GEERT PAUWELS : Cette ligne a démarré depuis janvier avec notre partenaire Europorte. On commence avec 2 puis 3 allers-retours par semaine, avec surtout des produits chimiques en conventionnel. En avril, nous ajouterons du combiné et passerons à 4 puis 5 trains/semaine. Grâce à notre réseau, nous faisons aussi le lien avec Rotterdam et Cologne et pouvons envisager Lyon-Suède ou Lyon-Pologne, également dans les deux sens. Nous avons développé l’offre Green Xpress Network pour répondre mieux aux besoins des clients. Avec le GXN, on obtient la qualité d’un train de combiné mais avec une offre de wagon isolé et même de trains mixtes. Nous prenons un risque au début car les trains ne sont pas remplis mais les volumes augmentent. Notre chiffre d’affaires progresse après toutes ces années de restructuration ! On verra pour les grèves, nous nous adapterons.
G.P. : Je pense que la France va arriver aussi à un moment d’urgence, où il faudra changer la façon de travailler. Tout le monde, et même les syndicats, devra accepter car la pression monte.
Le problème du report modal existe dans d’autres pays d’Europe. Seules la Suisse et l’Autriche se montrent volontaristes et l’Allemagne commence. J’en ai récemment discuté avec Sylvie Charles (DG du pôle Transport Ferroviaire et Multimodal de Marchandises du groupe SNCF) et la Commissaire européenne Violeta Bulc, pour créer une mesure afin de favoriser la mobilité car il y a le problème du climat mais aussi du nombre de camions croissant sur les routes. Le transport va augmenter de 30 % d’ici 2030. Si l’on ne fait rien, nous serons tous bloqués. Les Etats membres doivent lancer des actions pour encourager le fret ferroviaire et changer l’image du rail.
G.P. : J’ai pris la tête de B Cargo en 2008, la division fret de la SNCB qui perdait environ 160 M€ par an sur un chiffre d’affaires de 340 M€. Pour trouver le chemin de la rentabilité, il fallait transformer en profondeur l’entreprise mais en plusieurs étapes. La situation financière, mais pas seulement, était épouvantable. Nous n’étions pas du tout concurrentiels, l’organisation restait désastreuse, la qualité de service insuffisante… Comme c’était une division de la SNCB, personne n’avait de vision globale de l’activité fret. La gestion était mauvaise alors que le marché se portait bien. Le tonnage s’élevait à l’époque à 55 000 tonnes en Belgique contre 40 000 t aujourd’hui. Le process ne convenait pas : le client n’était pas pris en compte, la traction s’effectuait ailleurs et les conducteurs appartenaient à une autre division ! Les chiffres et la gestion restaient dilués dans la SNCB. Personne n’avait pris le sujet en main et c’est à ce moment-là que nous avons commencé la restructuration.
G.P. : Il y avait trois choses fondamentales à changer : le niveau de dette, le statut du personnel et la gouvernance. Avec la filialisation, nous nous avons pu nous débarasser de la dette, qui représentait quelques centaines de millions d’euros. La SNCB l’a reprise sous plusieurs conditions, notamment le changement de gouvernance. On a extrait les activités de fret dans une entité séparée avec une structure privée (équivalent à VFLI en France, NDLR). Nous pouvions recruter des contractuels, cela faisait partie des accords avec les syndicats. La commission européenne a dit à ce moment-là qu’elle ne pouvait plus subventionner l’activité fret avec l’argent du transport de voyageurs. Elle nous a obligés à prendre des décisions. Nous avons donc utilisé cet argument pour expliquer la nécessité de cette énorme réforme. Nous ne pouvions pas survivre autrement. A mon avis, on aurait dû le faire partout en Europe. En Belgique, les administrateurs, le personnel, tous nous ont suivi dans le chemin de la réforme.
G.P. : Oui, nous avions des experts en ferroviaire mais pas en management. Donc, il a fallu recruter des personnes compétentes. Or, recruter au moment où il y a un surplus de personnel, ce n’est pas évident. Nous nous sommes adressés directement aux salariés en disant la vérité, en expliquant la situation. Cela a mis du temps, même s’ils ne m’appréciaient pas forcément, ils ont compris qu’il s’agissait de sauver l’activité et ont soutenu cette restructuration. Il a fallu réduire les effectifs de 5 000 à 2 000 personnes. Pour cela, nous avons commencé par diminuer le besoin mais sans changer la façon opérationnelle de travailler, c’était impossible. Nous avons profité du fait que la SNCB était en cours de recrutement de personnels statutaires afin de ne pas recourir à un plan social. Du personnel de l’activité fret a été transféré vers le voyageur. En 2012, il ne restait plus que 2 000 personnes dont 1 000 au statut de contractuel. Nous n’avons pas touché au socle social ni aux conditions de travail au début.
G.P. : Chaque cheminot de la SNCB a dû faire le choix de venir – ou non – travailler au sein de notre entité fret mais aux conditions de travail du privé : renoncer à +/– 25 jours de congés, accepter plus de flexibilité/mobilité et avoir une voiture de fonction pour les conducteurs. Le salaire journalier n’a pas été modifié mais comme ils travaillaient davantage, ils gagnaient plus. Je suis moi-même allé présenter le projet aux conducteurs le week-end, partout dans le pays. Nous avons organisé des road shows partout afin de communiquer sur le pourquoi et la nécessité de la transformation.
G.P. : Nous continuons à aller dans la bonne direction. En Belgique, 8 % du fret passent sur le train et 80 % sur le camion, donc le train perd alors qu’il y a 2 siècles, tout était sur les rails. Il faut rendre le ferroviaire de nouveau attractif et concurrentiel pour que les clients choisissent ce mode. Nous n’allons pas nous battre contre les autres entreprises ferroviaires. Notre premier concurrent reste le camion. Nous devons être meilleurs que les camions. C’est ce qui nous permettra de vraiment encourager le report modal. Notre mission consiste à proposer des produits tellement bons que nos clients choisiront le train pour leurs besoins mais aussi pour la réduction de la pollution.