvent mettre en place une ligne directrice homogène et compréhensible tout en tenant compte des particularités d’une ville à l’autre, que l’on soit au nord ou au sud de l’Europe, et là il y a beaucoup de travail. Alors quelles sont les solutions possibles ? Il faut que les transporteurs fassent entendre leurs voix à travers les diverses organisations professionnelles comme nous le faisons déjà. Il faut agir auprès des politiciens pour les sensibiliser aux exigences de livraison.
V. L. : Nous avons des responsabilités importantes au regard de la sécurité alimentaire des denrées périssables, de l’approvisionnement des populations. Une ville a une autonomie d’un peu plus de quarante-huit heures pour les denrées alimentaires, ce que les trois quarts des élus ne savent pas. Nous allons avoir en France une nouvelle taxation ou une suppression de taxation sur le gazole non routier. C’était une mesure fiscale, et les élus ne savaient pas que nos camions frigorifiques sont alimentés en GNL. C’est normal, ils ne sont pas des experts du transport. Notre rôle est de faire comprendre les spécificités de nos métiers, de nos matériaux pour qu’ensemble nous puissions répondre aux ambitions environnementales, sanitaires des politiques et aux contraintes de professionnels. On ne peut pas demander à une entreprise de jeter une flotte de 100 camions pour passer du diesel à l’électrique et ensuite au gaz. Il faut trouver des solutions.
Nicolas Olano : Il faudrait réussir à expliquer ce que nous faisons tous les jours. Le consommateur est sûrement très éloigné de nous, de nos problématiques, de nos efforts. Il y a un problème d’écoute. Des événements comme la réunion annuelle de Transfrigoroute sont essentiels, il faudrait les décrypter, les valoriser, relayer l’information. Je constate que peu de pays sont représentés, c’est dommage, nous sommes très loin de l’union des 28 États membres. Certains pays ont d’autres sensibilités et des intérêts différents. Notre métier est très technique. La Lituanie, par exemple, n’est pas sensible à la question des derniers kilomètres. Les Lituaniens veulent exporter, voyager en Europe, ils sont sur la charge complète alors que nous sommes dans la distribution de la palette au colis, ce n’est pas tout à fait le même métier. Il y a aussi les questions de réglementation sociale et fiscale différentes.
V. L. : Il faut ajouter la question des représentations professionnelles. Certains pays n’ont pas les moyens ni la capacité de mettre en place certaines structures. C’est beaucoup de travail, il faut trouver des adhérents, les stimuler.
J.-M. P. : Il faut réussir à fédérer, à partager des pratiques et des usages qui n’ont pas été forcément déployés à la même vitesse. C’est une façon de faire tache d’huile à l’échelle européenne. Il faut avoir des dénominateurs communs, une connaissance de ce qui va arriver. Lorsqu’on voit par exemple l’évolution des réglementations dans chaque pays ou à l’échelle européenne, réussir à être au goût du jour sur chaque réglementation est un travail énorme. C’est ce que fait Transfrigoroute France et International pour informer ses adhérents sur les évolutions en cours. Comprendre ce qu’il va se passer au niveau de l’environnement est essentiel car si on ne le comprend pas, on ne peut pas anticiper et se projeter.
L’assemblée annuelle de Transfrigoroute International s’est tenue fin septembre à Naples dans les locaux de la vieille forteresse Castel dell’Ovo. C’est dans ce cadre magnifique perché sur la mer face au Vésuve, que quelque 250 participants représentant neuf pays se sont retrouvés pendant deux jours pour débattre. Le menu était copieux : l’environnement, la livraison urbaine, la chaîne du froid et l’avenir du transport. « En cette période de grands changements et de mise en place d’un courant de pensée et d’actions qui influence en profondeur le travail des entreprises, nous avons la possibilité de nous confronter et de dialoguer sur l’avenir du transport et de la logistique du froid, c’est une occasion unique ! », s’est exclamé Umberto Torello, président de Transfrigoroute Italie, en ouvrant la session.
Alors que des milliers de jeunes Italiens venus de toute la région défilaient dans les rues de Naples pour réclamer un plan d’actions ciblées pour défendre l’environnement, les participants ont longuement débattu de l’impact des nouvelles politiques sur la livraison urbaine et les moyens de transport. Ils ont fait le point sur les énergies alternatives pour les véhicules réfrigérés et le maintien de la qualité des denrées tout au long de la chaîne de refroidissement. A également été évoqué la mise en place d’un réseau pour sensibiliser les entreprises des États membres sur la nécessité de renforcer le dialogue pour mieux intervenir auprès des instances européennes et obtenir des politiques assurant le développement d’un secteur en marche.
A. F. D.